En quoi peut-on dire que parler est le propre de l'homme ?
Publié le 02/06/2021
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En quoi peut-on dire que parler est le propre de l’homme ?
La question ici soulevée présente différents niveaux de difficultés dont le premier est qu’il y apparaît des termes philosophiques et scientifiques. En effet, bien que le substantif « propre » soit un mot d’usage commun, il a une origine philosophique : c’est l’un des cinq universaux de Porphyre( le genre, l’espèce, la différence ,le propre, l’accident), et cette nomenclature remonte à la dialectique d’Aristote. Les dictionnaires philosophiques montrent que la définition de ce terme n’est pas univoque depuis Aristote, mais pour ce qui nous concerne ici, nous adopterons l’usage commun, suffisamment philosophique pour dégager un problème ( il signifie : « ce qui appartient à un être quelconque, à l’exclusion de tout autre être ».)
Ensuite la question concerne la parole ( l’acte de parler ), ce qui , dans la signification du terme est plus restreint que le mot « langage ». La linguistique moderne ( qui naît avec de Saussure au début du 20° siècle)nous a habitué à cette distinction, qui nous verrons, n’est pas anodine.
Cela dit, la question nous renvoie de manière assez manifeste à des thèses philosophiques discutables, dont la plus évidente peut-être attribuée à René Descartes ; nous nous référerons ici à ce qu’il en a dit dans la cinquième partie de Discours de la méthode.
Bien qu’écrit au 17°ème siècle, les propos de Descartes conservent leur intérêt et leur caractère problématique ,encore aujourd’hui, c’est ce que nous montrerons, et qui guidera notre propos ici car nous examinerons d’abord les justifications de Descartes sur la question, en faisant apparaître au préalable pourquoi il s’ agissait d’un problème dans la tradition philosophique, au moment où Descartes l’examine, puis après reformulation des argument de ses arguments, nous verrons quelle est l’évolution plus récente du problème.
S’il est certain que d’après Descartes, parler est le propre de l’homme, nous éviterons ici toutefois de nous laisser entraîner dans le détail de l’argumentation de Descartes concernant les machines. En effet, si Descartes examine la question de savoir si les machines peuvent parler ,il s’agit d’une part d’un problème spécifique qu’on n’aurait pas pu soulever avant le 17° siècle, d’autre part de l’hypothèse de Descartes appelée couramment en philosophie « l’hypothèse des animaux machines ». Avant le 17° siècle, on ne construisait pas d’automates, c’est donc le progrès technique ,en premier lieu qui a conduit Descartes à inclure cette question dans le problème philosophique traditionnel. Ici , nous en resterons au problème philosophique traditionnel, celui de savoir si seuls les êtres humains peuvent parler, et pourquoi pas aussi les animaux.
Au sujet du problème traditionnel, Descartes affirme que nous ne devons pas penser, que les bêtes parlent, contrairement à ce que quelques anciens ont prétendu.
Examinons donc de quels anciens il s’agit ici et ce qu’ils ont prétendu.
Le problème est peut-être aussi vieux que la philosophie elle-même ; en effet, nous lisons chez Platon dans son dialogue Le politique , qu’avant notre époque actuelle qui est le règne de Zeus, il y a eu le règne de Cronos, époque dans laquelle les hommes ne connaissaient ni les organisations politiques ni les arts et le travail , époque de
«
bonheur dans laquelle ils pouvaient parler avec les animaux et les démons.
Platon a
semble-t-il pris au sérieux ce mythe puisque de là il en déduit sa définition de
l’homme politique.
L’incompréhension entre les hommes et les animaux devenus
sauvages se produit avec l’avènement du règne de Zeus.
Dans ses livres de politique, Aristote qui s’était opposé à Platon sur bien des points ne
fait pas référence à un quelconque mythe et affirme que seul les êtres humains ont un
langage, parce qu’il est fait pour exprimer le bien et le mal, le juste et l’injuste et la
cité implique la connaissance et le partage de ces notions, les animaux ont bien la
voix, mais elle leur sert uniquement à manifester aux autres animaux les sensations
de plaisirs et de douleurs qu’ils éprouvent , ils ne vivent pas en cité et n’ont donc pas
le langage.
Cette capacité linguistique ( le langage) est liées aussi à la possession de la
Raison ( partie intellectuelle de l’âme), que n’ont pas les animaux.
Enlever la capacité linguistique aux animaux, parce qu’ils n’ont pas la Raison est aussi
un thème de la philosophie stoïcienne.
Si des philosophes , des anciens ,ont affirmé que
les animaux parlaient, c’est parce qu’ils ont critiqué Aristote et les stoïciens : cette
critique fut d’abord l’œuvre des platoniciens , comme Plutarque, puis ensuite des
sceptiques.
Une des bases de la critique que fait Plutarque, c’est la contestation de la thèse
( thèse stoïcienne d’origine ) d’une séparation entre l’homme et l’animal fondée sur
l’affirmation que les animaux possèdent le « logos prophorikos » ( langage proféré)
mais n’ont pas le « langage endiathétos » ou langage intérieur, qui s’identifie à la
pensée, de la sorte les animaux ne sont pas des êtres raisonnables.
( même
distinction chez Aristote, qui on l’a vu accorde « la voix » aux animaux, mais pas la
raison, ni la pensée, qui est « le discours que l’âme se tient à elle-même en silence » )
.
Comme platonicien ( du II° siècle), Plutarque ne s’attaque pas à Platon et d’ailleurs la
méthode utilisée par le disciple de Socrate, le conduit à définir l’homme comme un «
bipède sans plume » ( dans Le politique).
Ainsi, d’après Plutarque, les animaux n’étant pas dépourvu de raison, ils pensent
,communiquent entre eux et ont les vertus morales qu’Aristote et les stoïciens
n’attribuaient qu’à l’homme.
La démarche sceptique est un peu différente ,car elle vise à contester tous les
dogmatiques dont les quatre principaux dans l’antiquité sont Platon, Aristote,
Chrysippe et Épicure.
La critique sceptique vise l’orgueil de l’homme qui se croît le seul à disposer d’un
pouvoir de connaissance, en fait l’homme ne peut pas connaître la nature des choses il
en est réduit à raisonner sur des apparences sensibles, à ce point de vue, il n’a pas
une supériorité sur les animaux.
Sextus Empiricus soutient dans ses Esquisses
pyrrhoniennes ( livre premier ,chap.14), non seulement que les animaux raisonnent
,mais qu’on ne peut pas exclure qu’ils aient un mode de communication linguistique
que les hommes ne comprennent pas, de la même manière les hommes de telle
communauté ne comprennent pas les hommes d’une autre communauté qui parlent
une langue différente.
En voilà assez sur l’état de problème traditionnel concernant le langage car , sans être
tout-à-fait exhaustif, nous avons identifié les « anciens » évoqués par Descartes ( ces
« anciens qui attribuaient le langage, ce qu’il nous faut maintenant, c’est expliquer
pourquoi le problème va prendre une autre allure avec Descartes au point qu’il n’est.
»
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