En quoi l'histoire est-elle à la fois un savoir indispensable et une science impossible ?
Publié le 11/03/2004
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Le nez de Cléopâtre, s'il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé. (Pensées) Pascal défend ici l'idée d'une histoire gouvernée par le hasard où de petites causes peuvent changer profondément le cours des évènements. A rapprocher de cette autre citation : Cromwell allait ravager toute la Chrétienté; la famille royale était perdue, et la sienne à jamais puissantes, sans un petit grain de sable qui se mit dans son uretère (Pensées).
L'historien répond à une exigence de vérité, le problème étant qu'il raconte un passé auquel il n'a pas été présent. Toutefois cette exigence de vérité ne suffit pas à faire de l'histoire une science. Toute science a pour but de dégager des constantes ou lois universelles et prédictives. Or, l'histoire est une discipline purement empirique : il n'y a pas de lois universelles de l'histoire comme il y a des lois en physique. L'histoire peut seulement nous enseigner comment les choses se sont passées, et non comment elles se passeront. Si donc nous définissons une science par son objet, alors l'histoire n'est pas une discipline scientifique ; en revanche, elle l'est peut-être par sa méthode : l'historien a pour but de dire ce qui s'est réellement passé à partir de traces qu'il authentifie et qu'il interprète.
«
Ainsi, si le souci d'expliquer se heurte en histoire à certains obstacles, faut-il forcément le déplorer ? L'homme n'est-il pas un objet privilégié qu'il conviendrait de respecter, plutôt que de s'acharner à le confondre avec d'autres? Ainsi,la démarche explicative de la science a pour finalité de prévoir : le phénomène expliqué n'est pas seulement lemobile que j'expérimente ici et maintenant.
Il est ce qui entrera dans une loi, c'est-à-dire à La fois dans la nécessitéet l'universalité : le corps qui tombe ici et maintenant est le corps qui demain tombera de la même façon, parce queje viens de trouver l'explication de ce qui le fait tomber.
Je peux établir la vérité selon laquelle tous les corpstombent.
Mais impossible en histoire de prévoir une autre révolution française identique à celle d'il y a deux centsans.
Rien ne se répète car il s'agit d'événements et non de phénomènes : une part d'humanité y intervient qui faitqu'ils n'obéissent pas seulement aux lois naturelles, mais sont le résultat de la subjectivité humaine, des désirs, desbuts, des raisons.L'histoire devra donc, pour saisir cette subjectivité à l'oeuvre dans l'histoire, se faire elle-même subjective, pour neplus expliquer mais pour justement comprendre.
Elle devra en quelque sorte se faire «savoir», non plus au sensd'information, mais au sens de système : dépasser les simples connaissances pour les aborder dans une visionglobale des choses qui puisse rendre compte d'un sens, du devenir des hommes, sans que ce devenir ne soit enaucune façon prévu ni prévisible dans ses particularités.
C'est de cette manière peut-être que l'histoire est aussi, àtravers ce qu'elle nous montre, philosophie de l'histoire.
On pourra y voir l'Esprit universel (substance spirituelle detoutes choses, devenue consciente d'elle-même) se réalisant comme liberté dans la construction d'un État de droit(Hegel), ou bien encore la Matière guidant les hommes vers une société parfaite et juste (Marx).
Et, en ce sens,l'histoire nous donne un modèle à suivre ou auquel croire.
Elle est «savoir absolu» : l'Esprit se contemple lui-mêmedans sa quête de Liberté.
Il n'y a de liberté véritable que dans et par l'État.
«L'État, comme réalité en acte de la volonté substantielle, [...] est lerationnel en soi et pour soi [...] dans lequel la liberté obtient sa valeursuprême.
» Hegel, Principes de la philosophie du droit (1821).
• Hegel se situe ici dans la lignée d'Aristote, pour qui l'homme ne réalise sanature d'homme que dans la cité: c'est dans l'État que l'esprit de l'hommes'objective, sort de sa subjectivité restreinte pour se hausser au niveau de lacollectivité et de l'histoire.
Par l'État, l'homme parvient au-delà de sa simpleindividualité.• C'est pourquoi ce n'est que dans et par l'État que l'homme réalise vraimentsa liberté.
Cela peut paraître paradoxal, puisque l'État impose ses lois àl'individu.
Mais le rôle de l'État n'est pas seulement répressif: c'est l'État quifait de l'individu un sujet de droit.
Mais aussi, elle dépasse la science qui, elle, ne nous donne aucune indicationsur la «marche à suivre» pour être heureux! Et comment nier que ce savoirsoit indispensable lorsque justement il concerne le bonheur des hommes.
Ildevient ici essentiel et non plus simplement nécessaire.Mais, du même coup, le rapport entre science et savoir est à repenser. L'histoire n'est plus cette science impossible qui, à défaut, n'est que savoir.
Elle devient ce savoir précieux etspécifique que «même la science » ne peut atteindre ! Et, d'une certaine manière, l'histoire dépasse et surmonte sesdéfauts.
Elle se fait valoir comme savoir et n'est plus simple science.
C'est donc parce qu'elle est science impossiblequ'elle devient savoir indispensable.
L'effet ici est bénéfique : en échappant à la «scientificité », l'histoire apporteraà l'homme le sens que justement la science ne peut lui apporter.Mais l'histoire ici ne cherche-t-elle pas encore à ressembler à la science : elle vise un intérêt, faire progresserl'humanité, espérer, et si elle ne peut prévoir à partir d'une loi universelle, elle cherche toujours à orienter le futur enfonction du passé.
Ne faudrait-il pas alors concevoir un autre rapport possible ? L'histoire ne doit-elle pas davantageencore chercher à se séparer radicalement de la science ?
Le problème est en effet de savoir ce qui, dans la science, peut être préjudiciable.
Comment servir l'hommeautrement et contre la science? En quoi l'histoire pourrait-elle le faire ? En fait, le rôle de la science est, semble-t-il,de protéger l'homme de la vie, en la lui cachant, en lui faisant croire qu'il y a un monde, bien ordonné et soumis àdes lois, rassurant.
La philosophie de l'histoire joue en réalité le même rôle : donner à l'homme l'espoir, et l'illusionpeut-être, d'un monde idéal.
Elle prive l'homme d'une démarche fondamentale : créer son propre monde ens'arrachant peut-être au passé.Alors, que doit être l'histoire? quel savoir indispensable? en quel sens ?Or n'y a-t-il rien de plus indispensable qu'un savoir tourné vers la vie, vital : ni utile ni nécessaire, mais générateurde vie telle qu'elle est et sera toujours, «injuste», passionnée (Nietzsche).
Le but est alors de comprendre que lepassé n'est que passions.
Voilà peut-être la manière dont on peut envisager l'histoire : non plus comme un modèlemais comme refus de tout modèle.Dans ce cas, il ne faut surtout pas que l'histoire ressemble à la science, si justement elle veut être un savoirindispensable.
Tout effort explicatif ou même compréhensif - chercher un sens caché - relèverait de la démarchescientifique : prévoir le futur à partir du passé.
Si l'histoire est à la fois un savoir indispensable et une scienceimpossible, c'est ici parce que l'un lui interdit l'autre..
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