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En quoi les pratiques culturelles révèlent-elles une appartenance sociale?

Publié le 04/10/2014

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En quoi les pratiques culturelles sont-elles révélatrices d'une appartenance sociale ? Les pratiques culturelles : déterminisme et interaction (1) I. Les pratiques culturelles : déterminisme et légitimité   Les pratiques culturelles ne sont pas liées à des goûts innés, elles ne sont pas l'expression d'une pure subjectivité individuelle. Elles résultent au contraire de déterminismes sociaux : la place des individus dans l'espace social influence de façon décisive leurs pratiques culturelles. Ces pratiques culturelles sont elles mêmes hiérarchisées, elles font l'objet de jugements sociaux qui contribuent à reproduire la différenciation sociale et les phénomènes de domination.   A. La détermination sociale des pratiques culturelles   Si le sexe joue peu en général dans les différences de pratiques culturelles, son influence n'est pas négligeable en ce qui concerne la lecture : les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à lire. On constate aussi que les jeunes de 15 à 24 ans vont plus souvent au cinéma que le reste de la population et que les cadres et professions intellectuelles supérieures visitent plus souvent un musée, une exposition ou un monument historique. Une grande proportion des agriculteurs et des ouvriers non qualifiés ne va jamais au cinéma, alors qu'une minorité seulement des cadres et professions intellectuelles supérieures est dans ce cas. De même, un quart des cadres lisent souvent un quotidien national mais très peu d'agriculteurs et d'ouvriers non qualifiés font de même. Les ouvriers qualifiés et les agriculteurs sont nombreux à n'avoir lu aucun livre dans l'année alors que très peu de cadres sont dans ce cas. Comment peut-on expliquer ce déterminisme social ? De nombreux facteurs jouent simultanément et parfois se renforcent. Une première variable explicative est constituée par le revenu : certaines pratiques culturelles sont onéreuses (opéra, théâtre, cinéma) et les catégories à revenu modeste consomment moins de ces biens supérieurs dont l'élasticité revenu est supérieure à 1. Un autre facteur explicatif est le lieu de résidence qui influence fortement l'offre de services culturels : par exemple les agriculteurs sont le plus souvent plus éloignés d'une salle de cinéma ou d'un opéra que ne le sont les habitants des grandes villes voire des villes moyennes. L'âge enfin joue un rôle important car il est lié à des modes de sociabilité : les jeunes ont des activités plus collectives, plus orientées vers les sorties, alors que les personnes plus âgées accordent une place plus importante à la vie domestique (c'est ce qui explique que la fréquentation du cinéma décroisse régulièrement avec l'âge). Cependant, ces facteurs n'expliquent pas tout : il existe une forte différenciation sociale pour la visite des musées alors que le coût n'en est pas prohibitif, de même en ce qui concerne la lecture des quotidiens nationaux. Les travaux de Pierre Bourdieu (à propos de la visite des musées notamment) ont permis de mettre en évidence l'importance du capital culturel. Celui-ci détermine non seulement des goûts, des compétences objectives, mais aussi le sentiment d'être autorisé (ou pas) à avoir tel ou tel type de pratique culturelle. Les enquêtes montrent en effet que les individus appartenant aux milieux populaires peu dotés en capital culturel considèrent que la « grande culture » (musées, concerts de musique classique, etc.) n'est pas pour eux. Bourdieu a proposé le concept d'habitus pour rendre compte du fait que des dispositions sont intériorisées par les individus et qu'elles génèrent ensuite des pratiques qui sont perçues par les agents comme allant de soi, comme exprimant des choix souverains. Cela explique aussi pourquoi, dans les milieux fortement dotés en capital culturel, il va de soi que l'on aime la musique baroque et le jazz et que l'on ne va pas visiter une ville sans fréquenter le musée dés lors qu'il présente un certain intérêt culturel. Cet habitus est lui même incorporé au cours du processus de socialisation (primaire et secondaire). Par exemple, même si la relation n'a rien de mécanique, il existe un lien fort entre les pratiques de lecture des parents et le goût pour la lecture des enfants. Plus fondamentalement, la socialisation permet d'acquérir un type de langage, de prendre l'habitude de certains centres d'intérêt, elle donne une aisance et une familiarité dans le rapport aux oeuvres culturelles. Dans certains cas d'ailleurs (voir les travaux de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot sur la bourgeoisie) les oeuvres d'art font partie du patrimoine familial et l'intérêt pour les productions culturelles fait l'objet de normes sociales très contraignantes. A l'inverse (voir les romans d'Annie Ernaux) dans certains milieux défavorisés, l'intérêt pour certains produits culturels, considérés comme étrangers à l'univers familial et social, fait l'objet d'un discrédit. Cela joue même sur la socialisation scolaire où, dans certains cas, les bons élèves sont traités de  « bouffons ». Socialisation familiale, influence de l'école, influence des groupes de pairs, poids des normes sociales, facteurs économiques : autant de facteurs qui se combinent et qui font que, selon Pierre Bourdieu, il existe une « loi » qui fait que le capital culturel va au capital culturel.    B. La théorie de la légitimité culturelle et les limites de la démocratisation de la culture   Ce processus de reproduction des inégalités culturelles est paradoxal dans une société démocratique où les progrès de la scolarisation ont été importants, où l'Etat a mis en place des politiques culturelles visant à démocratiser l'accès à la culture et où les dépenses du poste « culture et loisirs » du budget des ménages augmentent. On constate, de fait, une tendance à l'augmentation de la proportion des diverses catégories sociales qui participent à des activités culturelles et certains sociologues se demandent si, sous l'effet du développement d'une « culture de masse », on n'assiste pas à une certaine indifférenciation des pratiques culturelles. Il semble bien qu'il n'en soit rien et la participation aux diverses pratiques culturelles reste fortement influencée par le milieu social d'origine et par le milieu social d'appartenance. La théorie de la socialisation comme intériorisation et incorporation de l'habitus explique bien cette détermination sociale des pratiques culturelles. Mais pour rendre compte de la persistance de ces inégalités culturelles, il faut prendre en compte la théorie de la légitimité culturelle. Celle-ci s'inscrit dans une théorie plus large de la reproduction sociale qui souligne que les hiérarchies sociales ne sont pas naturelles et ne sont pas produites une fois pour toutes. Il existe, comme l'écrivait Pierre Bourdieu : « une lutte de classe pour le classement ». Les catégories dominantes ne peuvent conserver leur position qu'au prix de la mise en oeuvre d'une série de stratégies visant à leur conserver le contrôle des différentes catégories de capitaux : capital économique bien sûr, mais aussi capital social, capital symbolique et capital culturel. Dans cette approche, les pratiques sociales et en particulier la consommation et les pratiques culturelles, permettent aux individus et aux groupes de se distinguer, de marquer une barrière avec les catégories sociales inférieures (Edmond Goblot : La barrière et le niveau). Cette distinction relève du capital économique (marque des vêtements, voyages, biens de consommation coûteux, etc.), mais aussi du capital symbolique (il est important d'être vu à l'opéra ou dans le vernissage d'une exposition), du capital social (les pratiques cultu...

« perçues par les agents comme allant de soi, comme exprimant des choix souverains.

Cela explique aussi pourquoi, dans les milieux fortement dotés en capital culturel, il va de soi que l’on aime la musique baroque et le jazz et que l’on ne va pas visiter une ville sans fréquenter le musée dés lors qu’il présente un certain intérêt culturel. Cet habitus est lui même incorporé au cours du processus de socialisation (primaire et secondaire).

Par exemple, même si la relation n’a rien de mécanique, il existe un lien fort entre les pratiques de lecture des parents et le goût pour la lecture des enfants.

Plus fondamentalement, la socialisation permet d’acquérir un type de langage, de prendre l’habitude de certains centres d’intérêt, elle donne une aisance et une familiarité dans le rapport aux oeuvres culturelles.

Dans certains cas d’ailleurs (voir les travaux de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot sur la bourgeoisie) les oeuvres d’art font partie du patrimoine familial et l’intérêt pour les productions culturelles fait l’objet de normes sociales très contraignantes.

A l’inverse (voir les romans d’Annie Ernaux) dans certains milieux défavorisés, l’intérêt pour certains produits culturels, considérés comme étrangers à l’univers familial et social, fait l’objet d’un discrédit.

Cela joue même sur la socialisation scolaire où, dans certains cas, les bons élèves sont traités de « bouffons ».

Socialisation familiale, influence de l’école, influence des groupes de pairs, poids des normes sociales, facteurs économiques : autant de facteurs qui se combinent et qui font que, selon Pierre Bourdieu, il existe une « loi » qui fait que le capital culturel va au capital culturel.

B.

La théorie de la légitimité culturelle et les limites de la démocratisation de la culture Ce processus de reproduction des inégalités culturelles est paradoxal dans une société démocratique où les progrès de la scolarisation ont été importants, où l’Etat a mis en place des politiques culturelles visant à démocratiser l’accès à la culture et où les dépenses du poste « culture et loisirs » du budget des ménages augmentent.

On constate, de fait, une tendance à l’augmentation de la proportion des diverses catégories sociales qui participent à des activités culturelles et certains sociologues se demandent si, sous l’effet du développement d’une « culture de masse », on n’assiste pas à une certaine indifférenciation des pratiques culturelles.

Il semble bien qu’il n’en soit rien et la participation aux diverses pratiques culturelles reste fortement influencée par le milieu social d’origine et par le milieu social d’appartenance.

La théorie de la socialisation comme intériorisation et incorporation de l’habitus explique bien cette détermination sociale des pratiques culturelles.

Mais pour rendre compte de la persistance de ces inégalités culturelles, il faut prendre en compte la théorie de la légitimité culturelle.

Celle-ci s’inscrit dans une théorie plus large de la reproduction sociale qui souligne que les hiérarchies sociales ne sont pas naturelles et ne sont pas produites une fois pour toutes.

Il existe, comme l’écrivait Pierre Bourdieu : « une lutte de classe pour le classement ».

Les catégories dominantes ne peuvent conserver leur position qu’au prix de la mise en oeuvre d’une série de stratégies visant à leur conserver le contrôle des différentes catégories de capitaux : capital économique bien sûr, mais aussi capital social, capital symbolique et capital culturel.

Dans cette approche, les pratiques sociales et en particulier la consommation et les pratiques culturelles, permettent aux individus et aux groupes de se distinguer, de marquer une barrière avec les catégories sociales. »

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