En quoi le langage est-il spécifiquement humain ?

« l'activité de penser fait bien usage du langage, mais cet usage très particulier, et aussi très intime, du langage dans la pensée montre bien que la première des destinations du langa ge n'est pas de communiquer avec autrui.

C'est là seulement une de ses finalités, pratique, une de ses possibilités.

Il n'est à ce titre qu'une commodité qui raccourcit le circuit de la compréhension et de l'échange entre individus.

Le langage n'est donc p as spécifiquement humain au titre de moyen de communication, mais à celui de substance de la pensée.

Le langage lui donne tout à la fois son contenu et sa matière — les mots — , et aussi sa forme — celle d'un entretien intérieur. Ce qui est en jeu avec le l angage, c'est donc la pensée.

Hegel (1770 - 1831) écrit pour sa part : « C'est dans les mots que nous pensons.

Nous n'avons conscience de nos pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité, et par suite, nous les marquons d'une Arme externe, mais d'une forme qui contient aussi le caractère de l'activité interne la plus haute...

Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c'est une tentative insensée.

» La thèse de Hegel est cl aire : pas de pensée sans langage.

Hegel lui donne un autre sens que Platon.

Il veut dire que la pensée n'existe pas comme simple réalité mentale intérieure, mais seulement comme réalité extérieure, sous cette forme objective et publique que seul le langag e peut lui donner. De ce point de vue, le langage n'est pas le simple moyen qui permet aux hommes d'exprimer leurs états d'âme, leurs sentiments, leurs pensées, leurs émotions ou impressions intérieures; bref, d'exprimer leur subjectivité.

S'il est spécifi quement humain, c'est que seul l'homme possède, dans son langage articulé fait de mots, le moyen d'accéder à la pensée objective, qui caractérise aussi la pensée rationnelle.

Plus profondément, l'être humain tout entier, par le langage, cesse d'exister seu lement comme réalité intérieure, subjective, un être juste capable de se sentir vivre ; il accède à une existence objective ; qu'il manifeste dans la capacité de se penser, de penser sa vie.

« Penser la vie» : tel était le grand objectif de la philosophie selon Hegel.

Mais ce devrait être aussi la tâche propre de tout homme qui voudrait vivre et penser à la hauteur des possibilités que lui offre le langage. Enfin, le langage est spécifiquement humain en un autre sens.

S'il est la condition de la pensée, il est aussi celle de son existence politique.

Cette idée se trouve développée par Aristote (384 -322 av.

J. -C.), dans un texte célèbre extrait de La Politique , dans lequel il écrit : « L'homme est par nature un animal politique.

» L'argumentation est la suiva nte : seul de tous les animaux, l'homme possède le langage (logos).

En effet, les animaux sont dotés de la capacité de proférer des sons ( phonè , en grec), qui leur sert à indiquer tout au plus le plaisir et la douleur.

Or, les hommes, eux, grâce au langage , peuvent. »