En quel sens peut-on dire que l'homme n'est pas un être naturel ?
Publié le 17/01/2022
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Question surprenante au premier abord, car l'homme est bien issu du processus d'évolution de la vie sur la terre. Il est donc bien un être naturel. En tant qu'être vivant, il ne survit que par son milieu naturel. Mais nous voyons que ces caractéristiques peuvent définir tout être vivant. Or quelque chose distingue l'homme de tous les autres vivants : l'usage qu'il fait de son être. L'homme use en effet de ses facultés naturelles pour sortir de sa condition simplement naturelle : il est un être culturel. C'est en inventant ses propres conditions d'existence que l'homme s'extrait de la nature. Ainsi, l'éducation permet à l'individu de modifier son rapport au monde ; et elle permet aux générations successives de se transmettre cet héritage humain que l'on appelle "progrès" L'humanité a conscience à chaque époque de son existence, de la place qu'elle occupe dans le temps. Les peuples se déterminent en fonction du passé et de l'avenir. L'homme agit à la fois comme héritier de sa tradition et comme responsable de son destin. En ce sens l'homme est un être historique, ou "historial" (Heidegger) : son être est lié au temps. Par le langage, l'homme échange avec ses semblables des idées, il débat au sujet de valeurs (c'est-à-dire de ce qu'il juge le meilleur) ; il choisit son mode d'existence et peut même choisir de sacrifier sa vie pour un idéal (et non pour la survie de l'espèce comme certains animaux). Il conclut des pactes avec ses semblables, édicté des règles qui se superposent aux lois de la nature. C'est donc parce qu'il est un être culturel qu'il n'est pas un être naturel. Toutefois, doit-on dissocier aussi nettement nature et culture ? La culture n'est-elle pas rendue possible par la perfectibilité (Rousseau, Second Discours), qui provient de la nature ?
Nous distinguons spontanément l'homme de l'animal: pour le bon sens commun en effet, les hommes ne sont pas des animaux. Et quand nous parlons, par exemple, « de vivre près de la nature « ou « d'aimer la nature «, nous mettons dans cette nature les pierres, les plantes, les animaux, mais non pas les hommes. Toutefois l'homme est bien un être vivant tout comme les autres animaux. Et à ce titre ne fait-il pas, lui aussi, partie de la nature ? Mais alors, en quel sens peut-on dire qu'il n'est pas un être naturel ?
- L'homme n'est pas naturel
Distinguer nature et culture. La culture, négation de la nature : travail et interdits. La prohibition de l'inceste. Le langage.
- Rapport du naturel et du culturel
Une étroite imbrication. Un exemple: se nourrir. Surmonter l'opposition ?
«
l'isoler un enfant nouveau-né, et à observer pendant les premiers jours de sa naissance.
Mais une telle approches'avère peu certaine parce qu'un enfant né est déjà un enfant conditionné.
Une partie du biologique à la naissanceest déjà fortement socialisé.
En particulier les conditions de vie de la mère pendant la période précédantl'accouchement constituent des conditions sociales pouvant influer sur le développement de l'enfant.
On ne peutdonc espérer trouver chez l'homme l'illustration de comportement préculturel.
La deuxième méthode consisterait à recréer ce qui est préculturel en l'animal.
Observons les insectes.
Queconstatons-nous ? Que les conduites essentielles à la survivance de l'individu et de l'espèce sont transmiseshéréditairement.
Les instincts, l'équipement anatomique sont tout.
Nulle trace de ce qu'on pourrait appeler « le modèle culturel universel » (langage, outil, institutions sociales, et système de valeurs esthétiques, morales ou religieuses).
Tournons-nous alors vers les mammifères supérieurs.
Nous constatons qu'il n'existe, au niveau du langage, desoutils, des institutions, des valeurs que de pauvres esquisses, de simples ébauches.
Même les grands singes, ditLévi-Strauss , sont décourageants à cet égard : « Aucun obstacle anatomique n'interdit au singe d'articuler les sons du langage, et même des ensembles syllabiques, on ne peut qu'être frappé davantage par sa totale incapacitéd'attribuer aux sons émis ou entendus le caractères de signes .
» Les recherches poursuivies ces dernières décennies montret, dit Lévi-Strauss que « dans certaines limites le chimpanzé peut utiliser des outils élémentaires etéventuellement en improviser », que « des relations temporaires de solidarité et de subordination peuvent apparaîtreet se défaire au sein d'un groupe donné » et enfin qu' « on peut se plaire à reconnaître dans certaines attitudes singulières l'esquisse de formes désintéressées d'activité ou de contemplation ».
Mais, ajoute Lévi-Strauss , « si tous ces phénomènes plaident par leur présence, ils sont plus éloquents encore –et dans un tout autre sens, parleur pauvreté ».
De plus, et c'est là sans doute la caractéristique la plus importante, « la vie sociale des singes ne se prête à la formulation d'aucune norme ».
A partir de cette constatation, Lévi-Strauss indique ce qui lui semble être le critère de la culture : « Partout où la règle se manifeste, nous savons avec certitude être à l'étage de la culture. » Mais les règles institutionnelles qui fondent la culture sont particulières et varient d'une société à l'autre.
On peut donc affirmer que l'universel, ce quiest commun à tous les hommes, et la marque de leur nature.
C'est donc ce double critère de la norme (règle) et del'universalité qui permet –dans certain cas- de séparer les éléments naturels des éléments culturels chez l'homme :« Posons donc que tout ce qui est universel chez l'homme relève de la nature et se caractérise par la spontanéité,que tout ce qui est astreint à une norme appartient à la culture et présente les attributs du relatif et duparticulier. » Mais ce double critère posé, nous nous trouvons confrontés avec un fait unique en son genre : la prohibition de l'inceste.
Celle-ci, en tant qu'institution relève de la règle et donc de la culture.
Mais, en mêmetemps, elle est un phénomène universel et semble donc relever de la nature.
Une contradiction donc, un mystèreredoutable : « La prohibition de l'inceste possède, à la fois, l'universalité des tendances et des instincts, et le caractère coercitif des lois et des institutions. »
Le langage.
Lié à la socialisation, puisqu'il a une fonction d'échange, le langage, apparaît, en outre, doué d'une fonctionsymbolique qui permet à l'homme de rompre avec l'adaptation immédiate au monde (à la nature), et de mettre cemonde pour ainsi dire à distance, afin de le penser.
Nous sommes l'espèce parlante ; le langage –soit, dirait-on aujourd'hui, la faculté d'exprimer des pensées à l'aide de signes articulés- est le propre de l'homme, à tel point que cette possession exclusive suffit à le différencieressentiellement des bêtes.
Cette thèse n'a rien que de très traditionnel.
Elle remonte au moins à Aristote , qui au livre I de ses « Politiques », immédiatement après avoir signalé que « l'homme est par nature un vivant politique », relève que « seul entre les vivants, l'homme a un langage » (ce dernier terme étant censé traduire le grec « logos »).
Ces deux définition de l'homme sont naturellement indissociables.
La possession du langage par l'homme se marque en effet à ceci, tout d'abord,qu'il s'adresse à ses semblables, au milieu desquels il vit, et peut aussi voirson comportement modifié par leurs paroles.
Parler c'est « parler-à » (un autre que moi).
Avoir le langage, c'est aussi pouvoir être affecté par la parolede l'autre.
Cette manière proprement humaine de vivre que détermine lapossession du langage serait donc impossible en dehors de la Cité.
En même temps, l'existence politique, qui suppose la délibération en commun et la persuasion réciproque, la parole adressée en une languepartagée, n'est à la portée que du vivant parlant.
Certes, des bêtes peuventtrouver le moyen de signaler par des sons leurs sensations douloureuses ouagréables.
Mais, souligne Aristote , seuls les hommes, ces vivants qui contrairement aux autres se tiennent droit, regardent devant eux et émettentleur voix vers le devant, sont en mesure de se manifester mutuellement.
»
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