En quel sens peut-on dire que l'homme a besoin d'illusion ?
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
«
comme œuvre de la raison est pour Nietzsche une illusion non pas parce qu'elle prétend, comme l'affirmait Kant,connaître le monde vrai du noumène alors qu'elle ne peut l'atteindre, mais par le fait même qu'elle pose cet être.
Enrenversant toute métaphysique, Nietzsche peut s'exclamer « Nous avons aboli le monde vrai : quel monde restait-il ?Peut-être celui de l'apparence ?...
Mais non ! En même temps que le monde vrai, nous avons aussi aboli le mondedes apparences ! »
b) La vérité ? une sorte d'erreur• Selon Nietzsche, en effet, « la vérité est une sorte d'erreur, faute de laquelle une certaine espèce d'être vivantsne pourraient vivre.
Ce qui décide en dernier ressort, c'est sa valeur pour la vie » (La Volonté de Puissance, t.
I, 1.II, § 308).
La vérité, est une erreur dans la mesure où elle ne dévoile pas la Vérité originaire, la Vérité propre del'Être, qui est «le flux éternel de toutes choses».
Cette Vérité originaire n'est pas à proprement parler puisqu'elle estdevenir, elle est l'Abîme où s'abîment toutes choses, elle est donc incompatible avec la vie : « on ne peut pas vivreavec la Vérité» (id., t.
II, 1.
III, § 557); «il serait possible que la véritable nature des choses fut tellement nuisible,tellement hostile aux conditions mêmes de la vie, que l'apparence fût nécessaire pour pouvoir vivre» (id., I, 212).La vie, expression de la Volonté de Puissance, a donc besoin, pour être, de voiler cette Vérité.
Elle a besoind'organiser le devenir, d'affirmer l'être contre le devenir, elle a besoin de Y illusion.
C'est cette illusion nécessairequ'elle se donne pour «vérité».
Une telle vérité est ainsi une création de la vie.
• Dans ces conditions il n'y a pas de vérité impersonnelle, et ce qui fonde la vérité d'une chose c'est sa conformitéavec les exigences vitales de chaque être.
C'est la Volonté de Puissance qui est à l'œuvre dans les jugements devérité : « A l'origine, le jugement ne signifie pas seulement «ceci et cela est vrai», mais bien davantage: «je veuxque ceci soit vrai de telle ou telle manière» (Œuvres posthumes, § 302).
Toute connaissance, même laconnaissance «objective», scientifique, sera ainsi l'expression d'un instinct de domination puisqu'elle ne tend pas àdécouvrir le réel, à le dévoiler, à le laisser se montrer tel qu'il est dans sa Vérité originaire, mais à l'organiser, à lecontraindre à se plier aux valeurs, aux normes définies par la Volonté de Puissance du sujet, à ses options vitales.Connaître, c'est mettre autoritairement en forme le réel, c'est instituer des « vérités » qui n'ont qu'une valeurutilitaire, celle de répondre au désir de conservation et à l'augmentation de la puissance d'une espèce ou d'un êtrevivant : « Comment se prouve la vérité ? Par le sentiment d'une puissance accrue, par son utilité, par sa nécessité,bref par ses avantages » ( Vol.
de Puis., t.
I, 1.
I, § 190).
3) quelques formes d'illusion selon Nietzsche
Cette illusion nécessaire à la vie prend de multiples formes.
a) L'illusion du savoirComme nous l'avons vu, aucun savoir n'est jamais « objectif», neutre, impersonnel.
Il reflète toujours les exigencesvitales de ses auteurs.
À travers ce savoir s'expriment des dispositions physiologiques, une certaine relation ducorps et de la volonté à la réalité.
Ainsi, le projet philosophique (ou scientifique) tout entier, qui est projet deprivilégier la connaissance, d'affirmer la supériorité du savoir sur le non-savoir, sur l'illusion, etc., constitue un pointde vue, une évaluation qui sont rendus nécessaires par l'état de ceux qui le forment (l'état de leur Volonté dePuissance).
Nietzsche nomme idiosyncrasie cette disposition des êtres qui entraîne leurs réactions propres.
b) L'illusion du langage« L'importance du langage dans le développement de la civilisation, observe Nietzsche, réside en ce que l'homme y asitué, à côté de l'autre, un monde à lui, un lieu qu'il estimait assez solide pour, s'y appuyant, sortir le reste dumonde de ses gonds et s'en rendre maître.
Dans la mesure même où l'homme a cru aux concepts et aux noms deschoses comme à autant de vérités éternelles, il a vraiment fait sien cet orgueil avec lequel il s'élevait au-dessus del'animal : il s'imaginait réellement tenir dans le langage la connaissance du monde.
L'artiste du verbe n'était pasassez modeste pour croire qu'il ne faisait qu'attribuer des dénominations aux choses, il se figurait au contraireexprimer dans ses mots le suprême savoir des choses; le langage est en fait la première étape dans la quête de lascience.
» ( Humain, trop humain, I, 11.) Le langage est ainsi, comme l'art ou la science, une illusion qui cache lavéritable nature des choses.
c) L'illusion de l'artLes illusions de l'art peuvent jouer un rôle comparable à celui des illusions du «savoir» : «celui-ci est captivé par leplaisir socratique de la connaissance et l'illusion de pouvoir guérir par ce moyen l'éternelle blessure de l'existence,celui-là s'embarrasse dans les plis séduisants du voile de la beauté.
» {Naissance de la Tragédie, coll.
Médiations p.116).
L'art, en ce sens, est voile d'illusion ; il nous donne quiétude ou euphorie parce qu'il nous divertit de l'abîme, lerend, parfois, invisible.
Ici, l'art est un narcotique au même titre que le « savoir».
conclusion
L'on peut dire que l'homme a besoin d'illusion en ce sens que l'illusion répondrait à une nécessité profonde de la vie,au point que l'instance à laquelle il revient en principe de dénoncer l'illusion : la raison, serait elle-même productriced'illusion..
»
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