En quel sens peut-on dire que la raison affranchit l'homme de la nature ?
Publié le 08/02/2004
Extrait du document
«
[1.
La raison étouffe la nature en chaque homme]Le texte de Kant le rappelle : l'homme est, aussi, un être naturel.
L'affranchir définitivement de l'instinctif et duspontané revient ainsi à tuer ou à refouler une partie de ce qui le constitue comme être humain.
Ne s'agit-il pas ence cas d'une fausse libération ? Dans le Gorgias de Platon, Calliclès explique ainsi à Socrate, que la loi (« nomos »),que l'on pourrait aussi nommer raison commune, oblige les individus à refouler leurs passions (leur nature.
« phusis »)et à se couler dans un moule uniformisant avantageant en réalité les plus faibles.
Elle bride ainsi toutes les énergieset empêche chacun de s'exprimer en toute indépendance, sans contraintes.
En ce sens, la raison étouffe la voix dela nature et favorise la médiocrité.
[2.
La raison comme voie du superflu et du trouble]On a montré plus haut que l'éveil de la pensée consciente permettait à l'homme de s'émanciper du seul instinct etde déroger au cours déterminé des choses.
Mais cela a une conséquence, contraire à la notion de libération : laraison ouvre à l'homme le chemin de ce qui n'est pas naturel, bref, du superflu et de l'inutile.
Dans la Lettre àMénécée, Épicure nomme l'ensemble de ces désirs des désirs « ni naturels ni nécessaires » : tel met raffiné etcoûteux au lieu d'un simple morceau de pain, tel type et couleur d'étoffe à la place d'un morceau de toilequelconque.
Mais ce n'est pas tout.
La raison introduit aussi en l'homme bon nombre de craintes sans objet, quiempêchent l'esprit d'atteindre l'ataraxie, l'absence de trouble.
Parmi ces craintes figure la crainte de la mort, quiprocède du fantasme et non de la réalité.
L'affranchissement par rapport à la nature devient ici synonyme d'une viegâchée, par la poursuite du superflu et les craintes sans fondement.
C'est l'opposé d'une vie libre.
Une des constances de la philosophie d'Epicure est de vanter le plaisir.
Onretrouve la formule « Le plaisir est notre bien principal et inné » dans la «Lettre à Ménécée ».
Mais l'épicurisme ne correspond guère à l'image populaireque l'on en garde : celle du « bon vivant ».
Dans cette lettre, on lit : « Toutplaisir est de par sa nature propre un bien, mais tout plaisir ne doit pas êtrerecherché ».
C'est à une compréhension véritable du plaisir, et à une gestionrationnelle des désirs que la philosophie d'Epicure nous invite, philosophie des« sombres temps », de l'époque troublée, violente, des successeursd'Alexandre le Grand.La « Lettre à Ménécée » est une description de la méthode apte à nousprocurer le bonheur.
Car si tous les hommes cherchent le bonheur, ils sont,selon le mot d'Aristote, comme des archers qui ne savent pas où est la cible,incapables de la définir et de l'atteindre.Epicure commence par expliquer que nous n'avons rien à redouter des dieux,vivants bienheureux qui ne se soucient pas des hommes, et que la mort n'estrien pour nous.
Débarrassés du souci du jugement divin et de la survie del'âme, nous sommes alors aptes à bien vivre notre vie présente.
Bien vivrenotre existence veut dire parvenir au bonheur ici-bas, et cela n'est possibleque par un bon usage des plaisirs et des désirs.L'homme est un être de désir, et selon qu'il parvient ou échoue à satisfaireses désirs, il est heureux ou misérable.Or, le bonheur est d'abord l'absence de souffrance physique oupsychologique.
C'est pourquoi Epicure déclare : « Une théorie non erronée des désirs sait rapporter tout choix à lasanté du corps et à la tranquillité de l'âme puisque c'est là la perfection même de la vie heureuse.
Car tous nosactes visent à écarter la souffrance et la peur.
»Eprouver du plaisir, c'est d'abord combler un manque : boire quand on a soif, se rassurer quand on a peur.
En soi, unplaisir est toujours bon, une souffrance, un désir non comblé, toujours mauvais.Ainsi Epicure nous incite à classer nos désirs, et à adopter face à eux une stratégie telle que nous serons facilementcomblés et rarement insatisfaits.Il y a d'abord les désirs naturels (dont certains sont naturels et nécessaires et d'autres seulement naturels) ; etensuite les désirs vains.
Les désirs naturels et nécessaires comprennent tous les désirs tels que, s'ils ne sont passatisfaits, nous mourons (boire, manger, dormir).
Les désirs seulement naturels peuvent être le désir de manger telou tel plat, ou encore le désir sexuel, etc.Mais il importe de comprendre qu'il y a des désirs vains ; désir de richesse, de gloire, d'immortalité, etc.
Ces désirsont une particularité importante ; ils sont insatiables, illimités, ils n'ont jamais de fin.Quand je connais un désir naturel, il cesse d'être dès qu'il est satisfait.
Une fois que j'ai mangé, je n'ai plus faim.
Cesplaisirs sont naturels parce qu'ils sont bornés : ils ont une limite naturelle.
A l'inverse, les désirs non naturelspeuvent être dits vains parce qu'ils ne seront jamais comblés ; ils résident dans le principe du « toujours plus »,l'illimité.
L'homme qui veut être riche, admiré, aimé, n'en a jamais fini de son désir.Il est facile de comprendre que si je veux parvenir au bonheur, à la santé du corps et à la tranquillité de l'âme, jedois éliminer les désirs vains.
Le plaisir naît de ce qu'un désir est comblé.
Mais les désirs vains sont par définitionillimités.
Le plaisir que leur satisfaction procure est illusoire et ne sert qu'à les relancer.
A peine comblé, je veuxautre chose, je veux plus ; je ne cesse de désirer, donc de manquer, donc de souffrir.
L'homme des désirs vains, du« toujours plus », Platon le comparait déjà à un panier percé ; se condamner à ne jamais être comblé.La première et principale leçon d'Epicure est donc celle-ci : ne pas céder aux désirs vains ; se contenter des désirsnaturels.
Vivre en accord avec la nature consiste d'abord à ne pas céder au vertiges des désirs illusoires.
Epicure lesnomme vains, notre époque parlerait d'une course à la consommation..
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