En quel sens la science instruit-elle la raison ?
Publié le 17/01/2022
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► On peut donc se demander si d'une façon ou d'une autre, la raison se modifie à travers son contact avec la science? Si c'est le cas, que signifie ce changement? Peut-il servir à comprendre la genèse de la raison? Est-il possible qu'il prenne la forme d'une évolution orientée dans le temps, allant vers l'épure des formes de la rationalité? Faut-il plutôt voir planer sur la raison la menace de véritables révolutions à l'occasion des révolutions scientifiques?
- La science et l'archéologie de la raison.
A-D'où nous vient la raison?
B-D'où nous viennent les propositions universelles?
C-D'où nous vient le concept de causalité?
- La science et l'histoire de la raison.
A-La notion d'obstacle épistémologique.
B-Les défaites de l'irrationnel et le rôle du négatif.
C-Vers où va la raison?
.../...
«
I.
La science et l'archéologie de la raison
1.
D'où nous vient la raison ?La réflexion peut débuter en posant la question de l'origine de nos principes logiques les plus élémentaires.
La plupart des philosophes yvoient des vérités analytiques, c'est-à-dire des énoncés qui ne peuvent être niés sans tomber dans l'absurdité.
Mais ce point de vue estau fond circulaire car il s'appuie sur ces mêmes lois (identité, contradiction, tiers exclu) qu'il entend établir.
Ne serait-il pas possible que lavraie origine de ces lois soit empirique, et que ce soit une sorte de technique préscientifique élémentaire qui, en évoluant depuis lesorigines de l'homme, ait induit, par exemple, qu'une chose ne pouvait point être et ne pas être simultanément ?
2.
D'où nous viennent les propositions universelles ?Aristote, dans les Seconds analytiques, tout en privilégiant la déduction dans sa définition de la science,pose le problème du point de départ de la déduction : d'où notre raison peut-elle tirer les propositionsuniverselles indispensables au syllogisme ? Sa réponse est claire : elles ne peuvent venir que del'induction, procédé empirique et moins rigoureux, mais qui procure à la raison, par généralisation, lesfruits de l'expérience.
3.
D'où nous vient le concept de causalité ?C'est le même type de démarche qui permet à Hume, dans l'Enquêtesur l'entendement humain, de montrer que la raison ne forme l'idée,apparemment claire et distincte, de la cause et de l'effet que par lejeu de la mémoire et de l'habitude.
Ainsi, on pourrait envisager unearchéologie de la raison exhumant les fondations gnoséologiques(relatives à la constitution des connaissances) de ce que la raison,en elle-même, a tendance à considérer comme a priori et éternel.
Hume: Expérience et Causalité
1.
La notion d'expérience : impressions et idéesPour Hume, sont données à l'esprit d'abord des impressions, àsavoir des perceptions vives, et en second lieu les idées qui en sont les copies affaiblies (Traité de la nature humaine).
Au point de départ de sa philosophie, nousrencontrons donc, non seulement des données élémentaires, mais encore des données qui ne sedistinguent que par la manière dont nous en faisons l'expérience.
Il n'y a pas d'extériorité, celle deschoses* dont nous instruisent les sens, ni d'intériorité, celle de l'esprit quand il réfléchit sur lui-même :il n'y a que l'expérience et ses critères, la vivacité ou la faiblesse du senti.
2.
La critique de la causalité : la raison comme habitudeToute la pensée relève alors des relations entre ces données et de la manière dont nous leséprouvons.
C'est dire qu'il n'y a aucune relation, si ce n'est celles que l'esprit établit.
Ainsi, l'idée decausalité, qui signifie qu'il y a une connexion nécessaire entre deux choses, la cause et l'effet, n'est pas perçue dans les choses mêmes,mais vient de ce que l'esprit prend l'habitude de les lier (Enquête sur l'entendement humain).
C'est une simple tendance de l'esprit, uneassociation spontanée entre ses idées, qui nous fait croire à une causalité que nous n'observons jamais.
II.
La science et l'histoire de la raison
1.
La notion d'obstacle épistémologiqueL'histoire des sciences montre par ailleurs que sous le terme de raison se rangent non seulement des principes aussi nets que les véritéslogiques, mais aussi tout un monde de conceptions jugées évidentes constituant pour la science autant d'obstacles épistémologiques quil'entravent dans la compréhension de ses résultats.
Par exemple, l'idée de force vitale sera l'un des obstacles que devra surmonter labiologie pour se constituer comme science.
2.
Les défaites de l'irrationnel et le rôle du négatifC'est ce genre de pression imposée par la science aux cadres de notre rationalité et la contraignant négativement à se renouveler quipermet à Bachelard d'écrire, en conclusion de La Philosophie du non : " En somme la science instruit la raison.
[...] L'esprit doit se plieraux conditions du savoir.
[...] La géométrie, la physique, l'arithmétique sont des sciences ; la doctrine traditionnelle d'une raison absolueet immuable n'est qu'une philosophie.
C'est une philosophie périmée.
”
3.
Vers où va la raison ?Il y a de ce point de vue un sens à l'histoire de la raison, même s'il ne peut se connaître qu'après coup.
En effet, selon Bachelard, unefois qu'un obstacle a été dépassé, il est caractérisé comme une irrationalité et définitivement biffé.
Grâce à la marche de la science, laraison s'épure sans cesse de ses préjugés et ne peut revenir en arrière : "L'histoire des sciences, écrit Bachelard, est l'histoire des défaitesde l'irrationalisme.
”
III.
La raison face aux révolutions scientifiques
1.
La notion de paradigmeOn peut cependant localiser dans l'histoire des sciences des bouleversements plus considérables que le simple fait de surmonter unobstacle, bouleversements que Thomas Kuhn a décrits dans son ouvrage La Structure des révolutions scientifiques.
Que devient dans cescirconstances le cadre de la rationalité (lorsque, par exemple, la physique relativiste repense une notion aussi élémentaire que celle detemps, et en fait un concept radicalement différent du temps absolu de la physique de Newton) ?
2.
Science normale et science extraordinaireKuhn montre en fait qu'à la veille d'une révolution scientifique, la plus grande partie des chercheurs évitent soigneusement de remettre encause le paradigme rationnel dominant.
Le plus souvent, les scientifiques " adaptent ” les faits gênants en multipliant les exceptions auxrègles, ou en mentionnant le rôle perturbateur d'objets inobservables, etc.
Seule une minorité de savants (croissant au fur et à mesureque se multiplient les faits en contradiction avec l'ancien paradigme) travaillent en marge, et font une science " extraordinaire ” enrepensant les cadres généraux de la rationalité.
La révolution, le remplacement de l'ancien paradigme par le nouveau, ne peut seproduire que lorsque l'ancien croule sous les théories ad hoc (artificiellement forgées pour se défendre) et que le nouveau acomplètement été constitué, " dans la clandestinité ”.
LA NOTION DE PARADIGME SELON KUHN
L'histoire des sciences, pour Kuhn, n'est pas constituée par un progrès continu et cumulatif, mais par des sauts, par des crises quivoient des paradigmes se substituer soudainement à d'autres.
Un paradigme, c'est un modèle dominant, faits de principes théoriques,de pratiques communes, d'exemples fondateurs qui soudent une communauté de chercheurs, qui orientent leur recherche etsélectionnent les problèmes intéressants à leurs yeux.
Un paradigme n'est jamais totalement explicite.
C'est pourquoi, selon Kuhn, lequestionnement scientifique n'est jamais neutre.Dans la postface à son livre La Structure des révolutions scientifiques (1 962), Kuhn cherche à classer les différentes significations duconcept de paradigme :.
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