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En quel sens est vrai ce mot de Royer-Coillard : « On ne se souvient pas des choses; on ne se souvient jamais que de soi-même. » ?

Publié le 20/06/2009

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PREMIERE REPONSE Loin de ma famille, je revois le paysage natal, ma maison, j'entends la voix de mes parents. Ces tableaux que je ressuscite du passé dans mon présent contiennent des choses et des êtres que j'ai vus, entendus, touchés, mais je ne m'y trouve pas moi-même. Or, Royer-Collard en un mot célèbre déclare : « On ne se souvient pas des choses, on ne se souvient que de soi-même. « Paradoxe sur des souvenirs, allons-nous dire ? Nous ne le croyons pas, et nous allons nous efforcer de justifier cette dernière proposition par la définition même de la mémoire, sa nature et son objet. * * * Une mise au point préalable .s'impose à nous. Il faut situer le problème dans les deux grandes tendances de la psychologie contemporaine. Avec Ribot, la mémoire consiste dans l'action persistante du passé : « Dans l'acceptation courante du mot, écrit-il, la mémoire comprend trois choses : la conservation de certains états, leur reproduction, leur localisation dans le passé. Les trois éléments sont de valeur inégale. Les deux premiers sont nécessaires, indispensables; le troisième, celui que, dans le langage de l'École, on appelle : « la reconnaissance «, achève la mémoire, mais ne la constitue pas. « L'école phénoménologique moderne semble s'accorder en ce point avec Ribot : elle s'attache en effet aux descriptions des faits extérieurs ou intérieurs sans les relier au « je « agissant. Dans ce cas, la mémoire n'est un fait psychologique que par accident, et seulement dans la mesure où elle s'accompagne de l'apparition épiphénoménale et contingente dune conscience; elle est essentiellement un fait biologique se rapprochant beaucoup de l'habitude. Mais avec M. Delay (Maladies de la Mémoire, p. 4-5), nous disons : «il s'en faut que semblable position soit unanimement admise. Pour les classiques..., la mémoire n'était pas seulement persistance, mais connaissance du passé. Cette conception est dans Aristote..., dans saint Augustin, où la mémoire se connaît comme ordre rationnel et se « souvient d'elle-même «. Elle compte parmi les psychologues contemporains d'éminents défenseurs. « Le souvenir, écrit Henri Delacroix, n'est pas seulement une image, mais un jugement sur l'image, dans le temps. « M. P. Janet voit la mémoire comme un acte social : le récit qui caractérise la mémoire s'oppose à la répétition ou habitude. Il la place à un niveau très élevé de la vie mentale; c'est dans cette perspective que nous allons justifier la position de Royer-Collard.

« * * * Au point de vue de l'objet de la mémoire, nous pouvons maintenant, en rigueur de termes, limiter le souvenir ausujet.

En effet, les données immédiates de la mémoire sont nos faits internes seuls, c'est-à-dire les faits qui ont étéactuels et conscients et qui reparaissent tels qu'ils ont apparu.

Ne sont donc pas objets immédiats de la mémoire lesobjets extérieurs qui ne reparaissent que s'ils sont l'occasion d'une perception consciente.

Ainsi, je ne me souvienspas de Rome, mais d'avoir vu Rome.

Elles sont encore nos faits internes concrets.

Nous disons par là que nous nenous souvenons pas de sensations, d'idées, de volitions pures, mais du je sens, je peux, je veux.

Elles sont enfinnos faits passés, non pas que le passé nous soit présent par lui-même : le passé est passé.

Mais il survit dans unvestige de lui-même.

Il s'agit d'une invasion d'un « moi » révolu dans mon « je » actuel.Mais la donnée indirecte de la mémoire est par excellence le « je » sujet de ses diverses modalités psychologiques.Car ces états passés sont les miens ou plutôt c'est moi, tel que j'étais jadis, le même moi qui était jadis et qui estmaintenant.

Ainsi, l'identité du « je » est la condition ontologique du souvenir, et logiquement le souvenir prouvel'identité ou permanence du « je », qui se reconnaît foncièrement le même dans les états par lesquels il passe. Nous arrivons ainsi à conclure avec Royer-Collard : « On ne se souvient que de soi-même.

» Nous avons essayé deprouver qu'une telle idée sur le souvenir convenait bien à la définition de la mémoire dans le sens classique, à sanature et à son objet.Cette attitude nous paraît cependant trop absolue.

On se souvient aussi des choses, ainsi que notre expériencejournalière nous le montre, mais seulement médiatement.

Le « je » présent se souvient, avons-nous dit, de lui-mêmepar ses perceptions passées.

Mais par elles, il revoit aussi les objets perçus.

Nous avons indiqué cependant que cemonde objectif ressuscité paraissait coloré par les états de conscience du sujet.

On devrait donc dire : « On ne sesouvient pas des choses, on ne se souvient que de soi-même, et à travers soi on retrouve les choses.

» SECONDE RÉPONSE Introduction. — Le vulgaire, et même tout philosophe quand il se laisse aller à son penchant spontané, ne doute pas que sa mémoire ne le porte vers des personnages disparus, vers des régions éloignées : on se souvient deshommes et des choses.

Royer-Collard estime illusoire ce pouvoir qu'aurait la mémoire de faire sortir l'homme hors desoi.

Pour lui, « on ne se souvient pas des choses, on ne se souvient jamais que de soi-même ».

Ne pouvons-nouspas donner un sens acceptable à cette affirmation si paradoxale à première vue ? I.

Sens évidemment faux. — A prendre son texte à la lettre, Royer-Collard prétendrait que notre mémoire n'enregistre rien concernant les objets — hommes ou choses : ne seraient enregistrés que les événementsconcernant le sujet qui se souvient; en fait d'histoire, nous ne connaîtrions que celle de notre vie.Il y a bien dans cette conception une âme de vérité sur laquelle nous reviendrons : puisque c'est nous quienregistrons un souvenir ou le rappelons, il fait partie de notre histoire et la chose qu'il évoque est quelque chose denous. Il n'en reste pas moins que le contenu de notre mémoire est constitué principalement par des objets.

Établissons unbilan sur deux colonnes, inscrivant d'un côté les souvenirs se rapportant à l'extérieur, aux choses et aux hommes,de l'autre ceux qui se rapportent à nous-mêmes, nous serons frappés de la pauvreté de la seconde colonne encomparaison de la première.

On se souvient des choses bien plus que de soi-même. II.

Sens apparemment vrai, mais effectivement faux. — Mais la pensée de Royer-Collard est plus subtile et mérite que nous nous y attardions un peu pour la bien comprendre et la bien discuter.A.

Exposé.

-— La mémoire, estime notre auteur, ne nous donne pas les choses elles-mêmes dont nous noussouvenons : elle s'arrête aux impressions enregistrées autrefois.

Ainsi, quand je me souviens d'un édifice détruit parla dernière guerre ou d'un ancien professeur récemment décédé, ce n'est pas cet édifice lui-même ou ce professeurqui m'est présent, puisque l'un et l'autre ne sont plus.

Il en est d'ailleurs de même quand je songe à des choses quiexistent encore : à 500 kilomètres, les bâtiments de la Sorbonne qui sont toujours debout n'ont pas plus d'action surmon esprit que les murs, maintenant détruits, de l'ancienne Université de Caen.

Dans le véritable souvenir, j'en suisréduit à une impression subjective, par conséquent à quelque chose du sujet, à quelque chose de moi.

Je ne mesouviens donc que de moi-même.De plus, si nous étudions ces traces laissées en notre esprit par les objets, nous verrons reparaître lescirconstances dans lesquelles elles furent gravées : la Sorbonne, celui-ci ne la connaît que par quelques vues d'unfilm d'actualités à la projection duquel il assista il y a quelques semaines; pour un autre, l'aspect de sa façade de larue des Écoles est familier, car il la voit matin et soir en allant au lycée Louis-le-Grand.

Ainsi, non seulement lessouvenirs sont quelque chose de nous, mais encore ils sont intimement liés à notre histoire.C'est dans ce sens que, d'après Royer-Collard, « on ne se souvient pas des choses, on ne se souvient jamais que desoi-même ».Telle est bien aussi la pensée de saint Augustin, qui a écrit sur la mémoire des chapitres si pénétrants.

'Pour lui, dela perception du soleil, par exemple, résulte une image enregistrée par la mémoire; quand j'entends le mot «soleil»,c'est cette image que je vois, et non pas, dit-il, une image de cette image; quant au soleil lui-même, il n'en est pasquestion (Confessions, L.

X, chap.

15). B.

Discussion. — Malgré l'autorité de Royer-Collard et celle, autrement grande, de saint Augustin, nous ne pouvons accepter cette conception.. »

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