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Emmanuel Kant, la Religion dans les limites de la simple raison

Publié le 31/01/2020

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Emmanuel Kant, la Religion dans les limites de la simple raison

J'avoue ne pas pouvoir me faire très bien à cette expression dont usent aussi des hommes sensés : un certain peuple (en train d’élaborer sa liberté légale) n'est pas mûr pour la liberté ; les serfs d’un propriétaire terrien ne sont pas encore mûrs pour la liberté; et, de même aussi les hommes ne sont pas encore mûrs pour la liberté de conscience.

Dans une hypothèse de ce genre, la liberté ne se produira jamais; car on ne peut mûrir pour la liberté, si l'on n’a pas été mis au préalable en liberté (il faut être libre pour pouvoir se servir utilement de ses forces dans la liberté). Les premiers essais en seront sans doute grossiers et liés d’ordinaire à une condition plus pénible et plus dangereuse que lorsqu'on se trouvait encore sous les ordres, mais aussi confié aux soins d'autrui ; cependant jamais on ne mûrit pour la raison autrement que grâce à ses tentatives personnelles (qu’il faut être libre de pouvoir effectuer). Je ne fais pas d'objection à ce que ceux qui détiennent le pouvoir renvoient encore loin, bien loin, contraints par les circonstances, le moment d’affranchir les hommes de ces trois chaînes. Mais, ériger en principe que la liberté ne vaut rien d’une manière générale pour ceux qui leur sont assujettis et qu’on ait le droit de les en écarter toujours, c’est là une atteinte aux droits régaliens de la divinité elle-même qui a créé l’homme pour la liberté. Il est plus commode évidemment de régner dans l’État, la famille et l’Église quand on peut faire aboutir un pareil principe. Mais est-ce aussi plus juste?

(1793) Traduction J. Gibelin, Vrin, 1972, note 1, p. 245.

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« COMMENTAIRE DE TEXTE Kant use tout d'abord de prudence en adoptant des expressions proches de la litote : lorsqu'il écrit« J'avoue ne pas pouvoir me faire très bien à cette expres­ sion» (ligne 1), il faut entendre qu'il est radicalement opposé à cette proposition.

li attribue pourtant cette opinion à certains « hommes sensés », pensant sans aucun doute aux héritiers spirituels de Frédéric le Grand.

Ce dernier s'était fait le protec­ teur de la philosophie des Lumières tout en maintenant un despotisme politique cer­ tain, quoique éclairé, précisément au nom du principe que Kant récuse.

L'.exposé de la thèse reste prudent, car il recourt à une allusion, même si elle est limpide : «un certain peuple (en train d'élaborer sa liberté légale)», en 1793, ne peut désigner que la France révolutionnaire.

Les adversaires de la Révolution ne se posent pas en ennemis de la liberté, mais ils dénient au peuple la maturité politique nécessaire à l'émancipation (ligne 3).

Selon eux, la liberté exige une éducation préalable.

Et les exemples que Kant place dans leur bouche semblent assez convain­ cants.

Qui peut prétendre qu'un serf illettré et superstitieux (de la Prusse-Orientale par exemple, région où le servage a longtemps subsisté et où Kant a vécu) est suffisamment préparé à user du suffrage universel pour déterminer l'intérêt géné­ raÎ et élire le personnel politique le plus compétent? Cette expression est de surcroît généralisée à tous les hommes.

Au vu de l'intolérance universelle dont font preuve les hommes, il est, par exemple, impossible de leur accorder la liberté de conscience (lignes 4 et 5).

Kant présente donc de façon non polémique la thèse qu'il s'apprête à critiquer : il se fait simplement l'écho d'une « doxa » qui revendique un certain réalisme et non pas un sentiment contre-révolutionnaire et traditionaliste viscéral.

Mais Kant commence à critiquer cette expression en en soulignant le caractère contradictoire avec le concept même de liberté.

La conséquence d'une telle position n'est, en effet, pas compatible avec l'idée de liberté.

Loin d'en assurer la mise en place et d'en garantir la pérennité, cette « hypothèse » exclut en fait la réalisation de la liberté.

Kant remet en cause la prémisse du raisonnement de ses adversaires : ils posaient la nécessité d'un mûris­ sement préalable à l'affranchissement des hommes.

Or, la servitude ne peut être une condition préalable de la liberté.

La tutelle exercée par les éducateurs, les prêtres, les juges ou les souverains, comme il l'écrit dans Qu'est-ce que les Lumières? ne peut favoriser l'apprentissage de la liberté, car elle habitue les hommes à une alié­ nation permanente.

La seule école de liberté est la liberté elle-même : « il faut être libre pour pouvoir se servir utilement de ses forces dans la liberté.

» Pour expliciter le raisonnement de Kant, on peut évoquer l'exemple de l'apprentissage de la marche ou de la natation.

Les premiers mouvements dépour­ vus de toute assistance en seront sans doute« pénibles »et« dangereux» (ligne 10).

lis ne bénéficieront plus de la protection que nous offraient les auxiliaires habituels.

Kant met ici à jour la solidarité qui existe en absence de liberté et de sécurité : les carcans traditionnels ne sont pas aisément renversés parce qu'ils garantissent une certaine quiétude à ceux qui les subissent.

Néanmoins, les« tentatives personnelles» (ligne 12) sont irremplaçables pour l'acquisition de la liberté, dans la mesure où il. »

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