Emmanuel Kant, La nature des énoncés mathématiques
Publié le 26/01/2020
Extrait du document
« Les jugements mathématiques sont tous synthétiques. Cette proposition semble avoir échappé jusqu'ici à l'observation de tous ceux qui ont analysé la raison humaine, et elle paraît même en opposition avec toutes leurs suppositions ; elle est pourtant incontestablement certaine, et elle a une grande importance par ses résultats. En effet, comme on trouvait que les raisonnements des mathématiques procédaient tous suivant le principe de contradiction (ainsi que l'exige la nature de toute certitude apodictique), on se persuadait que leurs principes devaient être connus aussi à l'aide du principe de contradiction, en quoi l'on se trompait ; car si le principe de contradiction peut nous faire admettre une proposition synthétique, ce ne peut être qu'autant qu'on présuppose une autre proposition synthétique, d'où elle puisse être tirée, mais en elle-même elle n'en saurait dériver.
Il faut remarquer d'abord que les propositions proprement mathématiques sont toujours des jugements a priori et non empiriques, puisqu'elles impliquent une nécessité qui ne peut être tirée de l'expérience. Si l'on conteste cela, je restreindrai alors mon assertion aux mathématiques pures, dont la seule idée comporte qu'elles ne contiennent point de connaissances empiriques, mais seulement de connaissances pures a priori. »
Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, 1781,1787, rééd. Garnier-Flammarion, Paris, 1987, p. 66.
«
Textes commentés 39
D'après la tradition rationaliste antérieure à Kant, les propositions
mathématiques ne viennent pas, et ne dépendent pas, de l'expérience car
on y considère qu'aucun fait ne peut les corriger.
Kant n'est pas
l'initiateur de l'idée que les mathématiques sont a priori, mais on lui doit
d'avoir répandu l'affirmation que les propositions mathématiques sont
logiquement (et non psychologiquement ni chronologiquement)
antérieures à l'expérience qui les présuppose.
Plus personnelle chez
Kant est la raison donnée : à l'origine des mathématiques on trouve les
intuitions de l'espace et du temps, l'intuition de l'espace est à l'origine de
la géométrie, celle du temps, à l'origine de l'arithmétique.
Or l'espace et
le temps (c'est bien de l'espace et du temps physiques qu'il s'agit) ne sont
pas des êtres naturels indépendants de l'humanité, mais des formes pures
a priori de la sensibilité.
C'est donc le caractère a priori de l'espace et
du temps qui explique le caractère a priori des mathématiques.
Conscient du progrès des mathématiques, Kant ne pouvait pas croire
que leurs jugements soient des tautologies, des énoncés analytiques, le
dédoublement sans fin d'une identité où le prédicat d'une proposition ne
fait que déployer une partie du contenu du sujet.
Les jugements
mathématiques sont synthétiques, le prédicat est censé ajouter une
information concernant le sujet de la proposition, introuvable dans
l'analyse de son contenu.
Une fois la profondeur de l'idée de Kant reconnue, il faut signaler
certains problèmes pour lesquels on ne trouve pas de solution aisée dans
le système kantien : ( 1) comment croire que l'espace et le temps dans
lesquels habitent les animaux, les hommes et les étoiles, dépendent de
l'humanité ? (2) La vision de Kant sur le temps est structuraliste,
comment croire que le concept de temps ne puisse pas évoluer ? (3) Il
existe plusieurs géométries, laquelle décrit l'espace, forme de la
sensibilité? (4) Les exemples donnés par Kant pour illustrer le caractère
synthétique des jugements mathématiques (du type '7 + 5 = 12') sont
contestables.
Par exemple, si l'on sait ce que les signes '7', '+', '5' et'='
veulent dire, on sait ipso facto que le résultat est 12 et la proposition est
donc analytique.
Cela montre, d'une part, le besoin d'une théorie qui
puisse indiquer, à un moment donné, ce qui appartient essentiellement
au sujet, et d'autre part, le besoin d'un langage artificiel réglementé où
les concepts nécessaires à la description de l'analytique et du
synthétique (par exemple : identité, relation) soient parfaitement définis..
»
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