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Emmanuel Kant: La conscience est-elle le propre de l'homme ?

Publié le 09/03/2005

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Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l'homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre. Par là, il est une personne; et grâce à l'unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne, c'est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et la dignité, de choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer à sa guise ; et ceci, même lorsqu'il ne peut pas encore dire le Je, car il l'a cependant dans sa pensée. Il faut remarquer que l'enfant, qui sait déjà parler assez correctement, ne commence qu'assez tard (peut-être un an après), à dire Je; avant, il parle de soi à la troisième personne (Charles veut manger, marcher, etc.) ; et il semble que pour lui une lumière vienne de se lever quand il commence à dire Je; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l'autre manière de parler. Auparavant il ne faisait que se sentir; maintenant il se pense.

Kant évoque « l'unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir« (lignes 3-4). Cette unité assure l'identité de la personne à travers le temps. Mais à quoi renvoie cette unité de la conscience ? Et comment caractériser la conscience ? On peut, en un premier temps, relever que le pouvoir de dire Je, de penser le Je témoigne de la conscience en son unité. La dernière phrase du texte nous donne une distinction importante : la conscience n'est pas seulement le fait de se sentir, c'est le fait de se penser. Cette distinction peut judicieusement structurer l'explication du texte : le plan proposé consacre les trois premières parties de l'explication à l'analyse du pouvoir de dire Je (je pense), et la dernière au passage du sentiment de soi à la conscience de soi chez l'enfant.

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« "Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l'homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre.

Par là, il est une personne; etgrâce à l'unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent luisurvenir, il est une seule et même personne, c'est-à-dire un être entièrementdifférent, par le rang et la dignité, de choses comme le sont les animaux sansraison, dont on peut disposer à sa guise ; et ceci, même lorsqu'il ne peut pasencore dire le Je, car il l'a cependant dans sa pensée.Il faut remarquer que l'enfant, qui sait déjà parler assez correctement, necommence qu'assez tard (peut-être un an après), à dire Je; avant, il parle de soià la troisième personne (Charles veut manger, marcher, etc.) ; et il semble quepour lui une lumière vienne de se lever quand il commence à dire Je; à partir dece jour, il ne revient jamais à l'autre manière de parler.

Auparavant il ne faisaitque se sentir; maintenant il se pense." Emmanuel Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique (1798), trad.

M.Foucault, Vrin, 1984. Ce que défend ce texte: Ce texte de Kant situe très exactement la frontière qui permet de séparer l'homme de l'animal et ce, en posantentre eux une barrière infranchissable.Les animaux ont-ils une conscience? Certes, le monde animal n'est pas homogène, et entre l'abeille, qui manifestel'instinct le plus aveugle, et les mammifères, qui paraissent exprimer une certaine intelligence, les différences sonttelles que la question ainsi posée, dans sa généralité, n'a pas vraiment de sens.Toutefois, l'homme, et lui seul, possède le « Je dans sa représentation», c'est-à-dire la capacité de se représenterlui-même et de se penser comme un «moi», par-delà la multiplicité et la mobilité de ses contenus de conscience etde ses sensations.

Capacité que ne possède aucun autre animal, car l'homme seul a conscience de soi.Telle est la thèse que Kant cherche à défendre ici, et qui a pour conséquence de poser que ce pouvoir « élèvel'homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre ».Les animaux sont en effet soumis à la puissance des stimuli, c'est-à-dire des stimulations sensorielles vis-à-visdesquelles ils ne se distinguent pas.

Ils sont pris dans le stimulus, et sont pour cela comme dans un présent absolu,celui de son actualité.L'homme, au contraire, ordonne ses sensations autour de la représentation de son moi, ce qui le place non plus dansle monde, mais face au monde.

Dans le premier cas, il aurait fait un avec le stimulus; dans le second, il se distinguede lui et l'objet perçu devient précisément à ce moment-là «ob-jet », c'est-à-dire une réalité placée (jectum)devant (ob) moi.

Ce processus nous autorise alors à dire que «par là, il est une personne» qui se distingue de tousles changements perçus, grâce à l'idée de l'unité et de la permanence de son moi. Ce à quoi s'oppose cet extrait: Kant s'oppose ici à tous ceux qui prêtent, tel le philosophe Condillac au 18e siècle, une conscience et des penséessecrètes aux animaux.

Qui nous dit, demandait Condillac, que les insectes (les fourmis, par exemple, si prévoyanteset organisées) ne discutent pas dans une langue inconnue des hommes ? Et déjà, au 17e siècle, Montaigne évoquaitdans les Essais l'histoire de cet éléphant amoureux d'une jeune fleuriste...L'analyse de Kant pose que les spéculations de ce genre sont vaines.

L'homme, et lui seul, peut se penser comme«une seule et même personne» et ne se confond pas avec la multiplicité des sensations qu'il reçoit.

Cette pensée leplace à un rang bien différent de celui des animaux, qui ne possèdent pas la conscience de soi.Mais qu'en est-il de l'enfant, voire du nourrisson, qui ne peut pas encore prononcer ce mot «Je» et qui ne reconnaîtmême pas son image dans un miroir ? En un certain sens, tant qu'il n'a pas encore atteint cette conscience de soique rend possible la représentation de l'unité du « Je », l'enfant n'a pas encore pleinement réalisé son étatd'humanité.

Humain potentiel, il ne sedémarquera définitivement de l'animal que par cette conscience même.Il faut remarquer, nous précise Kant, que l'enfant sait déjà parler assez correctement avant d'avoir pleinementatteint ce stade, puisque ce n'est qu'assez tard («peut-être un an après») qu'il commence à dire «Je ».Auparavant, il parlait de lui à la troisième personne, reprenant les formules du discours de la mère (« Pierre a faim?»), sans pouvoir les rapporter à la conscience de son moi.D'une certaine manière, il ne se distingue pas encore du monde extérieur, il n'est pas face au monde, phénomèneque les psychologues du 20e siècle qualifieront, bien après l'analyse de Kant, de phase du « moi-tout» ou du «moi-univers», par opposition au «moi-je».

Dans cette phase d'indistinction, l'enfant ne se pense pas encore, il se «sent»dans la présence des sensations qui l'assaillent, mais sans s'en distinguer comme sujet.

Le moment décisif, celui dupassage à son humanité effective, coïncide bien avec cette possibilité, articulée à la parole, de se désigner lui-même en disant « Je».. »

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