Ecoutez la chanson bien douce de Paul Verlaine.

Paul VERLAINE   (1844-1896)

Ecoutez la chanson bien douce

Ecoutez la chanson bien douce

Qui ne pleure que pour vous plaire,

Elle est discrète, elle est légère :

Un frisson d'eau sur de la mousse !

La voix vous fut connue (et chère ?)

Mais à présent elle est voilée

Comme une veuve désolée,

Pourtant comme elle encore fière,

Et dans les longs plis de son voile,

Qui palpite aux brises d'automne.

Cache et montre au coeur qui s'étonne

La vérité comme une étoile.

Elle dit, la voix reconnue,

Que la bonté c'est notre vie,

Que de la haine et de l'envie

Rien ne reste, la mort venue.

Elle parle aussi de la gloire

D'être simple sans plus attendre,

Et de noces d'or et du tendre

Bonheur d'une paix sans victoire.

Accueillez la voix qui persiste

Dans son naïf épithalame.

Allez, rien n'est meilleur à l'âme

Que de faire une âme moins triste !

Elle est en peine et de passage,

L'âme qui souffre sans colère,

Et comme sa morale est claire !...

Ecoutez la chanson bien sage.

Ce poème est un plaidoyer discret de Verlaine, qui tente de se réconcilier avec sa femme. Il n'a plus revu celle-ci depuis 1872; depuis, il y a eu non seulement les années de bohème en Belgique et en Angleterre en compagnie de Rimbaud, mais le drame de Bruxelles. Verlaine est devenu un condamné de droit commun, et sa femme a obtenu la séparation. Mais le poète dans sa cellule s'est repenti et sa conversion lui fait espérer qu'il sera pardonné et compris par sa femme. D'instinct, Verlaine a retrouvé les accents émus et purs de la Bonne chanson. Cette chanson bien douce doit faire oublier à sa compagne les violences d'autrefois, les injures, les gifles, les scènes odieuses et rappeler les airs tendres murmurés au temps béni des fiançailles.