Durée et Temps ?
Publié le 12/01/2010
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Il est quatre heures moins dix : l'heure qui vient de s'écouler m'a paru courte parce que je réfléchissais à des sujets qui me sont familiers et qui m'importent. La même heure a paru longue à cet élève à qui je les expliquais et qui songeait à ses vacances manquées et à l'examen d'octobre. Aristote, dans une page célèbre de sa « Physique «, remarquait que l'homme qui agit ne voit pas le temps passer et qu'au contraire le temps dure à ceux qui attendent et qui le regardent passer. Le temps semble donc le domaine élu de la subjectivité : tantôt il est long et tantôt bref ; aussi bien voit-on les enfants se familiariser très difficilement avec les notions de temps ; si à la rigueur ils conçoivent nettement les divisions du temps de la journée présente, un événement ancien et un événement qui vient seulement de se produire sont confondus dans le concept d'hier ; un enfant de trois ans dit facilement : « demain, quand je serai grand «.
«
découvre lié à l'observateur et à sa position dans l'espace.Dans l'analyse complexe des nuances du temps et de la durée, il ne faut pas perdre de vue les solutions inventéespar le bon sens qui sont à la fois significatives de la richesse de l'expérience temporelle et des nuances que peutinventer l'intelligence pour la traduire.
Le langage nous présente des données intéressantes à analyser.En apparence le problème est simple ; le temps se divise en trois secteurs : passé, présent, avenir.
La grammaire etla syntaxe ont des temps équivalents pour traduire cette réalité temporelle.
Toutefois, quand on examine leproblème de plus près on aperçoit qu'il y a des passés par rapport au passé, donc, des futurs par rapport à un pointfixe considéré comme passé ; de même, le futur comporte des antériorités c'est-à-dire des passés par rapport à desévénements futurs.
On saisit sur le vif ce que le philosophe Serrus appelait le paralogisme logico-grammatical et quel'on peut résumer ainsi dans la question qui nous intéresse : nous avons à exprimer une réalité très nuancée à partirde cadres logiques peu différenciés.
Mais l'expérience et l'usage ont permis d'assouplir à l'extrême le langage et,pour se borner à des exemples simples, des temps qui, originairement, indiquent le présent sont, par l'usage,habilités à exprimer la durée dans le présent et même dans le passé.
Citons l'exemple célèbre de Flaubert, analysépar Proust, et qui, à première vue, constitue une incorrection (refus d'appliquer la règle de la concordance destemps) mais qui, en fait, contient un progrès non négligeable de notre pouvoir d'expression : « il se promenait sur cepromontoire d'où l'on voit la mer ».
Dans cet exemple, l'on peut saisir que le temps et la durée ne sont nullementinconciliables : la durée est un point de vue sur le temps, point de vue qui l'immobilise en quelque sorte et semble lefaire échapper à l'écoulement du temps ; mais, en fait, cette immobilisation est toute subjective.
Que penser alorsdu parti pris qui consisterait à nier l'existence du passé et de l'avenir au profit du présent ?L'analyse philosophique a depuis longtemps marqué le caractère ambigu, à la fois existentiel et essentiel, du temps.Dans l'analyse célèbre où il fonde le cogito sur Dieu, Descartes ajoute que l'existence de ce Dieu, « assurée dansl'instant », se prolonge dans le temps.
C'est lier la notion de temps à l'essence même de la nature et en faire unepropriété de Dieu qui fonde sur sa réalité à la fois l'existence du réel et la permanence de ses lois (c'est la notion de« création continue »).L'idéalisme critique de Kant fait du temps une forme pure a priori de notre sensibilité, autrement dit une condition denotre connaissance, à la fois sensible, « moule en creux de la réalité à l'intérieur de nous », et intellectuelle puisquesusceptible d'être posée comme « forme pure ».
Ce temps joue un grand rôle dans la connaissance, puisque toutesles catégories doivent s'associer au temps, processus de « schématisation » qui permet de dégager les régularités,les continuités et les constantes qui, élaborées, donneront des concepts de lois.Kant argumentait contre la position de Leibniz telle qu'elle se trouvait exposée par Wolf et suivant laquelle le temps,à cause de son homogénéité, serait une construction de l'esprit.
En même temps, il s'efforça de démontrer que letemps n'est ni dans l'esprit ni dans les choses, mais seulement la marque laissée par les choses dans l'esprit, lacondition à partir de laquelle les choses sont perçues et qui pourtant n'a pas de réalité indépendamment des chosesqui sont perçues et de l'esprit qui les perçoit.
Cette conférence a duré une heure.
L'heure en question est-elle danscette conférence ? Non, puisqu'elle aurait passé pour moi, même si, au lieu d'aller à cette conférence, j'avais été mepromener ; puisqu'elle passait également pour ceux qui étaient à cette conférence et pour ceux qui n'y étaient pas ;qu'était alors cette heure ? Une construction de mon esprit qui tournait son attention soit vers le conférencier, soitvers la promenade ? Pas davantage.
En effet, mon esprit n'a pas inventé cette conférence, elle se présente commeun fait que je puis repérer dans le temps à partir d'autres faits datés.
Je dirai « cela s'est passé avant ou après » etune fois que cette conférence aura eu lieu, il ne sera plus en mon pouvoir qu'elle n'ait pas eu lieu.
Kant tire d'uneanalyse semblable la notion fondamentale de l'irréversibilité du temps.L'intérêt de la notion de dialectique, telle qu'elle apparaît chez Hegel, c'est de lier le temps à la réalité et de nousfaire apparaître sa présence aussi bien à l'extérieur de nous qu'en nous, dans l'observateur et dans ce qu'il observe.La contradiction dialectique qui caractérise la réalité se résout et se développe dans le temps.
La plupart des philosophes modernes font une grande place au temps, définissant l'homme, comme par exemplel'existentialisme ou la phénoménologie, par sa temporalité et son être-pour-la-mort.
Un autre fait attire l'attentionde la pensée moderne sur les problèmes du temps : c'est le phénomène d'accélération qui caractérise la civilisationmoderne.En fait, la donnée fondamentale qui se propose à notre expérience, ce n'est ni la durée, ni la durée subjective, ni letemps prétendument objectif et que la théorie d'Einstein rend corrélatif à l'espace.
La donnée fondamentale estl'histoire : histoire de la nature, histoire de l'homme dans cette nature.
Ce cadre seul donne à des notions commedurée et temps leur sens exact.Tout se passe comme si le temps était lié à notre essence, à la fois comme cadre et comme « nature ».Le problème du temps se pose à différents niveaux.
L'homme qui n'est pas capable d'envisager le problème dans sonensemble semble hypnotisé par sa propre existence.
S'il ne peut nier l'existence et l'écoulement du temps que lessciences ont suffisamment éclairci, du moins il confère une valeur excessive à son courant de conscience qu'il posea priori comme seule source d'existence et de temporalité.A un autre niveau, le temps paraît objectif parce qu'homogène et continu.
Bergson remarquait que, dans leséquations de la physique et des mathématiques, le facteur temps intervient dans les deux membres, ce qui permet àla fois d'en tenir compte et de nier sa réalité.Mais, à un autre niveau qui est celui de l'histoire, le temps existe.
Il est transformation des conditions de vie et enconséquence des structures sociales.
Il est continuité et crises.
Il est une donnée irréversible qu'il serait absurde denier.
Il est transformation de la conduite et de la pensée de l'hommeLes problèmes temporels sont très complexes parce qu'ils nous plongent au coeur même de la réalité.
Par nature,nous sommes entraînés dans un vaste mouvement, spatial et temporel, qui constitue l'univers.
Nous ne sommes pasdes observateurs distincts de cet univers.
Nous enfaisons partie et notre condition, c'est d'observer ce mouvement en dehors de nous, en étant nous-mêmesmouvement.
Voilà pourquoi ce temps unique se réfléchit et se rétracte en temps différents, qui prennent une sorte.
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