Du goût et de la conscience morale ; — rapports et différences.
Publié le 31/05/2011
Extrait du document
Exorde. — L'intelligence prend différents noms suivant les objets qu'elle considère : elle s'appelle perception extérieure quand elle étudie les corps et leurs propriétés; conscience psychologique, lorsque l'âme est l'objet de ses études ; raison, quand elle essaye d'analyser les notions et vérités premières. Cette raison elle-même, faculté supérieure de l'entendement, reçoit aussi différents noms, suivant les objets auxquels elle s'applique : ainsi elle s'appelle raison proprement dite, quand elle s'exerce dans la sphère des vérités spéculatives ; conscience morale, quand elle nous révèle les idées qui doivent nous servir de règle de conduite; goût, quand elle apprécie la beauté, soit dans le monde réel, soit dans les productions de l'art. L'analyse de la conscience morale et celle du goût prouvent que ces deux facultés ne sont pas des facultés à part et qu'elles peuvent être, l'une et l'autre, réduites à une faculté plus générale, qui est la raison.
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toutes nos idées de bienséance et d'honnêteté, des institutions contraires aux notions les plus élémentaires dejustice : il cite le larcin permis à Lacédémone, l'inceste imposé par la loi chez les Égyptiens, l'exposition et l'abandondes enfants en Grèce et à Rome, les sacrifices humains, etc.
Il relève, même chez les nations civilisées, descontradictions choquantes dans les coutumes et les lois.
En esthétique, le scepticisme défend sa thèse par lesmêmes arguments : il nous montre, par exemple, avec ironie, la différence qu'il y a entre la Vénus de Milo,qu'admirent certains peuples, et la Vénus hottentote, que les Cafres adorent.
Il est facile de réfuter le scepticismeet en morale et en esthétique.
On dit que les principes sont invariables, acceptés par tous, et que les diversités nese manifestent que dans les applications.
Ainsi, -en morale, tous les peuples sont d'accord pour reconnaître que lebien est louable et mérite une récompense, que le mal est haïssable et mérite un châtiment; tous les hommes sontd'accord pour répéter : Alteri ne feceris quod tibi fieri non vis; Alteri feceris quod tibi fieri velis.
Les opinionshumaines ne diffèrent donc pas quand il s'agit des principes.
La réponse est la même pour le scepticisme esthétique: les principes du goût sont invariables et aussi absolus .qu'en morale.
Ainsi, en peinture et en sculpture, noustrouvons des lois qu'on ne peut violer, celles de la perspective et des proportions, par exemple; la musique nesaurait s'affranchir des lois du rythme et de la cadence, comme la littérature doit respecter l'unité de composition.Le scepticisme esthétique ne peut donc tenir contre ce fait, qu'on rencontre pour le beau comme pour le bien desrègles invariables.
Les variations du goût, comme les divergences en morale, s'expliquent par l'ignorance deshommes.
Les pratiques révoltantes que nous constatons chez certains peuples sauvages ne sont pas la négation dela moralité; elles ne sont que des applications erronées de la loi morale.
Il en est de même pour le goût; puisquec'est l'intelligence qui y domine, il est, comme elle, susceptible de culture et de progrès.
On voit cependant que lesvariations sont plus nombreuses dans le goût que dans la morale.
Cela s'explique facilement.
La morale estessentiellement d'ordre pratique, avons-nous dit, puisque sans la morale il n'y a pas de société possible et quel'homme ne peut vivre hors de la société.
On pourrait à la rigueur se passer de lettres et d'arts; la vie n'y perdraitqu'un de ses agréments; mais on ne saurait se passer de la morale.
Il est donc tout naturel que la nature nous aitorganisés de telle sorte que nous ayons des idées plus nettes et plus arrêtées quand il s'agit de morale que quand ils'agit de goût.
Voilà une première raison, qui explique pourquoi les variations en morale sont moins considérablesqu'en esthétique.
Il en existe une autre: la sensibilité a une part plus considérable dans le goût que dans laconscience morale; or, qui dit sensibilité dit inconstance et mobilité; il n'y a donc rien d'étonnant à ce que l'onconstate une variabilité plus grande quand il s'agit d'esthétique que quand il s'agit de morale.
Conclusion.
— En résumé, la conscience morale et le goût ont des rapports très étroits : l'une et l'autre sont desfacultés mixtes et peuvent être réduites à une faculté plus générale, qui est la raison; elles ont aussi entre elles desdifférences considérables dans ce caractère à la fois obligatoire et pratique, que présente la conscience morale etque n'a pas le goût, et dans cette variabilité plus grande que l'on relève dans les jugements esthétiques; mais lavariabilité de ces jugements ne justifie pas le scepticisme esthétique, de même que la diversité et la contradictiondes moeurs et, des opinions ne sauraient justifier le scepticisme moral.
Il en résulte qu'à la formule du scepticismeesthétique, « Il ne faut pas disputer des goûts », on a le droit d'opposer cette pensée de Vauvenargues : « On peutdisputer des goûts, et c'est cette maxime qui est seule vraie; il y a un bon et un mauvais goût..
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