Dissertation : FREUD Malaise dans la civilisation
Publié le 18/08/2012
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La passion du Bien, la générosité des Numance sont puissance de la volonté contre la majorité, courage de persévérer dans l’accomplissement de la voie éthique, jusqu’à préférer l’effacement à la vengeance. Dans Les Passions de l’âme, Descartes affirme que pour l’homme, « la vraie générosité consiste seulement partie en ce qu’il connaît qu’il n’y a rien qui véritablement lui appartienne que cette libre disposition de ses volontés, ni pourquoi il doive être loué ou blâmé sinon pour ce qu’il en use bien ou mal, en partie en ce qu’il sent en soi-même une ferme et constante révolution d’en bien user, c.à.d. de ne jamais manquer de volonté «. La seule chose qui appartienne à l’homme, c’est donc la puissance de son libre-arbitre, de sa volonté : la générosité, c’est de sentir, au moment d’agir, la force de cette volonté. Ainsi les Numance ou le bon roi d’Angleterre sont-ils des généreux au sens cartésien d’une puissance du libre arbitre : les Numance sont prêts à se séparer de tous les biens du monde, pour ne garder que ce qui leur est propre : la force de leur libre arbitre. Cette grandeur de la volonté est aussi celle du vicaire dans la PFVS : socialement déclassé, abandonné avec ingratitude par le jeune homme, soumis à la tentation du plaisir, sa vraie générosité tient dans la puissance de sa volonté et la persistance dans son état. La réactualisation du modèle socratique (à travers la figure de Monsieur Numance, qui meurt tranquillement au moment où on lui fait du mal et dont la dernière parole rappelle la dette du coq à Asklépios)
«
que « l'on veut toute », parce qu'elle incarne, en même temps que le raffinement d'une élégance et d'un goût parfait, l'essence du romanesque et l'amour le plus pur,tant conjugal que maternel : « Je me dis : « le monde est quand même bien fait.
Les gens que tu vises ne tiennent à rien, sauf à aimer ; et ils te tombent dans les pattes.L'amour, c'est tout inquiétude.
C'est du sang le + pur qui se refait constamment.
Tu vas t'en fourrer jusque-là.
D'abord et d'une.
Ensuite, puisqu'ils donnent volontierstout ce qu'ils ont, c'est qu'ils aiment combler.
Alors, à la fin, je me montre nue et crue.
Et ils voient que rien ne peut me combler.
+ en en met, + je suis vide.
C'est bienleur dire : vous n'êtes rien.
Vous avez cru être quelque chose : vous êtes de la pure perte »[32] .
Ainsi le couple stérile, frustré de descendance, défait-il, avec l'amitié(Banquo), la foi jurée et l'obéissance à un ordre transcendant, l'équilibre des forces cosmiques de l'Etat, fondé sur un pacte de vie qui en assure la pérennité[33],tandis que l'égoïsme forcené de Thérèse, tirant son être de la vampirisation de qui elle admire et imite pour mieux lui « serrer le kiki », anéantit jusqu'au principemême de ce qu'elle contrefait : l'amour, à quoi Madame Numance sacrifie jusqu'à l'ombre de ce en quoi elle croit.
Ainsi la pulsion de mort, nihiliste, conduit-elle à laconsomption de son contraire, consumé parce que consommé, dans un processus qui ramène au chaos, quand il ne débouche pas sur le néant : l'Ecosse est une tombe,où s'abîme un tyran désolé, tandis que Thérèse jouit seule d'un narcissisme absolu : « n'aide pas, ça ruine.
N'aime pas.
C'est + difficile.
Aime-toi » ; »il me restemoi »[34].
On ne saurait aller plus loin dans la dissolution du lien social.Si la pulsion agressive, composante universelle de la nature humaine, est cause de la violence, de telle sorte que la rationalité de la société soit impuissante à lierdurablement les hommes, n'ayant pas, par elle-même, de force - les hommes sont mus par tout autre chose que leur raison ou l'intelligence de leurs intérêts; ils sontmus par des pulsions, des affects, des passions, bref de l'irrationnel-, le processus civilisateur ne peut, dans ces conditions, obtenir des conduites conformes auxintérêts en misant sur le seul développement de l'intelligence.
« Le ventre est toujours fécond, d'où peut sortir la bête immonde » (B Brecht).
Mais est-il vrai pourautant que tout ce qui est noble dans l'expression humaine soit dérivé de ce qui est inférieur? La tradition philosophique héritée de Platon, Descartes ou Kant n'est-elle pas + pertinente quand elle souligne l'ambiguïté de la nature humaine, caractérisée certes par une part irrationnelle, mais qui comporte aussi des tendancesspirituelles et morales qui sont tout aussi naturelles que les 1ères, leur seule différence avec les tendances primaires étant qu'elles ont besoin d'une éducation pour sedévelopper, alors que les 1ères sont immédiates? Que la nature humaine soit barbare ne signifie pas que la barbarie soit naturelle et la civilisation contre nature : « Sila bonté morale est conforme à notre nature, l'homme ne saurait être sain d'esprit ni bien constitué qu'autant qu'l est bon.
Si elle ne l'est pas, et que l'homme soitméchant naturellement, il ne peut cesser de l'être sans se corrompre, et la bonté n'est en lui qu'un vice contre nature.
Fait pour nuire à ses semblables comme le louppour égorger sa proie, un homme humain serait un animal aussi déplacé qu'un loup pitoyable ; et la vertu seule nous laisserait des remords » (PFVS, p.84) On peut en effet faire fond, avec Rousseau et Madame Numance, sur une éthique ancrée dans une conception finalement optimiste de la nature humaine,foncièrement bonne et naturellement morale, quoique pervertie, et ce faisant amendable par une éducation propice à l'établissement d'un nouveau « pacte social ».« Les hommes sont méchants, une triste expérience dispense de la preuve ; cependant l'homme est naturellement bon », écrit dans le Discours sur l'origine et lesfondements de l'inégalité parmi les hommes Rousseau, qui précise à Monsieur de Malesherbes, à propos de l'Emile : « ce n'est qu'un traité de la bonté originelle del'homme ».Le postulat fondamental de Rousseau, partagé par bien des philosophes des Lumières, est en effet la bonté de la nature en tant qu'ordre cosmique issu desmains de Dieu et, par conséquent, la bonté de la nature humaine, créée à l'image et à la ressemblance d'un dieu, dont la bonté et la justice se confondent avecl'expansion infinie de sa puissance créatrice[35].
Car la bonté de l'homme est l'approbation que sa conscience donne à l'existence, à toute existence.
« L'amour de soi-même », « passion primitive, innée, antérieure à toute autre et dont les autres ne sont, en un sens que des modifications », n'est alors pas, contrairement à l' »amour-propre qui se compare », rend « impérieux, jaloux, trompeur, vindicatif », incompatible avec la « pitié naturelle ».
Tout acte de générosité, de bienfaisance ayant unsurcroît de bonheur pour conséquence, est selon la nature et non une corruption de l'ordre.
Le fait de partager un plaisir le redouble : « quel spectacle nous flatte le +,celui des tourments ou du bonheur d'autrui ? Qu'est-ce qui nous est le + doux à faire et nous laisse une impression + agréable après l'avoir fait, d'un acte debienfaisance ou d'un acte de méchanceté? » (85)[36].
L'homme sain aime la beauté morale qui se déploie dans l'héroïsme, alors que l'égoïsme, la seule poursuite del'intérêt personnel ne sont que la mutilation d'une âme étroite, la mort spirituelle d'une « âme cadavéreuse », devenue par corruption de son essence, insensible aujuste et au bon, au bien[37].
Le terme de bonté cherche donc à exprimer la saveur partagée de la vie, perçue comme un bien et le fait que notre bonheur se trouvedémultiplié par celui d'autrui : « les douceurs de l'humanité, de l'amitié, nous consolent dans nos peines ; et, même dans nos plaisirs, nous serions trop seuls, tropmisérables, si nous n'avions avec qui les partager » (85).
Il n'y a pas, chez Rousseau, d'ontologie du mal.
Le mal ne relève pas de l'être, mais d'une distorsion quel'homme fait subir à sa nature et qui contamine sa relation aux autres.
La méchanceté voile la bonté, qu'elle recouvre de son ombre sans pour autant la détruire.L'homme ne saurait être si foncièrement méchant, si irrémédiablement perverti qu'il ne connût le contentement de la bienfaisance, née de l'irréductible pitiénaturelle[38].
Ainsi le pire criminel reste-t-il capable d'un geste altruiste[39], à l'instar de Lady Macbeth, retenue d'assouvir sa pulsion de meurtre, rationnalisée, parle tabou du parricide : « s'il n'avait ressemblé à mon père quand il dormait, je l'aurais [tué] » (II,2, v.664-665, p.64).
Les remords de Macbeth, conscient de l'iniquitédu meurtre de roi bon et retenu de se battre contre Macduff par le poids de la culpabilité du massacre des innocents, attestent de cette morale naturelle, dont Rousseauaffirme l'existence au cœur de l'homme social « va-t-en, car mon âme est beaucoup trop chargée/ Avec le sang des tiens » (V,8, 2459-2460, p.140).
Enfin si MadameNumance n'est pas dupe de l'hypocrisie du mauvais acteur, qui ne feint le bon geste, au demeurant symbolique dénégation du don, puisqu'il s'agit d'apprêter, pour lesoffrir, des peaux de martre piégées, que pour mieux imposer ce qu'il croit être un rapport de forces, elle ne peut imaginer que le visage d'enfant de Thérèse masquâtune âme capable de provoquer les violences conjugales dont elle porte les stigmates : « tu ne me feras jamais croire que tu peux pousser un homme à ces extrémités.Tu es la douceur même.
Regarde tes yeux » (164).
Pour la translucide et transparente Madame Numance, en guerre contre la misère, la calomnie, la méchanceté etl'injustice, la nature de l'objet de sa passion ne saurait être viciée.
Comme le roi saint et comme Malcolm au dénouement de Macbeth, les Numance semblent croire àla force de l'Amour pour pallier les maux de la société : « Qui a jamais donné pour sauver en plein ? […] On l'entretient, on ne la sauve pas » (p.328)[40].Si la violence et l'injustice sapent les fondements de la morale, que la haine dissolve le lien conjugal, familial et social et que la tyrannie semât la terreur et engendrâtle chaos, la philia peut (re)fonder le lien social, qu'il s'agisse de la sexualité non prédatrice du vicaire, respectueux de la sainte, mais naturelle loi du mariage, dupartage et de la générosité oblative des Numance, envers de la charité symbolique de la domination sociale des Dames de Sion, de l'amour conjugal des Numance, dela relation filiale entre Madame Numance et Thérèse ou du fondement mystique du pacte politique, dont le roi saint donne l'exemple et que Malcolm promet derestaurer, par la grâce de la grâce, au dénouement deMacbeth : «Comment il fait intervenir le Ciel, lui seul le sait,/ Mais des gens gravement éprouvés/ Tout gonflés,ulcérés, pitoyables au regard, et qui sont désespoir pour la chirurgie,/ En suspendant à leur cou une médaille d'or, qu'il a posée avec saintes prières,/ Il les guérit.
Et ilest dit qu'il lèguera à tous les rois ses successeurs/ La guérissante bénédiction […] Ainsi diverses grâces sont attachées à son trône, qui le manifestent plein desainteté » (IV,3 , p.119)[41].
Surtout Rousseau pense qu'on peut, par le biais d'une éducation négative, qui ne fût ni enseignement d'une morale inadaptée à la naturehumaine, ni corruption de cette nature par les maximes d'un monde nécessairement hypocrite et inégalitaire, donc vicié, mais protection, observation, analyse,écoute[42], partage d'une expérience de pensée et développement de germes bons[43], étayés par des lectures et des exemples vertueux[44], (ré)éduquer, loin de lajungle des villes[45] et des sophismes d'une raison dépravée, un citoyen libre, vertueux et heureux, car content de soi, au sens fort du terme du terme, c.à.d.
en accordprofond avec le dictamen de sa conscience, « instinct divin » et « guide infaillible » d'une philosophie pratique appuyée sur une métaphysique empreinte de théodicée(« le tout est bien ») et susceptible d'inspirer, dans l'évidence de la raison éclairée par le cœur, une action humaine, secourable, compatissante, profondémentcharitable : une synthèse des figures de Socrate et de Jésus, vecteurs d'une maïeutique qui permît au lecteur d'accéder, par le détour de la fiction éducative, auxvérités qui lui importent.Sans doute peut-on voir, dans ce projet d'éradication du mal social par l'éducation, la religion naturelle, la générosité, la force de l'amour, une utopie.
Le personnagedu vicaire savoyard reste un personnage conceptuel et pour que l'exposé des principes de l'éducation assure, dans l'Emile, non la destruction, mais la promotion del'homme, conformément et non contrairement aux règles de la nature, il a fallu imaginer un enfant bien né, mais sans famille, puis l'isoler de la société et le protéger,tant de la morale des religions instituées que de la culture enseignée dans les livres.
Si l'on sait que ce projet, contemporain de l'échec de l'utopie de Clarens,dans la Nouvelle Héloïse, est inséparable du traité de philosophie politique, le Contrat social, où Rousseau définit une forme de socialisation conforme à la nature,fidèle aux règles de liberté, d'égalité et d'harmonie, pour en finir avec l'état de guerre d'une société développée, mais aliénée, pour inventer un développement auservice de la paix, de l'homme et de la justice, pour promouvoir une culture qui, sans renoncer au génie créateur de l'homme, soit en mesure de respecter la nature etnon de la détruire, réalisant par avance le vœu de Kant, grand lecteur de Rousseau (« comment la culture doit-elle progresser pour développer convenablement,.
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