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Discours sur l'inégalité, seconde partie.

Publié le 23/03/2015

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Voilà donc toutes nos facultés développées, la mémoire et l'imagination en jeu, l'amour-propre intéressé, la raison rendue active et l'esprit arrivé presqu'au terme de la perfection dont il est susceptible. Voilà toutes les qualités naturelles mises en action, le rang et le sort de chaque homme établi, non seulement sur la quantité des biens et le pouvoir de servir ou de nuire, mais sur l'esprit, la beauté, la force ou l'adresse, sur le mérite ou les talents, et ces qualités étant les seules qui pouvaient attirer de la considéra­tion, il fallut bientôt les avoir ou les affecter ; il fallut pour son avantage se montrer autre que ce qu'on était en effets. Être et paraître devinrent deux choses tout à fait différentes, et de cette distinction sortirent le faste impo­sant, la ruse trompeuse, et tous les vices qui en sont le cortège. D'un autre côté, de libre et indépendant qu'était auparavant l'homme, le voilà par une multitude de nouveaux besoins assujetti, pour ainsi dire, à toute la nature, et surtout à ses semblables dont il devient l'esclave en un sens, même en devenant leur maître ; riche, il a besoin de leurs services ; pauvre, il a besoin de leur secours, et la médiocrité2 ne le met point en état de se passer d'eux. Il faut donc qu'il cherche sans cesse à les intéresser à son sort et à leur faire trouver en effet ou en apparence leur profit à travailler pour le sien : ce qui le rend fourbe et artificieux avec les uns, impérieux et dur avec les autres, et le met dans la nécessité d'abuser tous ceux dont il a besoin, quand il ne peut s'en faire craindre, et qu'il ne trouve pas son intérêt à les servir utilement. Enfin l'ambition dévorante, l'ardeur d'élever sa fortune relative, moins par un véritable besoin que pour se mettre au-dessus des autres, inspire à tous les hommes un noir penchant à se nuire mutuellement, une jalousie secrète d'autant plus dangereuse que, pour faire son coup plus en sûreté, elle prend souvent le masque de la bienveillance ; en Lia mot, concurrence et rivalité d'une part, de l'autre opposition d'intérêt, et toujours le désir caché de faire son profit aux dépens d'autrui, tous ces maux sont le premier effet de la propriété et le cortège inséparable de l'inégalité naissante.

 

Discours sur l'inégalité, seconde partie.

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« Textes commentés 37 Ce texte dresse un bilan des analyses développées par Rousseau dans la seconde partie de son ouvrage.

Cette dernière est consacrée à ce qu'on pourrait appeler une genèse abstraite et hypothétique de la décadence, c'est-à­ dire du développement et des progrès que l'homme a faits et subis, s'éloignant , ainsi de son état primitif de pure nature.

C'est en réalité la société et les hommes actuels que Rousseau décrit ici.

L'idée maîtresse est que le progrès des facultés et des capacités, des techniques, de l'organisation du travail, de l'intelligence rationnelle et de la sociabilité, en un mot la civilisation constitue ; paradoxalement une sorte de déchéance, de « corruption ».

À l'encontre de ceux qui, au siècle des Lumières et de nos jours, soulignent les bienfaits du progrès dans tous les ordres des activités humaines (intellectuelles, pratiques, économiques, techniques, morales, sociales), Rousseau met en évidence les inconvénients qui en découlent, et soutient que le prix à payer est extrêmement onéreux, si l'on se fonde sur les critères des biens essentiels que la nature propose à l'homme, la liberté, le bonheur, la justice.

Les avantages du progrès de la civilisation ne compensent pas les inconvénients considérables qui en découlent intrinsèquement et inévitablement.

Comme il l'écrit dans la note IX du Discours,« ce n'est pas sans peine que nous sommes parvenus à nous rendre si malheureux.

Quand d'un côté l'on considère les immenses travaux des hommes, tant de sciences approfondies, tant d'arts inventés, tant de forces employées [ ...

]et que de l'autre on recherche avec un peu de méditation les vrais avantages qui ont résulté de tout cela pour le bonheur de l'espèce humaine, on ne peut qu'être frappé de l'étonnante disproportion qui règne entre ces choses, et déplorer l'aveuglement de l'homme qui, pour nourrir son fol orgueil et je ne sais quelle vaine admiration de lui-même, le fait courir après toutes les misères dont il est susceptible et que la bienfaisante nature avait pris soin d'écarter de lui.

» Les deux maux capitaux sont d'une part l'oppression ou l'assujettissement à autrui, aux choses, au travail, à l'autorité politique et à la puissance des riches, et d'autre part la distinction de l'être et du paraître, c'est-à-dire la substitution de l'amour-propre à l'amour de soi, du souci de l'apparence sociale à la satisfaction de ses intérêts véritables.

On peut juger que l'homme à l'état de pure nature se contente de biens que l'on peut considérer comme frustes : « la nourriture, une femelle et le repos».

Mais il est en mesure se les procurer, et il est donc heureux, puisque ses besoins ne passent pas ses forces.

L'homme civil est habité par « cette fureur de se distinguer qui nous tient presque toujours hors de nous-mêmes», à laquelle «nous devons une multitude de mauvaises choses sur un petit nombre de bonnes ».

D'où le très noir tableau. »

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