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« Dieu est l'asile de l'ignorance », écrivait Spinoza. Cette idée est-elle suffisante pour rendre compte du rôle de la religion ? ?

Publié le 12/02/2004

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Comment ne pas évoquer par exemple l'Inquisition, cette procédure ecclésiastique instaurée contre les hérétiques, au nom de la vérité, et qui devait conduire, en 1600, à l'exécution d'un Giordano Bruno parce qu'il soutenait l'infinité de l'espace, ou à la condamnation d'un Galilée parce qu'il proclamait l'héliocentrisme ! Le' progrès de la connaissance scientifique peut, dans ces conditions, être comparé à une longue marche ou à une longue lutte de la Raison et des Lumières contre l'obscurantisme religieux et les ténèbres de la superstition.Cette vue fut partagée par Spinoza. Accusé, à son corps défendant, d'être athée, il expliqua dans son Traité théologicopolitique comment les hommes qualifient de divin ce qui dépasse leur compréhension et dont ils ignorent la cause. La religion est ainsi le fruit des prétentions de « l'humaine déraison » qui, parce qu'elle ignore les causes naturelles des choses, oppose la Nature à Dieu, et fait de ce dernier un principe d'explication universel. C'est pourquoi Dieu peut être dit « l'asile de l'ignorance ». Mais cette idée est-elle suffisante pour rendre compte du rôle de la religion ? La critique spinoziste de la religion, qui est au fond la critique banale de l'athéisme depuis Lucrèce jusqu'aux encyclopédistes comme Voltaire ou le baron d'Holbach, peut sembler sinon superficielle, du moins incomplète. Certes, l'ignorance se trouve comblée par la religion. Mais est-elle bien la seule cause de cette dernière? D'où vient en effet que le sentiment religieux ne disparaît pas lorsque les causes naturelles sont découvertes et expliquées ?
L'esprit crédule trouve en Dieu une explication à tout et demeure ainsi dans l'ignorance. L'esprit savant qui se perd en conjectures sur Dieu n'élargit nullement le domaine des connaissances positives. Mais, Dieu n'est un asile d'ignorance que pour celui qui rejette la raison au nom de la foi.



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« la fois expression de cette détresse et protestation contre cette détresse.

D'où la formule : « Elle est l'opium dupeuple.

»C'est parce que l'homme est aliéné économiquement, exploité socialement, qu'il réalise de manière fantastique sonessence dans un monde imaginaire.

C'est pourquoi « lutter contre la religion », C'est « indirectement lutter contre cemonde-là dont la religion est l'arôme spirituel ».

Ainsi, à travers la critique de la religion, la critique doit atteindre lasituation réelle de l'homme. « L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l'exigence que formule son bonheur réel.

Exigerqu'il renonce aux illusions sur sa situation, c'est exiger qu'il renonce à une situation qui a besoin d'illusions.

Lacritique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l'auréole.

» Supprimer l'illusion religieuse, c'est donc exiger le bonheur réel des hommes.

Dépouiller « les chaînes des fleursimaginaires », c'est du même coup inviter l'homme à rejeter « les chaînes » et cueillir « les fleurs vivantes ».

Plusfondamentalement, détruire les illusions de l'homme, qu'elles soient religieuses ou autres, c'est le rendre à la vraieréalité « pour qu'il pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme sans illusions parvenu à l'âge de la raison,pour qu'il gravite autour de lui-même, c'est-à-dire de son soleil réel ».

C'est donc d'une véritable «révolutioncopernicienne » qu'il s'agit : passer de la religion, « soleil illusoire qui gravite autour de l'homme » à l'homme quigravite « autour de lui-même ». La première tâche de la philosophie qui est au service de l'histoire, c'est, certes, de dénoncer « la forme sacrée del'auto-aliénation de l'homme », mais aussi de démasquer « l'auto-aliénation dans ses formes non-sacrées».« La critique du ciel se transforme par là en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, lacritique de la théologie en critique de la politique.

» Pour Marx, il s'agit donc d'aller plus loin que la simple critique de la religion à laquelle Feuerbach s'arrêtait.

C'est laraison pour laquelle il s'attaque à la philosophie spéculative allemande de l'Etat et du droit - philosophie qui pensel'Etat moderne en faisant abstraction de l'homme réel et qui ne peut satisfaire l'homme que de manière imaginaire,philosophie qui n'est au fond qu'une copie dont l'original est la religion.

C'est la raison pour laquelle il invite lesAllemands, qui, sur un plan politique, « ont pensé ce que les autres peuples ont fait », à aller jusqu'à la critiquepratique du monde réel, c'est-à-dire jusqu'à la transformation révolutionnaire de la société.

D'où la fameuse thèse XIsur Feuerbach. Cette conception de la religion comme illusion consolatrice se retrouve, mais de manière différente, dans l'analyse deFreud.

Pour ce dernier, en effet, la religion résulte de la détresse infantile de l'homme devant la mort.

La religionmanifeste le désir de retrouver un père fort et bienfaisant qui puisse protéger contre la mort : ce pèrefantasmatique, c'est Dieu.

Ainsi Freud voit-il dans « l'amour du père » la racine de toute religion, et dans les dogmesreligieux de pures et simples survivances névrotiques.

La religion peut être saisie comme un « délire collectif », une« déformation chimérique de la réalité », que naturellement l'homme religieux ne peut pas reconnaître pour tels.

Lareligion est l'illusion de ceux qui ne se résignent pas à mourir. Nietzsche a dénoncé avec force cette illusion religieuse.

Rien ne sert, nousdit-il dans Ainsi parlait Zarathoustra, de « scruter les entrailles de l'insondable».

Il faut que nous demeurions fidèles à la terre, et ne plus croire ceux quiparlent d'espérance supra-terrestre.

Blasphémer Dieu était jadis le pire desblasphèmes, écrit-il au début de cet ouvrage, mais Dieu est mort ; aussi lepire des blasphèmes est-il maintenant de blasphémer la terre.De tous ces points de vue, — ceux de Marx, de Freud, de Nietzsche — lareligion est démasquée comme une entreprise humaine, trop humaine, dont lafinalité première est d'occulter la misère de l'homme, de prévenir contrel'angoisse de la mort par l'idée d'une survie dans l'au-delà.

Ajoutons que lareligion .à en outre une fonction sociale — reconnue également par Marx,Freud et Nietzsche — qui est de donner un fondement à la morale, d'assurerla cohésion sociale par des interdits et de fonder le pouvoir politique, le chef,le roi, l'empereur tenant dans de nombreuses sociétés leur pouvoir de ladivinité.

Mais cette religion socialisée est-elle vraiment une religion ? relève-t-elle véritablement du sentiment religieux? Ne faut-il pas distinguer, comme lefait Bergson, une « religion dynamique » qui serait la religion authentique,celle du mystique qui coïnciderait avec Dieu et prolongerait l'élan créateur,l'élan vital, et une « religion statique » dont la finalité serait purement sociale: discipliner l'homme et l'encourager dans ses entreprises ? Ce serait cettereligion statique qui prendrait sa racine dans l'ignorance, ce serait elle quiconstituerait l'opium du peuple, une déformation chimérique de la réalité.

Car en tant qu'institution sociale la religion statique avec ses rites, ses dogmes, est nécessairement humaine.

Elles'inscrit dans l'histoire de la société et à ce titre elle relève de l'ordre du relatif, et non de l'absolu.

Mais s'il estpossible de faire une sociologie, une psychologie, voire une psychanalyse, d'une telle religion, ces approches valent-elles pour la religion dynamique, peuvent-elles réellement saisir l'essence de la foi en tant que mouvement personnelet chaque fois unique ? « S'il y a un Dieu, il est infiniment incompréhensible » écrivait Pascal.

Un Dieu compris n'est pas un Dieu.

En ce sens. »

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