Dieu est-il, comme le dit Spinoza, un asile de l'ignorance ?
Publié le 28/02/2004
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encyclopédistes comme Voltaire ou le baron d'Holbach, peut sembler sinon superficielle, du moins incomplète.Certes, l'ignorance se trouve comblée par la religion.
Mais est-elle bien la seule cause de cette dernière? D'où vienten effet que le sentiment religieux ne disparaît pas lorsque les causes naturelles sont découvertes et expliquées ?On peut ne plus croire que Dieu soit la cause du tonnerre et continuer de croire en Dieu.
Un esprit rigoureux etscientifique peut en même temps connaître la foi la plus mystique, comme en témoigne Pascal.
Il semblerait doncque la religion ne puisse pas se comprendre uniquement du point de vue de la connaissance, du savoir humain, maisqu'elle mette en jeu d'autres aspects de l'homme.C'est ce que s'est efforcé de montrer Marx, pour qui la religion n'est pas un simple produit de l'ignorance, mais unproduit de l'homme conçu comme un être social.
La religion ne reflète plus la seule ignorance de l'homme, elle reflètesa situation sociale tout entière : c'est parce que l'homme mène une vie malheureuse et aliénée en raison del'exploitation économique qu'il subit, qu'il se projette dans un monde meilleur et irréel qui lui permet de réaliserimaginairement son essence.
Ainsi la religion serait, selon Marx, « une réalisation fantastique de l'essence humaine »à travers laquelle l'homme se consolerait de son aliénation sociale.
En ce sens elle peut être considérée, selon lafameuse formule, comme « l'opium du peuple.
»Cette conception de la religion comme illusion consolatrice se retrouve, mais de manière différente, dans l'analyse deFreud.
Pour ce dernier, en effet, la religion résulte de la détresse infantile de l'homme devant la mort.
La religionmanifeste le désir de retrouver un père fort et bienfaisant qui puisse protéger contre la mort : ce pèrefantasmatique, c'est Dieu.
Ainsi Freud voit-il dans « l'amour du père » la racine de toute religion, et dans les dogmesreligieux de pures et simples survivances névrotiques.
La religion peut être saisie comme un « délire collectif », une« déformation chimérique de la réalité », que naturellement l'homme religieux ne peut pas reconnaître pour tels.
Lareligion est l'illusion de ceux qui ne se résignent pas à mourir. Nietzsche a dénoncé avec force cette illusion religieuse.
Rien ne sert, nousdit-il dans Ainsi parlait Zarathoustra, de « scruter les entrailles de l'insondable».
Il faut que nous demeurions fidèles à la terre, et ne plus croire ceux quiparlent d'espérance supra-terrestre.
Blasphémer Dieu était jadis le pire desblasphèmes, écrit-il au début de cet ouvrage, mais Dieu est mort ; aussi lepire des blasphèmes est-il maintenant de blasphémer la terre.De tous ces points de vue, — ceux de Marx, de Freud, de Nietzsche — lareligion est démasquée comme une entreprise humaine, trop humaine, dont lafinalité première est d'occulter la misère de l'homme, de prévenir contrel'angoisse de la mort par l'idée d'une survie dans l'au-delà.
Ajoutons que lareligion .à en outre une fonction sociale — reconnue également par Marx,Freud et Nietzsche — qui est de donner un fondement à la morale, d'assurerla cohésion sociale par des interdits et de fonder le pouvoir politique, le chef,le roi, l'empereur tenant dans de nombreuses sociétés leur pouvoir de ladivinité.
Mais cette religion socialisée est-elle vraiment une religion ? relève-t-elle véritablement du sentiment religieux? Ne faut-il pas distinguer, comme lefait Bergson, une « religion dynamique » qui serait la religion authentique,celle du mystique qui coïnciderait avec Dieu et prolongerait l'élan créateur,l'élan vital, et une « religion statique » dont la finalité serait purement sociale: discipliner l'homme et l'encourager dans ses entreprises ? Ce serait cettereligion statique qui prendrait sa racine dans l'ignorance, ce serait elle quiconstituerait l'opium du peuple, une déformation chimérique de la réalité.
Car en tant qu'institution sociale la religion statique avec ses rites, ses dogmes, est nécessairement humaine.
Elles'inscrit dans l'histoire de la société et à ce titre elle relève de l'ordre du relatif, et non de l'absolu.
Mais s'il estpossible de faire une sociologie, une psychologie, voire une psychanalyse, d'une telle religion, ces approches valent-elles pour la religion dynamique, peuvent-elles réellement saisir l'essence de la foi en tant que mouvement personnelet chaque fois unique ?
« S'il y a un Dieu, il est infiniment incompréhensible » écrivait Pascal.
Un Dieu compris n'est pas un Dieu.
En ce sensl'homme religieux accepterait de faire de la foi l'asile de l'ignorance.
Mais selon lui cette ignorance est d'un ordrespécial : elle est l'ignorance du savoir, elle est l'affirmation que tout savoir est au fond ignorance, puisque seul Dieuest la Vérité, et que cette Vérité nous est inaccessible : Dieu est lumière, mais il est aussi nuit, il est une lumièresur-lumineuse, une lumière si lumineuse qu'elle est pour nous une ténèbre.
Ainsi la foi ne serait pas un acte del'intelligence, mais de la volonté, comme le voulait Descartes.
Croire, c'est donc vouloir croire.
Et l'esprit religieux neveut pas croire avec la raison, ni au-dessus de la raison, mais contre la raison, lors même que la raison refused'acquiescer : c'est le célèbre « credo quia absurdum » (je crois parce que c'est absurde) de Tertullien.
Je crois parce quec'est absurde.
SaintAugustin
Cette phrase définit la foi.
Nous n'avons nulle preuve del'existence de Dieu.
Croire en Dieu (ou n'y pas croire) relèved'un choix d'existence mais qui reste infondable en raison.
Nous pourrions dire, en transformant la formule de Pascal, que la foi a ses raisons que la raison ne connaît pas, quela raison ne saurait connaître.
Dans ces conditions, la foi ne peut que récuser toutes les explications que lui trouvela raison, et la raison ne peut, sous peine de se nier soi-même, comprendre la foi dans son jaillissement propre : ellene peut que la réduire en l'« expliquant »..
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