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Diderot: La vérité existe-t-elle ou faut-il l'inventer ?

Publié le 17/11/2009

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Réfléchissez un moment sur ce qu'on appelle au théâtre être vrai. Est-ce y montrer les choses comme elles sont en nature ? Aucunement. Le vrai en ce sens ne serait que le commun. Qu'est-ce donc que le vrai de la scène ? C'est la conformité des actions, des discours, de la figure, de la voix, du mouvement, du geste, avec un modèle idéal imaginé par le poète, et souvent exagéré par le comédien. Voilà le merveilleux. Ce modèle n'influe pas seulement sur le ton ; il modifie jusqu'à la démarche, jusqu'au maintien. De là vient que le comédien dans la rue ou sur la scène sont deux personnages si différents, qu'on a peine à les reconnaître [...] Une femme malheureuse, et vraiment malheureuse, pleure et ne vous touche point : il y a pis, c'est qu'un trait léger qui la défigure vous fait rire ; c'est qu'un accent qui lui est propre dissonne à votre oreille et vous blesse ; c'est qu'un mouvement qui lui est habituel vous montre sa douleur ignoble et maussade ; c'est que les passions outrées sont presque toutes sujettes à des grimaces que l'artiste sans goût copie servilement, mais que le grand artiste évite. Nous voulons qu'au plus fort des tourments l'homme garde le caractère d'homme, la dignité de son espèce. Quel est l'effet de cet effort héroïque ? De distraire de la douleur et de la tempérer. Nous voulons que cette femme tombe avec décence, avec mollesse, et que ce héros meure comme le gladiateur ancien, au milieu de l'arène, aux applaudissements du cirque, avec grâce, avec noblesse, dans une attitude élégante et pittoresque [...]. Le gladiateur ancien, comme un grand comédien, un grand comédien, ainsi que le gladiateur ancien, ne meurent pas comme on meurt sur un lit, mais sont tenus de nous jouer un autre mort pour nous plaire, et le spectateur délicat sentirait que la vérité nue, l'action dénuée de tout apprêt serait mesquine et contrasterait avec la poésie du reste. Ce n'est pas que la pure nature n'ait ses moments sublimes ; mais je pense que s'il est quelqu'un sûr de saisir et de conserver leur sublimité, c'est celui qui les aura pressentis d'imagination ou de génie, et qui les rendra de sang-froid.

 Cet extrait issu du Paradoxe du Comédien de Diderot nous interroge sur la valeur du vrai au théâtre c’est-à-dire sur son éloignement par rapport au vrai de la nature. Dès lors c’est toute la valeur de l’imitation et de l’héritage aristotélicien qui est remis en jeu par Diderot. En effet, la thèse centrale de ce passage est bien de montrer que l’imitation de la nature ne saurait convenir au théâtre. Il s’agit donc pas pour le comédien d’être naturel. Ainsi le texte s’articule logiquement en trois moments : la distinction du vrai de la scène et de la nature (1ère partie : du début de l’extrait à « qu'on a peine à les reconnaître «), le risque du naturel (2nd partie : de « Une femme malheureuse, et vraiment malheureuse « à « De distraire de la douleur et de la tempérer «) ; enfin la mise en exergue du faux (3ème partie : de « Nous voulons que cette femme tombe avec décence « à la fin du texte). C’est suivant ces trois moments que nous entendons rendre compte du texte.

 

 

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« que le comédien est un paradoxe, il est double.

En ce sens, le comédien est bien une personne différente sur scène,il est l'incarnation d'une personnage fictif.

Il ne joue comme s'il ressentait les choses.

Dès lors, il se s'agit en aucuncas d'imiter la nature, même si l'on peut apprendre à son contact.

La naturalité doit être dépassée.

La douleur del'homme comédien ne doit pas être la même que celle du comédien incarnant un Hector par exemple.

Transition : Ainsi le vrai du théâtre n'est en aucun cas semble au vrai de la nature c'est pourquoi le théâtre ne peut pas sefonder sur l'imitation de la nature.

Le théâtre est faux et le comédien doit l'être tout autant au risque sinon deparaître ridicule ou de manquer l'objet même de la théâtralité.

Il ne faut pas simple faire, il faut surfaire.

II – Une naturalité peu touchante a) Si le comédien doit ajouter à la véracité d'un sentiment qu'il a déjà peut-être personnellement ressenti et ainsifaire du vrai au théâtre autre chose qu'il n'est dans la nature, c'est bien parce que le malheur véritable ne touchepas les hommes au théâtre.

En effet, sans maîtrise de la douleur, ou du sentiment, le comédien ne contrôle plus sonpersonnage et dans ce cas, il nous offre une vision pathétique de lui et de ses sentiments.

Bien plus, face aumalheur véritable, l'homme a tendance à se réfugier dans le rire comme moyen d'exorciser sa pitié ou sa compassion.La naturalité nous rend mal à l'aise et n'emporte pas notre adhésion.et il suffit alors d'un seul élément pour quel'ensemble de l'effet s'en aille.

La moindre indisposition rend le travail de l'artiste inefficace.b) Ainsi on ne demande pas à l'artiste de ressentir la douleur du héros ou sa peine, on lui demande de fairetransmettre au public ce sentiment.

La logique est différent et radicalement opposée.

C'est ainsi que l'artisteprofessionnel maîtrisera son personnage ne se confondant pas alors avec sa personne.

Dès lors il ne s'agit pas de semettre dans la peau du personnage justement.

Au contraire, à moins que cela ne signifie essayer de comprendre sesmotivations, le comédien doit être ce fou qui joue à être quelqu'un d'autre de la manière la plus convaincante ce quiexplique alors l'exagération.

L'artiste n'est donc pas servilement, tel un esclave, attaché à l'étude de la nature, pasplus qu'il ne doit rechercher à l'imiter.

Il s'agit bien au contraire de comprendre le sens et l'origine du sentiment et del'effet sur autrui pour pouvoir d'autant mieux manipuler le public et l'amener à ce qu'il croit vraiment à ce qu'il sepasse sur scène.

Mais le comédien reste toujours double.

Il est cette dualité incarnée lorsqu'il est sur scène.c) Le but de cet effort comme le souligne Diderot est alors double.

Non seulement, il s'agit d'éloigner la douleur du quotidien du spectateur mais aussi de le distraire.

En ce sens, le but est ludique c'est ce qui explique cettenécessité de ne pas être vrai.

On ne souffre pas vraiment sur scène.

On peut dire alors que Diderot développe iciune conception sociale du théâtre.

Face à la dureté de la vie et du quotidien, le théâtre est un lieu d'amusement derelâchement.

L'utilité du théâtre est alors de rendre possible la continuation de la vie et d'offrir un peu de plaisir auspectateur.

Il s'agit essentiellement d'un divertissement.

Ainsi sera tempérée cette douleur.

Transition : Ainsi le comédien doit faire « comme si », il doit ajouter à l'émotion et la contrôler.

Il s'agit d'une fiction, d'un jeu etnon de la réalité c'est pourquoi le vrai de la nature ne peut être identique à celui du théâtre au risque sinon demanquer son objet.

III – Le sublime du faux a) Ainsi le vrai du théâtre, c'est-à-dire sa fausseté même par rapport à la nature doit apparaître avec toute lamaîtrise possible et non l'explosion du sentiment dans sa naturalité même.

La femme devra tomber exécuter sesgestes avec maîtrise et mesure et le mourant feindre celle-ci avec tout autant de contrôle.

Cette maîtrise montrebien tout le décalage qu'il peut y avoir entre le théâtre et la nature, mais nous indique aussi le rôle du comédien quiest bien de ne pas prendre exemple sur la nature.

Il s'agit de fausser le sentiment pour qu'il conserve uneexemplarité.b) C'est pour cela que la notion de bienséance et de plaisir est si présente dans cette fin du texte.

En effet, on nesaurait demander à un mourant de bien vouloir mourir dans la dignité ou sans convulsion.

Or le théâtre permetjustement cette codification sociale.

La décence ainsi que l'ensemble du travail du comédien doit concourir à réjouiret enthousiasmer le spectateur.

Le spectateur ne recherche donc pas la froideur de la vérité telle qu'elle peut luiapparaître ordinairement.

Il cherche à se détendre donc à s'éloigner de la vie courante ce qui explique qu'il vienneau théâtre pour voir le faux.

c) Cependant, ce n'est pas par manque de valeur ou de beauté que la nature ne doit pas servir directement demodèle au comédien, mais bien parce que le comédien ne saurait aussi retranscrire à l'identique les maux de lanature.

Dès lors il faut l'imagination comme capacité de s'éloigner du réel pour faire en sorte que ce sentiment nesoit pas ridicule.

C'est pourquoi le comédien ne doit pas prendre la place du personnage et se mettre à sa placedonc imiter la nature ou bien toujours rester maître de soi-même afin de contrôler ses émotions et les rendreagréable à l'auditoire.

Conclusion : Ainsi le vrai du théâtre n'est pas le vrai de la nature et ne doit pas l'être.

Ce n'est pas tant parce que levrai de la nature nous serait dérangeant que parce que le comédien doit garde son sang-froid afin de transmettre. »

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