Devient-on un génie ?
Publié le 18/06/2012
Extrait du document
Si l'artiste pense à la manière du philosophe, il produit alors une oeuvre précisément opposée à celle de l'art, quant à la forme sous laquelle l'idée nous apparaÎt; car le rôle de l'imagination se borne à révéler à notre esprit la raison et l'essence des choses, non dans un principe ou une conception générale, mais dans une forme concrète et dans une réalité individuelle. Par conséquent tout ce qui vit et fermente dans son âme, l'artiste ne peut se le représenter qu'à travers les images et les apparences sensibles qu'il a recueillies, tandis qu'en même temps il sait maÎtriser celles-ci pour les approprier à son but et leur faire recevoir et exprimer le vrai en soi d'une manière parfaite. Dans ce travail intellectuel qui consiste à façonner et à fondre ensemble l'élément rationnel et la forme sensible, l'artiste doit appeler à son aide à la fois une raison active et fortement éveillée et une sensibilité vive et profonde. C'est donc une erreur grossière de croire que des poèmes comme ceux d'Homère se sont formés comme un rêve pendant le sommeil du poète. Sans la réflexion qui sait distinguer, séparer, faire un choix, l'artiste est incapable de maÎtriser le sujet qu'il veut mettre en oeuvre, et il est ridicule de s'imaginer que le véritable artiste ne sait pas ce qu'il fait.
«
d'excellentes chaussures, tout en restant incapable d'en
fabriquer : notre connaissance théorique, notre science,
de la technique de la cordonnerie ne peut nous donner
l'habileté physique, le tour de main, nécessaire à la fabri
cation d'une chaussure.
Technique et habileté peuvent
s'enseigner
• Mais cette habileté peut-elle s'acquérir? Peut-on me
l'enseigner et puis-je l'apprendre? Évidemment oui : par
un exercice pratique, on peut acquérir une habileté suffi
sante, voire, avec beaucoup d'entraînement, une dexté-
rité exceptionnelle.
Le but de l'apprentissage d'un métier
manuel est de faire acquérir cette habileté nécessaire,
même à ceux qui n'en sont pas naturellement doués.
• Reste que, à habileté égale, un artisan pourra inventer
de beaux objets quand d'autres ne seront capables
que de les exécuter, de les reproduire, de les imiter
même parfaitement.
Bien plus, ici, l'habileté, la dexté
rité manuelle n'est pas prépondérante : tel artisan ou tel
artiste pourra produire des œuvres supérieures en beauté
à celle d'un autre avec une habileté moindre que celle
de ce dernier.
Or cette aptitude à produire le beau,
ce que l'on nomme génie, ne paraît pas, elle, pouvoir
s'apprendre.
2.
Le génie ne peut s'apprendre.
___________ _
Le génie ne s'enseigne pas
• Kant nous fait bien comprendre cette spécificité irré
ductible du génie en comparant l'artiste avec le savant :
«Newton pouvait non seulement pour lui, mais pour tout
autre, décrire clairement, et déterminer pour ses succes
seurs, les démarches qu'il eut à faire depuis les premiers
éléments de la géométrie, jusqu'à ses grandes et pro
fondes découvertes; mais aucun Homère, aucun Wieland
ne pourrait montrer comment ses idées riches en poésie
et pourtant lourdes de pensées surgissent et
s'assemblent dans son cerveau, car lui-même ne le sait
pas et il ne peut donc l'enseigner à un autre.
En matière
de science par conséquent il n'y a entre le plus grand
inventeur et l'imitateur, l'apprenti le plus laborieux, qu'une
différence de degrés, mais il y a une différence spécifique
entre lui et celui que la nature a doué pour les beaux-arts;
on ne veut pourtant pas diminuer ces grands hommes
auxquels l'humanité doit tout, par rapport à ceux qui
par leur talent pour les beaux-arts sont des favoris de la
nature.
Le talent des premiers consiste à faire progresser
toujours davantage les connaissances, et les avantages
pratiques qui en dépendent, comme à instruire les autres
dans ces mêmes connaissances et c'est là une grande
supériorité sur ceux qui méritent l'honneur d'être appelés
des génies; pour ceux-ci l'art s'arrête quelque part; il a
ses limites qu'il ne peut dépasser, qu'il a sans doute
atteintes depuis longtemps et qui ne peuvent plus être
reculées; de plus une telle maîtrise ne peut se communi
quer, elle est dispensée directement à chacun par la ;nain
de la nature; elle disparaît donc avec l'un jusqu'à ce que
la nature confère à un autre les mêmes dons; et il ne
reste plus à celui-ci que d'avoir un modèle pour laisser se
manifester de semblable manière le talent dont il a cons
cience.» (Critique du jugement, § 47.)
La définition kantienne du génie
• Kant définit le génie de la manière suivante : «Le génie
est le talent (don naturel) qui dicte la règle de l'art; mais le
talent, faculté innée de production de l'artiste, appartient
à la nature; on pourrait donc s'exprimer ainsi : le génie
est la disposition innée de l'esprit par laquelle la nature
donne ses règles à l'art.» (Critique du jugement, § 46.)
• Le génie se caractérise ainsi par :
1) L'originalité : «le génie est le talent de produire ce dont
on ne saurait donner de règles déterminées, ce n'est pas
l'aptitude à ce qui peut être appris d'après une règle quel
conque».
2) L'exemplarité : «ses productions, car l'absurde aussi
peut être original, doivent en même temps être des
modèles».
Elles «doivent être proposées à l'imitation
des autres».
3) L'incapacité à «indiquer scientifiquement comment il
réalise son œuvre»; et pourtant «il donne, en tant que
nature, la règle.
Donc l'auteur d'une œuvre qu'il doit à son
génie ne sait pas lui-même d'où lui viennent les idées et il
ne dépend pas de lui d'en concevoir à volonté ou d'après
un plan, ni de les communiquer à d'autres dans des pres
criptions qui les mettraient à même de produire de sem
blables ouvrages».
• Dans ces conditions, il apparaît que le génie exclut tout
apprentissage, en ce sens qu'il ne peut s'enseigner : on
ne peut apprendre à avoir du génie..
»
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