Désobéir peut-il être un devoir?
Publié le 27/01/2005
Extrait du document
«
dont la valeur est suspendue à son utilité, sa capacité à servir efficacement l'action.
Le devoir engage ainsi uneobéissance absolue et non une obéissance relative.
C'est justement dans cette capacité à valoir absolument queKant reconnaît d'ailleurs l'essence du devoir et le critère qui permet de distinguer ce qui est de l'ordre du devoir etce qui ne peut prétendre à ce titre : la loi à laquelle j'obéis ne prend le sens d'un devoir que si elle peut valoiruniversellement pour tout homme et indépendamment des circonstances de l'action.
Ainsi, pour savoir si j'agis ounon par devoir, moi qui suis « sans expérience quant au cours du monde, incapable de parer à tous les événementsqui s'y produisent, il suffit que je demande : peux-tu vouloir aussi que ta maxime devienne une loi universelle ? Si tune le peux pas, la maxime est à rejeter, et cela en vérité non pas à cause d'un dommage qui peut résulter pour toiou même pour d'autres, mais parce qu 'elle ne peut trouver place comme principe dans une législation universellepossible » (Fondements de la Métaphysique des mœurs, Première Section).
4.
En ce sens, agir par devoir, ce n'est jamais agir comme bon me semble, au gré de mes inclinations ou de mespenchants : le devoir suppose l'obéissance à une loi à laquelle j'attribue une valeur non simplement pour moi-même,en tant que cette obéissance se réglerait sur la considération de mon bonheur propre, mais une valeur en soi.L'obéissance, ici, ne dépend pas de ma position, de ma situation particulière.
On ne saurait donner des raisonssubjectives au devoir (l'utilité ou le plaisir que je prends à faire le bien) sans le rendre relatif.
C'est pourquoi Kant vajusqu'à affirmer que celui qui fait le bien par plaisir n'agit pas par devoir mais seulement conformément au devoir(celui-là « fait le bien par inclination, mais pas par devoir ») : son obéissance, en effet, dépend encore du plaisir qu'il y prend, le principe n'en est pas le respect de la loi considérée selon sa valeur intrinsèque.
En ce sens, s'ilm'appartient de faire l'épreuve de la règle de mon action pour apprécier si elle peut ou non valoir à titre de devoir, sije ne peux m'en remettre pour cela à un quelconque traité de morale (quand bien même il s'agirait des Evangiles), cejugement ne relève que de la raison pure et ne saurait dépendre d'un quelconque sentiment. [1]
[transition]
Le devoir semble ainsi engager l'obéissance absolue à la loi de la raison : en effet, une loi ne peut prétendre au titrede devoir que dans la mesure où le respect de cette loi n'est suspendue à aucune fin ou circonstance particulière,dans la mesure où elle peut valoir pour tout homme.
Par conséquent, comment pourrait-on faire de la désobéissanceun devoir ?
II.
Le Devoir consiste-t-il pour autant dans l'obéissance aveugle à une loi ?
Qui dit devoir dit obéissance MAIS :
1.
Le simple fait d'obéir à une loi ne fait pas nécessairement de celle-ci un devoir :
- J'obéis à la loi de la gravitation universelle.
C'est là une loi naturelle et nécessaire, qui ne saurait en aucun cas être comprise comme un devoir, dans la mesure où elle n'engage en rien ma volonté.
Cette obéissance est, en cesens, indifférente.
- J'obéis à la contrainte.
Une telle obéissance ne peut pas non plus prendre le sens d'un devoir : je n'obéis que parce que j'y suis forcé et non pas parce que je reconnaîtrais la valeur de cette
loi.
S'il est nécessaire de céder à la loi du plus fort, cette nécessité n'implique ici aucune légitimité.
Le respect de laloi ne dure alors que le temps que dure la force.
- Ainsi, si le devoir engage l'obéissance absolue à une loi, toute loi ne saurait pour autant prendre la valeur d'undevoir et, par conséquent, on ne saurait confondre le devoir avec l'obéissance aveugle à une loi.
L'obéissance audevoir ne peut être comprise que comme une obligation : être obligé, c'est obéir à une loi dans la mesure où notreraison reconnaît la valeur de cette loi.
2.
Et même, confondre le devoir avec une obéissance aveugle ouvre sur la plus grande immoralité.
- Cf.
Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, Rapport sur la banalité du mal : le bourreau nazi Eichmann sedéfend lors de son procès en arguant qu'il n'a fait qu'accomplir son devoir de citoyen, en obéissant aveuglément auxlois de son pays.
Le scandale d'une telle défense consiste à réduire le devoir à une obéissance servile, comme si lecitoyen devait abandonner tout jugement et n'avait pas le devoir de mesurer la valeur de la loi et de s'y opposer sicelle-ci s'avère injuste ou barbare.
Eichmann affirma qu'il « ne pouvait pas faire autrement, qu 'il fallait obéir » :l'immoralité commence par une telle renonciation à la liberté, qui transforme le citoyen en une bête de troupeau.
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