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Désirer autrui, est-ce porter atteinte à sa liberté ?

Publié le 05/08/2009

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La littérature offre de nombreux exemples de personnages poussés à des conduites extrêmes pour obtenir la satisfaction de leur désir. Ainsi Molière dans l’École des femmes mettra en scène Arnolphe, un vieux noble qui, pour être sur d’épouser une femme parfaitement sotte - la femme selon lui idéale -, a choisi, dés l’enfance, une jeune paysanne, et l’a fait élever hors de sa famille, se créant ainsi « une femme au gré de [ses] souhaits «.

            Molière pose donc ici le problème de la possession, et de la déshumanisation d’autrui par le désir. Dès lors, le désir amoureux est-il forcement désir d’appropriation de l’autre ? Faut-il assimiler le désir de l’autre à l’amour, ou l’envisager séparément du sentiment amoureux ? Désirer  autrui, n’est-ce pas plutôt reconnaître son humanité ? Dans cette optique, n’est-ce pas plus le désirant qui, en faisant don de lui, risque d’aliéner sa propre liberté ? Enfin, peut-on envisager un désir qui, parvenu à pleine maturité, serait capable d’envisager l’autre partiellement en tant qu’objet, mais sans jamais perdre de vue qu’il est un sujet libre auquel le respect est dû ? En ce sens, un désir partagé peut-il s’envisager comme un don réciproque d’une partie de nous-mêmes ?

Le problème sera ici de savoir si en désirant autrui, l’individu n’envisage l’autre qu’exclusivement en tant qu’objet de désir.

« satisfaction qui doit se soumettre à moi.

Cet objet n'existe pas pour moi en tant qu'être humain, ce qui me pousse ànier ce qui le caractérise en tant que tel, y compris sa liberté.

Mais si l'individu inhibe se qui caractérisait celui qu'ildésirait, ne risque-t-il pas de détruire par la même occasion le désir qu'il portait à autrui ? Désirer autrui n'est-cepas plutôt avoir conscience de l'autre en tant qu'individu et donc reconnaître les caractéristiques qui fondent sonhumanité ? En effet, concevoir le désir de l'autre comme simple pulsion de consommation, devenue passion et obsession, c'est manquer le fait que le désir peut parfois nous ouvrir à une réalité qui nous dépasse.

Or le propre du désir estbien d'ouvrir le sujet sur l'extérieur, parce qu'il ne vise pas la possession de tel objet particulier, mais l'ouverture àl'autre en tant que tel.

C'est ce que Platon exprime dans Le Banquet par la voix de Diotime.

En expliquant à Socrate ce qu'est l'amour, Diotime explique du même coup ce qu'est le désir.

L'amour dit Diotime, doit « s'éduquer ».Aimer ce n'est pas aimer telle chose particulière, mais ce qui est « aimable en soi ».

Or ce qui est « aimable en soi »,Diotime le décrit comme un « océan de beauté ».

Parler d'un « océan de beauté », c'est parler d'un objet qui ne se laisse pas posséder, parce qu'il dépasse ce que l'homme peut s'approprier : on ne pourra jamais posséder l'océan.

Ledésir est au fond la dynamique même de l'amour, il vise non pas un objet particulier, mais l'ouverture à une réalitéqui me dépasse.

Cette réalité que Platon décrit comme le « Beau en soi », peut être assimilée à autrui, car l'autre nepeut justement pas être saisi comme une chose.

Dès lors, le désir, lorsqu'il est éduqué, peut nous disposer àrespecter les autres dans leur altérité radicale, et donc dans leur liberté. De plus, si je rabaisse autrui au rang d'objet je perds la notion de bonheur dans l'obtention du désir.

En effet, si autrui est pour moi une simple chose, dès que je l'aurais acquis je m'en lasserais vite et je désirerais une autrechose.

En revanche, si autrui est pour moi un individu que je considère dans toute son altérité je rends l'accessionau désir passionnant et je resterais satisfait une fois mon désir accomplis.

En quelque sorte, c'est plus la conquêtedu désir que son aboutissement qui compte. André Guigot dans Petite philosophie de la passion amoureuse , reconnaît l'importance de la conquête et de l'accession au désir, en signifiant que « désirer autrui c'est avant tout désirer être désiré ».

Si un individu venait àforcer autrui à le désirer, leur amour ne serait dès lors pas concevable.

En effet, ce que l'individu désire chez autruic'est ce qui le caractérise, ce qui fait qu'il existe.

En aliénant des caractéristiques de l'humanité d'autrui, l'individu ledéshumanise et par la même occasion détruit ce qui fait qu'il le désirait auparavant.

C'est ainsi que Sartre dans l'Être et le Néant conclut qu'« un asservissement total de l'être aimé tue l'amour de l'amant, l'amant se retrouve seul si l'aimé se transforme enautomate.

Ainsi, l'amant ne désire-t-il pas posséder l'aimé comme on possèdeune chose ».

Dès lors, quand l'individu désire autrui, il n'aliène pas lescaractéristiques qui le font exister, tel que sa liberté, puisqu'elles sont lesconditions mêmes pour que l'amour entre eux deux soit possible et perdure.Dans cette perspective, désirer autrui permettrait à se dernier de prendreconscience de son existence à travers le désir du désirant.

En effet, ce désiramènerait autrui à utiliser ses facultés qui lui sont propres et qui font qu'ilexiste en tant que sujet, tel que l'expression de sa liberté d'agir ou de penser. Dans cette optique, André Guigot montre qu'en désirant autrui, l'individu ne conçoit pas sa liberté là où s'arrête celle des autres.

Aucontraire, « pour le désirant, sa liberté commence avec celle de l'autre ».L'auteur montre ainsi que le désirant n'a en aucun cas intérêt à aliéner laliberté de l'être qu'il désire puisqu'il aliénerait la sienne par la même occasion. Enfin, l'amour peut également se concevoir comme un don désintéressé : je ne désire pas posséder l'autre, mais seulement faire sonbonheur.

En adoptant cette attitude, l'individu va donner à l'être qu'il désireune importance tellement forte que ce dernier aura non seulement plus deliberté, mais en plus un pouvoir sur celui qui le désire.

Le désiré devientpresque une idole pour le désirant.

Dès lors, ce dernier s'enferme dans unedynamique de servitude vis-à-vis de l'être qu'il désire.

Il s'installe ainsi une relation dominant/dominé entre l'individu et autrui.

On parlera de « dépendance amoureuse » en psychanalyse.

Dansce cas c'est plus la liberté de l'individu qui désire que celle d'autrui qui est menacée. Le désir, dans une dynamique de l'amour, m'amène à respecter autrui dans son altérité radicale et à reconnaître sa condition.

Je le désire en tant qu'individu.

Dès lors si j'étais amené à aliéner les caractéristiques quifont qu'il existe, tel que sa liberté, je cesserais aussitôt de le désirer.

De plus, si je le réduisais au rang d'objet, unefois acquis je perdrais toute envie de maintenir la relation que j'aurais établie.

En effet, la lassitude me gagneraitvite et me pousserait à désirer un autre objet.

Enfin, une relation où j'obligerais l'autre à m'aimer et à me désirern'est pas envisageable puisque dans ce cas je serais l'unique à aimer et je me retrouverais seul : je n'aurais dès lorsaucune notion d'épanouissement ou de bonheur dans l'obtention de mon désir.

Mais le désir amoureux n'est-il pasune composante de deux réalités qui me pousse à considérer autrui à la fois comme un objet et un sujet ? Désirerautrui n'est-ce pas également être prêt à donner un peu de soi pour recevoir une partie de l'autre en retour ? Dèslors, la liberté pourrait-elle s'établir dans la réciprocité du désir ? En effet, le désir amoureux se présente avant tout comme une composante, un juste milieu, entre un désir de possession modéré d'une part, et une reconnaissance de l'autre dans ce qui le caractérise d'autre part.

Le désirest, au fond, un simple moment dans la dynamique de l'amour qui ouvre ensuite sur la reconnaissance de l'altéritéd'autrui et de ce qui le caractérise.

Mais cet aspect sexuel reste malgré tout important dans la relation amoureuse.. »

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