DESCARTES: Un honnête homme n'est pas obligé d'avoir vu tous les livres
Publié le 12/06/2014
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Dégagez l'intérêt philosophique du texte suivant en procédant à son étude ordonnée :
Un honnête homme n'est pas obligé d'avoir vu tous les livres, ni d'avoir appris soigneusement tout ce qui s'enseigne dans les écoles ; et même ce serait une espèce de défaut en son éducation, s'il avait trop employé de temps en l'exercice des lettres. Il a beaucoup d'autres choses à faire pendant sa vie, le cours de laquelle doit être si bien mesuré, qu'il lui en reste la meilleure partie pour pratiquer les bonnes actions, qui lui devraient être enseignées par sa propre raison, s'il n'apprenait rien que d'elle seule. Mais il est entré ignorant dans le monde, et la
connaissance de son premier âge n'étant appuyée que sur la faiblesse des sens et sur l'autorité des précepteurs, il est presque impossible que son imagination ne se trouve remplie d'une infinité de fausse pensées, avant que cette raison en puisse entreprendre la conduite : de sorte qu'il a besoin par après d'un très grand naturel, ou bien des instructions de quelque sage, tant pour se défaire des mauvaises
doctrines dont il est préoccupé, que pour jeter les premiers fondements d'une science solide, et découvrir toutes les voies par où il puisse élever sa connaissance jusque au plus haut degré qu'elle puisse atteindre.
DESCARTES, Œuvres. Lettres. La recherche de la vérité par la lumière naturelle.
Plan
I. Première partie : depuis « Un honnête homme « jusqu'à « que d'elle seule «
II. Seconde partie : depuis « Mais il est entré « jusqu'à « atteindre
«.
Commentaire de texte
Introduction
Quelle est l'idée fondamentale de ce texte ? Si l'érudition n'est nullement nécessaire à la conduite de notre vie, néanmoins, dans la mesure où nous avons été enfants avant que d'être hommes, nous ' sommes les jouets de multiples préjugés et avons, par conséquent, besoin des enseignements de celui qui est sage, c'est-à-dire qui maîtrise pleinement sa pensée dans la recherche du vrai. Pour bien conduire sa raison, il faut se défaire des faux principes, et ce grâce aux instructions de celui qui fait de sa pensée le plus parfait usage. Le problème posé par ces lignes est donc celui de la juste et bonne méthode pour bien diriger sa raison. Érudition ou sagesse intelligente dessinant un équilibre entre les surcharges de la mémoire et l'absence de toute pensée et de tout savoir ? Au fond, Descartes pose ici, très précisément, le problème d'une méthode pétrie, de juste mesure très loin des grands périls qui menacent la raison dans son existence. Le texte se divise en deux parties. La première, qui va de « Un honnête homme « jusqu'à « rien que d'elle seule «, affirme la primauté de la sagesse pratique fondée en raison par rapport à la pure et simple érudition. Cette première partie elle-même se structure en deux sous-parties. La première (« Un honnête homme « jusqu'à « des lettres «)
«
signale le caractère nocif d'un excès d'érudition.
La seconde (« Il a » jusqu'à « seule »)
semble souligner la supériorité de la sphère pratiq ue.
La seconde partie du texte («
Mais il » jusqu'à « atteindre ») souligne, néanmoins, la nécessité d'apprendre ce qu'il
est indispensable de savoir pour se défaire des préjugés engendrés en notre enfance.
Si l'érudition, en tant que telle est proscrite, la voie de la sagesse est inséparable de la
formation acquise grâce à un sage.
Cette seconde partie elle -même se subdivise en
deux sous -parties.
Dans la première (« Mais il » jusqu'à « conduite »), nous sommes
renvoyés à la double source d'erreurs de notre enfance.
Dans la seconde (« de sorte
»jusqu'à « atteindre » ), la vraie voie de la Sagesse est dégagée et exprimée, sagesse où
l'homme se libère et parvient au vrai savoir unifié.
I.
Première grande partie : « Un honnête homme » jusqu'à «
d'elle seule ».
La première grande partie elle -même se subdivise également en deux sous
parties.
Dans la première (« Un honnête homme » jusqu'à « des lettres »), Descartes
souligne qu'il n'est pas nécessaire de surcharger la mémoire par un excès d'érudition.
Dans la seco nde, (« Il a » jusqu'à « seule »), il semble affirmer totalement la
supériorité de la sphère pratique rationnelle, par rapport à un excès de connaissances
et de savoir.
Examinons successivement ces deux parties du développement de
Descartes.
a) « Un honnêt e homme » jusqu'à « des lettres »
La notion d'« honnête homme » apparaît dès le début du texte.
Or, il s'agit là
d'une expression qui fut centrale durant la grande époque classique du 17e siècle.
Elle
représente un élément normatif fondamental.
Dans le lan gage de ce temps, l'«
honnête homme » désignait celui dont les manières ou l'esprit étaient « distingués ».
Mais l'honnête homme, en profondeur, c'est, au 17e siècle et tout particulièrement,
dans ces lignes de Descartes, celui qui juge bien de tout sans é rudition, avec le
minimum de bagage et de savoir.
Loin d'accumuler des lectures encyclopédiques, loin
de lire « tous les livres » et de se surcharger la mémoire, il veut seulement développer
les libres puissances de son esprit.
Quant à l'enseignement des « écoles », il ne lui est
pas attaché outre mesure.
De quelles « écoles » s'agit -il exactement ? Descartes fait
ici allusion aux maisons d'enseignement scolastique.
Ce terme d'école est maintes
fois employé dans la première partie du Discours de la méthode (« J'étais en l'une
des plus célèbres écoles de l'Europe »).
Dès la première phrase, Descartes semble
répudier la surcharge intellectuelle.
Il souligne les défauts de connaissances
encyclopédiques.
Lire tous les livres, faire se juxtaposer en notre esprit toutes les
lectures, ne conduit pas à bien juger.
Le souci d'érudition des écoles scolastiques nuit
à l'esprit.
Descartes, dès le début, souligne indirectement les défauts des procédés de
pensée de son temps.
L'exercice des lettres, c'est -à-dire des Humani tés (grammaire,
histoire, poésie, rhétorique) peut ainsi, s'il est trop développé, être nocif, nous dit
Descartes, au bon fonctionnement de l'esprit.
L'accumulation des connaissances
littéraires, loin d'être un facteur positif de formation spirituelle, con stitue un défaut,
elle aboutit à l'absence de ce qui serait nécessaire ou désirable dans la mise en œuvre
des moyens propres à assurer le bon développement de l'esprit humain, à savoir
l'éducation.
On songe ici aux analyses et descriptions du Discours de l a méthode, où
Descartes soulignait sa déception devant les méthodes de l'époque, celles des écoles
scolastiques du temps.
Bien entendu, pour comprendre ce passage et ces lignes de
notre texte, il faut se représenter le docte de l'époque : il a « appris soi gneusement »,
acquis la connaissance des Humanités, il parle latin et il est nourri de tout ce qui a
trait à l'Antiquité..
»
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