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Descartes, Correspondance avec Élisabeth

Publié le 11/04/2012

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Bien que chacun de nous soit une personne séparée des autres, et dont, par conséquent, les intérêts sont en quelque façon distincts de ceux du reste du monde, on doit toutefois penser qu'on ne saurait subsister seul, et qu'on est, en effet, l'une des parties de l' univers, et plus particulièrement encore l'une des parties de cette terre, l'une des parties de cet État, de cette société, de cette famille, à laquelle on est joint par sa demeure, par son serment, par sa naissance. Et il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de sa personne en particulier; toutefois avec mesure et discrétion, car on aurait tort de s'exposer à un grand mal pour procurer seulement un petit bien à ses parents ou à son pays; et si un homme vaut plus, lui seul, que tout le reste de sa ville, il n'aurait pas raison de se vouloir perdre pour la sauver. Mais si on rapportait tout à soi-même, on ne craindrait pas de nuire beaucoup aux autres hommes, lorsqu'on croirait en retirer quelque petite commodité, et on n'aurait aucune vraie amitié, ni aucune fidélité, ni généralement aucune vertu; au lieu qu'en se considérant comme une partie du public on prend plaisir à faire du bien à tout le monde, et même on ne craint pas d'exposer sa vie pour le service d'autrui, lorsque l'occasion s'en présente.

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« Remarques sur l'intérêt philosophique du texte L'extrait de la lettre à Élisabeth du 15 septembre 1645 présente une réflexion sur le rapport entre individu et comm unauté humaine.

Comment, d'un point de vue individuel, se comprendre soi-même comme partie prenante de toute la communauté humaine, et en tirer les conséquences sur le plan moral? L'enjeu philosophique d'une telle question ne peut échapper à quiconque entend se situer dans le monde et maîtriser en homme responsable les exigences de la vie collective .

Enfermé dans les limites de sa singularité, l'individu serait aveugle au sens de sa condition d'homme.

Et le destin de l' univers, dont il prétendrait se désintéresser, s'imposerait à lui de toute façon, à travers les violences de l'histoire.

S'affranchir de soi-même, ce n'est pas renoncer à ses «intérêts» «en quelque façon distincts de ceux du reste du monde », mais découvrir de quelle manière on peut être impliqué dans la communauté humaine, et concerné par son devenir.

ll est très remarquable d'observer que l'exigence philosophique- remonter aux principes de la condition humaine et saisir le sens de chaque vécu singulier -conduisait Descartes à énoncer les fondements d'une sorte de «devoir d'humanité » à l'égard de la communauté humaine universelle.

Idée qui, au xx• siècle, prend un relief très important : la «mondialisation » majeure des problèmes des hommes, la dimension de plus en plus cosmopolite de l'existence, font que la solidarité universelle, éprouvée comme nécessité objective, tend de plus en plus à devenir une valeur mieux reconnue.

Le texte de Descartes a d'admirables accents stoïciens.« On est, en effet, l'une des parties de l'univers.

» La reconnaissance de l'insertion de l'individu dans le «grand Tout » conduit à cultiver l'harmonie avec la nature, à la découvrir à la fois comme accord avec l'ensemble de la communauté et avec soi-même.

La fameuse convenientia des stoïciens permet de concilier l'exi­ gence éthique et la maîtrise de soi : cultiver l'accord avec l'univers, c'est aussi se délivrer soi-même des mesquineries quotidiennes qui trop souvent obsèdent l'esprit et vivre la condition humaine dans la conscience exi­ geante de son sens et de sa valeur.

La solidarité avec les autres hommes accomplit, sur le plan moral et politique, une telle attitude.

Nous sommes loin de l'individualisme replié sur lui-même! «Il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de sa personne en particulier.

» Prolongements ·Un tel propos est à rapprocher de quelques lignes célèbres de Mon­ tesquieu (cf Mes Pensées) : « 10.

Si je savais une chose utile à ma nation qui fût ruineuse à une autre, je ne la proposerais pas à mon prince, parce que je suis homme avant d'être français, [ou bien] parce que je suis nécessairement homme, et que je ne suis français que par hasard.

11.

Si je savais quelque chose qui me fût utile, et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit.

Si je savais quelque chose. »

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