Descartes, Correspondance avec Élisabeth
Publié le 11/04/2012
Extrait du document
«Je me suis quelquefois proposé un doute : savoir s'il est mieux d'être gai et content, en imaginant les biens qu'on possède être plus grands et plus estimables qu'ils ne sont, et ignorant ou ne s'arrêtant pas à considérer ceux qui manquent, que d'avoir plus de considération et de savoir, pour connaître la juste valeur des uns et des autres, et qu'on devienne plus triste. Si je pensais que le souverain bien fût la joie, je ne douterais point qu'on ne dût tâcher de se rendre joyeux, à quelque prix que ce peut être, et j'approuverais la brutalité de ceux qui noient leurs déplaisirs dans le vin, ou les étourdissent avec du pétun. Mais [...] voyant que c'est une plus grande perfection de connaître la vérité, encore même qu'elle soit à notre désavantage, que de l'ignorer, j'avoue qu'il vaut mieux être moins gai et avoir plus de connaissance. [ ... ] Ainsi je n'approuve point qu'on tâche à se tromper, en se repaissant de fausses imaginations; car tout le plaisir qui en revient ne peut toucher que la superficie de l'âme, laquelle sent cependant une amertume intérieure, en s'apercevant qu'ils sont faux. «
Questions
1. Dégagez l'idée essentielle et les étapes de l'argumentation.
2. Expliquez:
a) «Si je pensais que le souverain bien fût la joie, je ne douterais point
qu'on ne dût tâcher de se rendre joyeux, à quelque prix que ce pût être
[...].«
b) «car tout le plaisir qui en revient ne peut toucher que la superficie de
l'âme, laquelle sent cependant une amertume intérieure, en s'apercevant
qu'ils sont faux. «
3. Le désir du bonheur est-il compatible avec la recherche de la vérité ?
«
Réponses rédigées
1.
L'idée essentielle du texte pourrait se formuler de la façon suivante : la
lucidité, même lorsqu'elle attriste, est préférable à un contentement d'illusion.
Les principales étapes de l'argumen ta t ion s'organisent comme suit:
·Dans un premier moment, Descartes expose une sorte d'alternative entre
contentement illusoire et lucidité assortie de tristesse.
Livrée comme objet
de doute, cette alternative donne lieu à un choix
qui dépend de l'homme
( première phrase du texte
).
• Le deuxième moment est consacré au rejet du premier membre de l'alter
native, c'est -à-dire de
la première hypothèse.
Descartes envisage que la fm
ultime puisse être la seule joie, énonce les conséquences pratiques qui
devraient s'ensuivre, mais tout cela sur
le mode d'une hypothèse qui n'est
pas retenue (deuxième phrase).
• Le troisième moment comporte la formulation de la thèse fondamentale
de Descartes, qui adopte
le deuxi ème membr e de l'alternative proposée: la
recherche de la vérité doit toujours être privilégiée, quels qu'en soient les
désagréments (troisi ème phrase ).
• Le quatrième moment constitue un retour sur le type de contentement
dont s'assortit
le premier choix, et une relativisation de sa valeur (dernière
phrase ).
2.
a) Un homme qui ferait de la joie le but ultime et indépassable de l'exis
tence s'efforcerait de saisir toutes
les occasion s d'être joyeux .
Par« souverain
bien », en effet, il faut entendre ce qui l'emporte sur tout autre bien.
D'où
la justification d'une recherche hédoniste débridée, ne reculant devant aucun
inconvénient qui pourrait résulter d'une telle recherche.
Définition---------------------
Hédoniste: du grec hédon è, « plai sir ».
L'h é donisme est une doctrine qui
repose sur la recherche du plaisir et
le souci d'é viter la souffrance.
Les désagréments dont cette recherche pourrait s'assortir seraient en
effet, de toute façon, de moindre importance que
la fin atteinte ou visée,
du moin s dans cette perspective.
b) La joie qui s'attache aux contentements multiples procurés par la course
aux plaisirs doit être relativi sé
e, en ce qu'elle a un caractère superficiel,
inauthentique.
L'â me, ressentant un tel caractère simultanément au plaisir
é prouvé, ne peut donc être pleinement satisfaite.
Par une sorte de dédou
blement qui
la met à di stance, elle vit un tel plaisir sur fond d'amertume,
saisissant justement
ce caractère inauthentique, en raison de l'exigence de
v érité
qui se trou ve en elle .
3.
ll n'est pas rare que, plus ou moins consciemment,
les hommes préfèrent
les illusions qui les réconfortent aux vérités qui les dérangent.
D'où, bien.
»
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