De la génération et de la corruption - Aristote
Publié le 22/03/2015
Extrait du document
Dans tout ceci, la première question est : est-ce que les choses adviennent, changent ou croissent, et aussi subissent les évolutions contraires, du fait de [l'existence de] grandeurs primordiales indécomposables, ou bien n'existe-t-il aucune grandeur indécompo-sable ? D'autre part, s'il y a de telles grandeurs, sont-elles des corps, comme [elles le sont] pour Démocrite et Leucippe, ou bien sont-elles des figures planes, comme dans le Timée ? Comme nous l'avons dit ailleurs, cette décomposition des corps en surfaces planes est absurde. L'existence de corps indivisibles est donc plus conforme à la raison, mais elle présente elle aussi bien des absurdités [...]. [Par exemple,] Démocrite dit que la couleur n'existe pas, car c'est l'orien-tation des atomes qui colore les choses [...1.
La cause de cette faiblesse à embrasser d'une seule vue des phénomènes [physiques] incontestés est le manque d'expérience. Ceux qui, au contraire, ont plus de familiarité avec les faits naturels peuvent mieux suggérer des principes susceptibles d'en relier un grand nombre. Mais ceux qui, partant d'une multiplicité de raisonne-ments, n'observent pas la réalité ne considèrent qu'un faible nombre de faits et discutent aisément. On voit par là combien sont différents ceux qui procèdent physiquement et ceux qui le font logiquement.
(De la génération et de la corruption)
«
Textes commentés 45
Le traité physique dont ce passage est extrait s'interroge sur les causes
de la venue à l'être et de la destruction des entités naturelles.
Question de
principe,
s'il en est, à propos de laquelle Aristote considère que ses
prédécesseurs ont abusé des facilités de l'abstraction théorique, et que
ceci les a finalement conduits à de multiples apories
lorsqu'ils ont
entrepris d'expliquer les phénomènes physiques eux-mêmes.
Ce qu'il
faut trouver, ce sont les principes de la génération et de la corruption des
êtres physiques ;
l'erreur fut de les réifier en identifiant les causes
recherchées
à des éléments premiers indécomposables.
C'est ce qu'a fait
Démocrite en postulant l'existence de corps élémentaires, les
« atomes » ; mais les « polyèdres élémentaires » du Timée sont une
solution plus onéreuse encore, car plus éloignée des choses mêmes.
Platon et Démocrite (le second moins que le premier, certes) procèdent
logikôs, et non pas phusikôs : « ils défendent leurs thèses.
Ils tiennent
leurs principes pour vrais et admettent en toute confiance ce qui en
découle» (Du Ciel III, 7, 306 a 12-13).
Ainsi, pour satisfaire coûte que
coûte à ses hypothèses de principe, Démocrite en vient à nier l'existence
d'un phénomène« incontesté» tel que la couleur.
Les atomistes manquent donc encore d'expérience, ils demeurent dans
l' apeiria.
Mieux vaut, au lieu d' échaffauder des « raisonnements » aussi
vides que faciles, commencer par
«s'installer dans» (enoikeô) 1' expé
rience ; mieux vaut être de
« ceux qui ont plus de familiarité avec les
faits
naturels» (enôikèkasi mal/on en tois phusikois).
Ceci ne signifie en
aucune manière que le savoir réside
dans l'expérience; la familiarité
avec les phénomènes permet seulement de mieux
« suggérer des
principes», c'est-à-dire de mieux «régler», ou «gouverner» (oikeô),
l'expérience à partir de la levée en elle (en-oikeô) de l'universel qu'elle
contient en puissance
(cf.
Textes 1 et II).
Il y a donc un logos qui ne
procède pas
logikôs, mais phusikôs: c'est celui qui convient à l'étude des
phénomènes naturels (on comprend ici ce qui a pu conduire Hegel à
louer
« l' empirie totale » d'Aristote)..
»
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