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De la distinction entre l'existence et l'essence (Descartes)

Publié le 11/05/2005

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descartes
« ... Ayant accoutumé dans toutes les autres choses de faire distinction entre l'existence et l'essence, je me persuade aisément que l'existence peut être séparée de l'essence de Dieu et qu'ainsi on peut concevoir Dieu comme n'étant pas actuellement. Mais néanmoins lorsque j'y pense avec plus d'attention je trouve manifestement que l'existence ne peut non plus être séparée de l'essence de Dieu que de l'essence d'un triangle... la grandeur de ses trois angles, égaux à deux droits ou bien de l'idée d'une montagne l'idée d'une vallée ; en sorte qu'il n'y a pas moins de répugnance de concevoir un Dieu (c'est-à-dire un être souverainement parfait) auquel manque l'existence (c'est-à-dire auquel manque quelque perfection) que de concevoir une montagne qui n'ait point de vallée. » Mais encore qu'en effet, je ne puisse pas concevoir un Dieu sans existence non plus qu'une montagne sans vallée, toutefois, comme de cela seul que je conçois une montagne avec une vallée, il ne s'ensuit pas qu'il y ait aucune montagne dans le monde, de même aussi quoique je conçoive Dieu avec l'existence, il semble qu'il ne s'ensuit pas pour cela qu'il y en ait aucun qui existe : car ma pensée n'impose aucune nécessité aux choses ; et comme il ne tient qu'à moi d'imaginer un cheval ailé, encore qu'il n'y en ait aucun qui ait des ailes, ainsi, je pourrais peut-être attribuer l'existence à Dieu, encore qu'il n'y eût aucun Dieu qui existât. Tant s'en faut, c'est ici qu'il y a un sophisme caché sous l'apparence de cette objection : car de ce que je ne puis concevoir une montagne sans vallée, il ne s'ensuit pas qu'il y ait au monde aucune montagne, ni aucune vallée, mais seulement que la montagne et la vallée soit qu'il y en ait soit qu'il n'y en ait point ne se peuvent en aucune façon séparer l'une avec l'autre ; au lieu que, de cela seul que je ne puis concevoir Dieu sans existence, il s'ensuit que l'existence est inséparable de lui et partant qu'il existe véritablement non pas que ma pensée puisse faire que cela soit de la sorte et qu'elle impose aux choses aucune nécessité ; mais au contraire, parce que la nécessité de la chose même, à savoir de l'existence de Dieu détermine ma pensée à le concevoir de cette façon. Car il n'est pas en ma liberté de concevoir un Dieu sans existence (c'est-à-dire un être souverainement parfait sans une souveraine perfection) comme il m'est libre d'imaginer un cheval sans ailes ou avec des ailes... » (Descartes, Méditation cinquième.)

 L'itinéraire métaphysique de Descartes lui interdit d'utiliser la preuve la plus commune de l'existence de Dieu, celle qu'invoque Thomas d'Aquin et qui remonte de l'existence du monde et de ses mouvements à une cause première et à un premier Moteur. Descartes a mis le monde en doute. C'est à partir du moi pensant (qui a en lui l'idée de Dieu) qu'il remonte à Dieu dans la Troisième Méditation. C'est de l'idée de Dieu elle-même qu'il conclut ici, dans la Cinquième Méditation, à l'existence de Dieu. Car l'idée d'un être parfait implique l'existence, cette « perfection « parmi les autres.

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« L'argument ontologique est donc inspiré par un modèle géométrique.

Certes il y a une différence entre leraisonnement métaphysique qui conclut de l'idée de Dieu à son existence et le raisonnement mathématique quiconclut seulement de la définition d'une essence à l'affirmation de ses propriétés.

Car tout le raisonnementmathématique porte seulement sur ce que Descartes appelle la « réalité objective » des idées, c'est-à-dire sur lesidées en tant qu'objets de notre esprit.

L'existence concrète du triangle dans le monde demeure ici entreparenthèses.

Les êtres mathématiques s'imposent à notre esprit comme essences intelligibles, rien de plus, tandisque l'idée de Dieu, la réalité objective, c'est-à-dire le contenu objectif de cette idée implique la réalité formelle,l'être réel, ontologique de cette idée.

Mais ce qui est commun au raisonnement mathématique et au raisonnementmétaphysique, c'est la rigueur logique, c'est la nécessité des conclusions déduites (même si ces conclusions sont denature différente).L'idée de Dieu a ceci de commun avec l'idée de triangle qu'il s'agit d'une idée innée; ce n'est pas une idée adventice,apportée par l'expérience ; ce n'est pas une idée factice, inventée en réunissant des idées multiples issues del'expérience.

En un mot l'idée de Dieu comme l'idée de triangle ne sont pas des concepts (au sens aristotélicien etscolastique), c'est-à-dire des notions tirées par abstraction de l'expérience concrète.

Ce sont des idées au sensplatonicien du mot, des essences que mon esprit découvre à l'intérieur de lui-même et qui s'imposent à lui, avectoutes leurs propriétés, ces propriétés étant bien entendu fort différentes s'il s'agit de l'idée de triangle ou de l'idéede Dieu.« ...

Encore que je ne puisse pas concevoir un Dieu sans existence non plus qu'une montagne sans vallée, toutefoiscomme de cela seul, que je conçois une montagne avec une vallée, il ne s'ensuit pas qu'il y ait aucune montagnedans le monde ; de même aussi, quoique je conçoive Dieu avec l'existence, il semble qu'il ne s'ensuit pas pour celaqu'il y en ait aucun qui existe.

»Voici une nouvelle objection que Descartes se fait à lui-même en devançant le lecteur.

L'idée de montagne impliquecelle de vallée et l'idée de triangle celle de trois angles égaux à deux droits.

Mais il ne s'ensuit pas qu'il existeformellement, réellement des montagnes et des triangles dans l'expérience concrète.

De même l'idée de Dieu impliquel'idée de l'existence de Dieu.

Mais ceci n'impliquerait pas que réellement Dieu existe.

Cette objection est celle-làmême que Kant reprendra contre l'argument ontologique.

Elle revient à dire que l'existence est une « positionabsolue », extérieure au concept, que l'existence n'est pas une « perfection », un attribut parmi les autres.

Entrel'idée de cent thalers dans ma tête, idée complète et bien distincte de ces pièces d'or, et la réalité de cette fortunedans ma poche il y a une différence radicale.

Nous ne sommes pas sur le même plan.

L'existence, dira Kant, peutseulement être constatée dans l'expérience.

Elle ne peut pas être déduite.

L'idée de perfection absolue impliquel'idée d'existence ; mais on ne peut démontrer a priori qu'à cette idée d'existence correspond une existence réelle del'Être souverainement parfait.« Il y a un sophisme caché sous l'apparence de cette objection...

La nécessité de la chose même, à savoir del'existence de Dieu détermine ma pensée.

»Descartes par-delà la tombe retournerait en quelque sorte l'objection de Kant ; ce n'est pas l'argument cartésien quiest un sophisme, c'est la critique précédemment énoncée (que Kant reproduira) qui est réellement un sophisme!Descartes revient ici à l'opposition de l'idée innée que je découvre en moi et de l'idée factice que j'invente.

Les idéesfactices, dira Descartes, dans ses Réponses aux premières objections, sont des idées composées par l'esprit à partirde fragments empiriques et puisqu'elles sont composées elles sont divisibles à mon gré.

Je peux concevoir un chevalavec une tête d'homme, un centaure, ou un cheval ailé ou concevoir un cheval sans tête d'homme ou sans ailes.Ces idées factices, composées par l'entendement, sont divisibles par lui, à volonté.

Les idées mathématiques, enrevanche, me résistent.

Essayez donc d'imaginer un cercle dont les rayons ne seraient pas égaux ! L'entendementsaisit ici une essence qui s'impose à lui, qui « n'a pas été faite ou composée par lui ».

L'idée de Dieu s'impose à moicomme l'idée de cercle.

Elle s'impose à moi avec toutes ses propriétés, comme l'idée du cercle.

Seulement l'idéed'infini, de perfection absolue a une propriété originale qui est l'existence (sans elle l'infini ne serait pas l'infini).L'idée d'une puissance infinie est l'idée d'une puissance qui existe nécessairement « par sa propre force », parl'exubérance ontologique de l'infinité elle-même, « et ainsi nous connaîtrons que l'existence nécessaire est contenuedans l'idée d'un être souverainement puissant, non par aucune fiction de l'entendement mais parce qu'il appartient àla vraie et immuable nature d'un tel être d'exister ».«...

Il n'est pas en ma liberté de concevoir un Dieu sans existence...

» L'idée de Dieu loin d'être une fiction de monimagination créatrice, une fantaisie de ma liberté, s'impose à mon entendement, exerce sur lui une contrainte.

Ils'agit d'une sorte d'expérience métaphysique que je fais dans ma pensée, d'un infini qui déborde cette pensée plutôtque d'un raisonnement aventureux qui poserait à tout risque une conclusion discutable. Conclusion L'exposé de l'argument que Kant appellera ontologique enveloppe donc, dans le texte même de la cinquièmeMéditation, une réponse aux objections possibles.

Descartes n'ignore pas les difficultés de l'argument.

Dans lesRéponses aux premières objections, il écrira : « Je confesse ici librement que cet argument est tel que ceux qui nese ressouviendront pas de toutes les choses qui servent à sa démonstration le prendront aisément pour un sophisme; et que cela m'a fait douter au commencement si je m'en devais servir, de peur de donner occasion à ceux qui ne lecomprendront pas de se défier aussi des autres.» Mais les difficultés de l'argument sont des difficultéspsychologiques, dues à des confusions et à des habitudes mentales.

Pour dissoudre ces difficultés il faut 1° Bien distinguer l'idée de Dieu de ces idées factices, plus exactement de ces concepts que nous fabriquons àpartir de l'expérience sensible, dont l'esprit sépare à son gré les éléments puisqu'il les a composés.

L'idée de Dieus'impose à moi comme les vraies et immuables essences que découvre le mathématicien.

Nous sommes ici dans unclimat platonicien et non aristotélicien.

Comme dit Henri Gouhier, « l'argument de Descartes a, en quelque sorte,. »

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