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De la critique de la religion à la critique de la politique

Publié le 23/03/2015

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religion

« Pour l'Allemagne la critique de la religion est terminée pour l'essentiel, et la critique de la religion est la condition de toute critique.

Une fois son oratio pro anis et focis céleste réfutée, l'existence profane de l'erreur est compromise. L'homme, qui, dans la réalité imaginaire du ciel où il cherchait un surhomme, n'a trouvé que le reflet de lui-même, ne sera plus enclin à ne trouver que l'apparence de lui-même, l'inhumain, là où il cherche et doit chercher sa réalité vraie.

Le fondement de la critique irreligieuse est celui-ci : l'homme fait la religion, la religion ne fait pas l'homme. Plus précisément : la religion est la conscience de soi et de sa valeur de l'homme qui ou bien ne s'est pas encore conquis, ou bien s'est déjà reperdu. Mais l'homme, ce n'est pas un être abstrait, installé hors du monde. L'homme, c'est le monde de l'homme, l'État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, une conscience du monde à l'envers, parce qu'ils sont un monde à l'envers. La religion, c'est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d'honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, le fondement général de sa consolation et de sa justification. Elle est la réalisation fantastique de l'être humain parce que l'être humain ne possède pas de réalité vraie'. La lutte contre la religion est donc médiatement la lutte contre ce monde dont la religion est l'arôme spirituel.

La misère religieuse est tout à la fois l'expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature tourmentée, l'âme d'un monde sans coeur, de même qu'elle est l'esprit de situations dépourvues d'esprit. Elle est l'opium du peuple.

L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple, c'est l'exigence de son bonheur réel. Exiger de renoncer aux illusions relatives à son état, c'est exiger de renoncer à une situation qui a besoin de l'illusion. La critique de la religion est donc en germe la critique de la vallée de larmes dont l'auréole est la religion.

 

La critique a arraché les fleurs imaginaires de la chaîne, non pour que l'homme porte sa chaîne sans consolation et sans fantaisie, mais pour qu'il rejette la chaîne et cueille la fleur vivante. La critique de la religion désillusionne l'homme afin qu'il réfléchisse, qu'il agisse, qu'il élabore sa réalité, comme le fait un homme désillusionné, devenu raisonnable, afin qu'il gravite autour de son véritable soleil. La religion n'est que le soleil illusoire qui se meut autour de l'homme tant que ce dernier ne se meut pas autour de soi-même2.

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« Textes commentés 37 C'est donc la tâche de /'histoire d'établir la vérité de !'ici-bas, après qu'a disparu l'au-de/à de la vérité.

C'est en premier lieu /a tâche de la philosophie, qui est au service de l'histoire, de démasquer l'aliénation dans ses formes non sacrées, une fois démasquée la forme sacrée de l'aliénation humaine.

La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique.

» Introduction à la critique de la philosophie du Droit de Hegel, trad.

fr.,©Aubier/Montaigne, Paris, 1971, pp.

51-551.

Les textes de Marx, en particulier du jeune Marx, sont d'une redoutable richesse 1 rhétorique et philosophique tout à la fois, avec des formulations à double fond signalées toutefois largement par les italiques.

Il ne sera pas possible dans ce court commentaire d'en épuiser toutes les suggestions.

L'idée essentielle est la 1 suivante : on voit ici un Marx jeune-hégélien qui, simultanément, joue Hegel contre Feuerbach et Feuerbach contre Hegel.

Les premières lignes de .

l'introduction se réfèrent explicitement à la tâche déjà accomplie par Feuerbach dans L'Essence du christianisme.

Mais l'expression «pour l'essentiel» est une véritable flèche du Parthe : non seulement elle suggère rhétoriquement que la critique feuerbachienne de la religion a des limites, mais elle rapporte ces limites à la notion d'essence (l'essence de l'homme que la critique feuerbachienne prétend reconquérir) et soumet cette dernière à la critique hégélienne de l'essence dans la Logique et dans !'Encyclopédie des sciences 1 philosophiques, où l'essence est « l'explication », voire le fondement, de l'être ·qu'invoquent les «philosophies de l'entendement» (les philosophies dualistes qui ne s'élèvent pas à l'unité dialectique de l'apparence et de l'essence de l'être dans sa réalisation).

L'allusion -importante - au« monde inversé» renvoie à cette critique2.

Elle place en même temps toute l'introduction sous le signe d'une réflexion sur l'inversion et le renversement.

1 Feuerbach a eu Je tort de concevoir la critique de la religion comme une entreprise dont les résultats seraient immédiats, alors qu'elle est « médiatement la lutte contre ce monde ».

La critique de la religion est la critique d'un épiphénomène, d'une idéologie3 ; au lieu de nous restituer d'emblée « l'essence humaine » - notion que Marx reprend certes à son compte mais qu'il va 1.

Traduction revue.

2.

C'est dans le chapitre « Force et entendement » de la Phénoménologie de /'Esprit que Hegel traite expressément de l'essence comme «monde à l'envers».

Bruno Sauer, dans Das entdeckte Christentum ( 1842-43 - § 13 : «Die verkehrte Welt »),avait critiqué la religion comme un «monde à l'envers».

Mais il s'agit aussi d'un vieux thème de la littérature utopique signifiant le renversement des rapports de domination.

3.

Terme qui n'est pas employé ici.. »

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