David Hume, Traité de la nature humaine, II, 3e partie, section III. « Une passion est une existence primitive, ou, si vous le voulez, un mode primitif d'existence »
Publié le 04/04/2012
Extrait du document
«
Introduction
Alors que la philosophie morale traditionnelle est fondée sur une opposition
conflictuelle entre la raison et la passion, Hume d énonce ce combat en démontrant
qu'il n'a pas de sens car il ne peut jamais avoir l ieu.
Or, s'il ne peut avoir lieu, c’est
grâce d'une part à la nature même de la passion et, d'autre part, à la fonction
intellectuelle ou théorique de la raison.
La conséq uence de cette thèse sera de réfuter
toute critique de la passion comme déraisonnable, p uisque cette catégorie relève de
la raison.
Faut-il alors réhabiliter la passion en lui redonnant tous ses droits au
détriment de la raison ?
I.
L'inanité d'un combat entre passion et raison
a) De la passion comme « existence primitive »
Hume définit la passion comme « une existence primi tive ».
La passion relève
d'une expérience affective caractérisée par l'origi nalité et la totalité exclusive : elle est
originaire et originale dans le sens où elle est un événement singulier qui existe
d'elle-même et par elle-même en m'affectant sur « u n mode primitif », c'est-à-dire sur
un mode non dérivé ou secondaire.
En ce sens, elle est un événement qui se produit
en notre affectivité et non une représentation qui se produirait en notre esprit.
La
passion est donc un fait absolu et complet en lui-m ême, qui n'est pas de l'ordre de la
représentation.
« Elle ne contient aucune qualité r eprésentative », c'est-à-dire qu'en
elle, il n'y a rien qui ne fasse référence à quelqu e chose d'extérieur à elle-même et que
la passion rendrait présent.
Elle n'est pas une cop ie représentative de quelque chose,
mais une expression de l'affectivité humaine.
Par l à, Hume affirme l'autonomie
absolue de la passion dont il donne immédiatement u n exemple, celui de la colère.
La
colère est un exemple privilégié car il rend specta culaire cette invasion de la passion
dans un être qu'elle s'accapare tout entier.
Parce que la colère se vit et s'éprouve, elle relèv e du sentiment et non du
jugement.
« Quand je suis en colère, je suis réelle ment possédé par cette passion», au
point que mon être se confond avec elle.
Je suis ma colère, diraient aujourd'hui les
philosophes de la phénoménologie.
Hume fait là une analyse moderne et
phénoménologique de la passion à travers cet exempl e de la colère, exemple que
Merleau-Ponty reprendra dans Phénoménologie de la perception : « je lis la colère dans
le geste, le geste ne me fait pas penser à la colèr e, il est la colère elle-même » (II, 6).
Hume s'autorise à comparer cette passion à la sensa tion de soif, au fait de la maladie
et à la taille de l'individu.
Cette comparaison est stratégique car elle permet de
montrer de manière encore plus sensible que la pass ion ne se réfère à rien d'autre
qu'à elle-même.
Comparable à la sensation de soif, la passion est de l'ordre du sentir
et non du penser.
Comparable à une maladie, elle es t de l'ordre du vécu et du fait qui
s'impose d'abord à moi, indépendamment de toute réf lexion.
Comparable à la taille,
elle est une donnée irréductible de mon corps.
Hume inscrit sa définition dans une conception atom istique des faits affectifs
qui se donnent à chaque fois sur le mode d'une tota lité achevée.
Cette définition de la
passion est aux antipodes de la conception intellec tualiste qui y voit une « maladie de
l'âme ».
La passion n'est pas définie négativement comme une perte ou une déroute
de la raison, mais .positivement et absolument comm e « existence première » sans
référence à la raison.
b) l'impossibilité d'un combat par la raison.
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