David HUME: La beauté est-elle dans les choses ou dans l'esprit ?
Publié le 06/04/2005
Extrait du document
«
belle revient à affronter un paradoxe : comment ne pas faire confiance à son sentiment devant une oeuvre d'art ?Mais comment partager ce sentiment, pour être en mesure de discuter avec autrui de la beauté ? Comment êtrefidèle à ce que l'on ressent sans pour autant compromettre la possibilité même d'une esthétique, d'une « science »du beau ?
[I.
On ne peut pas se tromper lorsqu'on affirme qu'une chose est belle ]
[1.
Une chose « est» belle si on la juge telle]
À moins de supposer que l'on se mente volontairement à soi-même, on ne peut pas se tromper en affirmant qu'unechose est belle.
Car on ne peut pas supposer que la chose diffère de ce qu'elle nous paraît, à nous.
C'est l'argumentde Hume, radicalisé en relativisme : si l'on tombe en extasedevant telle sculpture de Rodin ou tel tableau de sa grand-mère, alors l'oeuvre est belle, belle pour soi.
Puisqu'il n'ya d'autre critère du beau que celui du sentiment, propre à chacun, alors on ne peut se tromper en affirmant qu'unechose est belle (ou laide).
[2.
Ce qui plaît est beau]
Plus précisément, le critère du beau est celui du plaisir ressenti : « Tout objet qui tend à causer du plaisir à sonpossesseur, ou qui, en d'autres termes, est la cause propre du plaisir, plaît sûrement au spectateur par une subtilesympathie avec le possesseur.
» (Hume, Traité de la nature humaine.) La chose « belle » est donc celle quicontente les sens, et le sentiment de plaisir est la preuve nécessaire et suffisante de cette beauté, pour celui qui leressent.
[3.
Insuffisance du relativisme en art]
Une telle thèse s'expose cependant à deux réserves, liées entre elles.
D'une part, comment communiquer avecautrui sur la beauté, si elle est individuelle ? Car, comme le montre Kant dans la Critique de la faculté de juger,quand on trouve une chose belle, on ne peut « faire autrement qu'estimer que cet objet doit contenir un principe desatisfaction pour tous ».
On veut qu'il plaise aussi à autrui.
Or cela semble impossible si l'on fonde la beauté sur lapartialité du sentiment.
Ainsi, et c'est le deuxième point, toute discussion (cf.
le «en disant» du sujet) sur l'art estrendue caduque par le relativisme.
Il devient impossible de déterminer des oeuvres de référence et de parler de «chefs-d'oeuvre », puisque chacun a « ses » chefs-d'oeuvre.
Plus de musée du Louvre, mais un pour Paul et un autrepour Jacques, ou encore un pour les classes populaires et un pour les classes aisées, etc.
Bref, on a perdu le sensde ce qui fait qu'une chose « est », essentiellement, belle.
On a manqué ce que H.
Arendt nomme à juste titre, dansLa Crise de la culture, « le caractère public de la beauté ».Il nous faut donc réfléchir sur des critères communs du beau.
[II.
Pour ne pas se tromper en disant qu'une chose « est » belle, il faut qu'elle puisse l'être pour tous]
[1.
Le beau n'est ni l'agréable ni le bon]
Kant le montre dans la Critique de la faculté de juger : il ne faut pas confondre le beau avec l'agréable et le bon.Est agréable ce qui plaît et répond à une attente (un bon plat) ; est bon ce qui suscite l'estime et l'approbation (unhomme vertueux) ; mais est beau ce qui « plaît simplement », sans que son existence ne se relie au moindre intérêt.La beauté suscite en l'âme une harmonie des facultés qui est la même pour tous, puisqu'aucun jugement partial nes'y mêle.
C'est pourquoi la satisfaction ressentie est commune à tous : il y a un « sens commun » du beau.
[2.
Le sens commun artistique]
Cette thèse, pour abstraite qu'elle soit, présente l'intérêt d'abolir les barrières entre les classes, les âges, lessexes...
dans le domaine de l'art.
Il peut y avoir des cultures différentes, mais sur le fond les goûts doivent serejoindre : si les graffes sont vraiment de l'art, alors ils le sont au même titre que les Nymphéas de Monet, et lamusique techno vaut les sonates de Chopin.
Mais Kant montre bien qu'aucune partialité ne doit être à l'oeuvre dansl'appréciation de la beauté.
Cela exclut aussi bien la démagogie que le snobisme...
[Conclusion]
À la condition de ne pas faire prévaloir ses intérêts personnels dans le jugement, on peut donc s'accorder avecautrui sur la beauté d'une oeuvre.
En ce sens, les musées peuvent contribuer à éduquer le goût : même si l'on n'«aime pas » tel portrait de Bacon ou telle sculpture de Giacometti, on peut reconnaître que l'artiste a su saisir ledéchirement d'une âme ou la fugacité d'un mouvement.
Cependant, l'art ne donne sa pleine saveur que dans leressenti.
C'est uniquement lorsqu'on le goûte, personnellement, que le beau cesse d'être abstrait.
Faute de quoi ilreste le beau des autres, et c'est se mentir à soi-même que de le revendiquer..
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