Dans une lettre à un ami, après un rapide examen de la manière dont l'histoire était comprise avant lui, Augustin Thierry expose sa propre manière de la concevoir et de la traiter. © Tu te rappelles l’enthousiasme que provoqua chez moi la lecture du sixième livre des Martyrs. Ce moment a été décisif pour ma vocation. Je serai historien, mais je veux faire quelque chose de tout à fait nouveau.
Extrait du document
«
132
LETTRES ET DISCOURS
franques et ta monarchie du
XVIII
0
siècle, entre la cour de
Louis XV et celle de Childéric'; il nous parle des charmes de
ce prince, de son coeur tendre! On croirait lire un roman de
Mile de Scudéry.
2.
Fausseté de point de vue.
On ne s'est intéressé jusqu'ici qu'aux rois, aux grands et
aux conquérants.
On a fait l'histoire des guerres et des cours
on n'a point fait celle de la nation.
Sans doute Voltaire a peint
la civilisation, les lettres et les arts, Montesquieu décrit les institutions.
Mais Je peuple, pour eux, ne compte pas.
Qui s'est
préoccupé de dire ses souffrances, ses misères, ses luttes? Il nous
manque l'histoire des sujets, des masses populaires, qui reste
ensevelie dans la poussière des archives.
II.
Voilà ce que je veux écrire.
Je renouvellerai
1.
Le
tond.
Je montrerai la Révolution en marche dès les
origines, la revanche des vaincus sur les vainqueurs, la persis-
tance des races.
Depuis plus de treize siècles la France conte-
nait deux races, deux peuples les nobles, descendants des
Franks, et le Tiers, descendant des Gallo-Romains subjugués.
Après bien des efforts pour secouer le joug, une bataille déci-
sive a été livrée, elle s'appelle la Révolution.
2.
La forme.
Je peindrai le passé sous des couleurs exactes,
marquant bien les différences des époques.
Je ferai revivre
les barbares et les Gallo-Romains, m'attachant à bien rendrt
sensibles le décor, les costumes, le genre de vie, les âmes.
Mon
livre sera vivant et dramatique.
(On peut se souvenir ici des
passages que l'on connaît des Récits des temps mérovingiens.)
Voilà quels sont mes projets.
Si je réussis, j'aurai bien servi
mon pays....
En attendant, je passe des moments délicieux
dans les bibliothèques de Sainte-Geneviève et de l'Arsenal.
Je vis vraiment avec les morts, et je t'assure que les misères
des masses populaires me paraissent plus touchantes que celles
des rois dépossédés.
1.
Cf.
Juiliari, Extraits des
Historiens du XIX' Siècle,
particu-
lièrement p.
38, 47, 37 et 21.
Clievaillier et Audiat,
XIX' Siècle,
p.
1283
à
1347..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Dans une lettre à un ami, après un rapide examen de la manière dont l'histoire était comprise avant lui, Augustin Thierry expose sa propre manière de la concevoir et de la traiter
- Augustin Thierry a raconté que sa vocation historique s'était éveillée à la lecture des Martyrs de Chateaubriand, à l'enthousiasme qu'il éprouva. Il ajoute que « tous » ont la même dette envers Chateaubriand. Dans quelle mesure, selon vous, les historiens de la première moitié du XIXe siècle ont-ils pu subir l'influence de Chateaubriand et lui devoir certaines qualités et certains défauts ?
- Augustin Thierry déclare que, dans les circonstances critiques, l'étude la plus utile et la plus fortifiante pour une nation est celle de sa propre histoire. Vous expliquerez : 1° la thèse générale ; 2° l'application qu'on peut en faire à la situation présente de la France ?
- Le Rouge et Le Noir Il y avait encore bien des heures à attendre; pour faire quelque chose, Julien écrivit à Fouqué: "Mon ami, n'ouvre la lettre ci-incluse qu'en cas d'accident, si tu entends dire que quelque chose d'étrange m'est arrivé.
- «Dans la mémoire des Français, le XVIIe siècle joue un peu le rôle d'une référence par rapport à laquelle on juge tout le reste, comme, avant le classicisme, on jugeait tout par rapport à l'antiquité. Cela tient peut-être au fait que ; par rapport aux siècles qui l'on précédé, il inaugure les temps modernes. Mais on peut croire aussi qu'en dépit des luttes qui ont marqué son histoire il évoque la pensée d'une certaine cohésion : l'approche, par différentes avenues, d'un commun idéal de