Dans quelle mesure la maîtrise du langage contribue-t-elle à nous donner du pouvoir sur le monde et sur nos semblables ?
Publié le 13/02/2004
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Le langage apparaît à la fois comme le véhicule d’expression de la pensée, comme moyen de nommer les choses et de communiquer. S’interroger sur le pouvoir du langage amène à s’interroger sur ces fonctions, qui donnent au langage un pouvoir propre, qui n’est pas seulement hérité de la pensée qu’il véhicule ni de la réalité dont il serait une copie sous forme de signes. Dans quelle mesure dire les choses peut alors contribuer à nous donner une emprise sur elles et sur les destinataires du discours ? Comment le langage, par sa nature même, peut-il permettre non pas seulement un discours, mais une action sur le monde et les autres ? Nous verrons dans un premier temps que le langage s’adresse aux passions de ses destinataires et a le pouvoir d’être détaché de la réalité, pour créer une vérité qui lui est propre, ce qui lui confère sa force de persuasion. Nous nous demanderons alors si le langage n’est pas plutôt ce qui forme notre raison et notre pensée, en nous permettant d’agir ainsi ensemble sur un monde connu. Il sera alors possible d’affirmer que si le langage contribue à nous donner du pouvoir sur un plan pratique, son ambition ne doit pas être étendue à la connaissance de l’essence même des choses dégagées du projet d’agir sur elles.
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réalité, pour créer une vérité qui lui est propre, ce qui lui confère sa force de persuasion.
Nous nous demanderonsalors si le langage n'est pas plutôt ce qui forme notre raison et notre pensée, en nous permettant d'agir ainsiensemble sur un monde connu.
Il sera alors possible d'affirmer que si le langage contribue à nous donner du pouvoirsur un plan pratique, son ambition ne doit pas être étendue à la connaissance de l'essence même des chosesdégagées du projet d'agir sur elles.
1° Le langage comme instrument de persuasion
Pour les sophistes de l'Antiquité, contre lesquels s'élève la philosophie platonicienne, le langage tient son pouvoir desa force de persuasion.
L'art de la rhétorique est l'art de discourir sur toute chose, et de nombreux citoyensréclamaient, dans la démocratie athénienne, les services des orateurs, pour persuader les juges des tribunaux ouleurs concitoyens lors des assemblées.
Si le langage a le pouvoir, lorsqu'il est bien utilisé, d'obtenir l'assentiment deson destinataire, c'est parce qu'il ne se soucie pas d'atteindre une vérité qui existerait indépendamment de lui, maisqu'il crée lui-même la vérité que l'orateur veut démontrer.
S'il est donc possible de démontrer des vérités différentesselon les interlocuteurs, c'est parce que le langage s'adresse aux passions et non à la raison : par son pouvoird'évoquer ce qu'il dit, il crée chez son destinataire pitié, terreur ou émotions qui ont sur l'âme le même effet que lesdrogues sur le corps, comme le souligne Gorgias.
Le discours du rhéteur lui donne ainsi un pouvoir sur sessemblables, et également, en un sens, sur l'être des choses puisque le langage n'est pas obligé de se conformer àune réalité extérieure, mais peut créer par son pouvoir d'évocation la vérité que l'on veut démontrer.
Le langagecompris ainsi peut donc se révéler un dangereux outil de domination et de manipulation.
2 ° Pouvoir du langage & langage du pouvoir.
Puisqu'il a pour fonction essentielle l'expression de la pensée et la communication entre les hommes, il estclair que le langage joue un rôle éminent dans les phénomènes de pouvoir.
Il permet ou facilite l'action; il l'interdit oula sanctionne; le droit se dit et s'écrit et ceux qui dirigent la Cité exercent leur fonction par l'intermédiaire dulangage, tout comme ils sont attentifs à en capter les signes.
Dans toutes les sociétés, les titulaires du pouvoir ont possédé la maîtrise du langage ou des langagespropres à orienter l'action d'autrui.
Ceux-là sont détenteurs de ce "maître-mot" que Kipling attribuait dans la jungle à l'enflant démuni mais qui finirait par s'emparer de la fleur rouge.
Prêtres et scribes, pontifes et rois, légisteset avocats, journalistes et hommes des médias connaissent tour à tour cette puissance.
L'agora d'Athènes était lelieu de disputes, de collusions oratoires.
De même, Dieu se manifeste par cet acte de langage: " Au commencement était le Verbe" disait déjà Saint-Jean.
Dans les sociétés complexes, le langage est l'expression du pouvoir.
A tel point que le fait de nommer, dequalifier un Pouvoir, lui donne sa cohérence, sinon son existence: qui dit monarchie se met en mesure d'élaborer lesystème monarchique, formule la série des concepts qui se trouvent mis dans la langue.
Toutes les institutions majeures ont pour rôle de tester et d'élaborer le langage du Pouvoir.
L'un desprivilèges les plus incontestables du milieu dirigeant est précisément de conserver la langue.
Le langage de la culturese confond avec celui de la classe dirigeante.
Les faits langagiers montrent la capacité "performative" des classesdirigeantes.
Et, le propre de ces dernières est d'éviter ou d'intégrer la "gheottisation" du langage: culture jeune (BD,musique, expressions "branchées"...).
Dès lors, si le pouvoir manifeste son emprise sur le langage, ce dernier à sontour influence le Pouvoir, à tel point que l'évolution des phénomènes langagiers a une signification historique etpolitique considérable: l'invasion du franglais traduit ainsi notre infériorité à l'égard de l'Amérique anglophone, lorsquela France était puissante, on parlait français à Saint-Pétersbourg.
De même, à la limite, on obtient le phénomène dela langue de bois qui est une conséquence de la glaciation du langage et/ou de la glaciation du Pouvoir.
Aussi, il faut bien qu'un jour, change ce langage jugé rétrograde.
Et, la révolution se manifeste aussi par un acte delangage.
La prise du pouvoir ne s'accompagne pas par hasard de déclarations solennelles, de thèses ou deprofession de foi.
En bref, on peut dire que le rêve de puissance est un rêve de langage.
Il fonde et manifeste le Pouvoir etcelui-ci s'exerce par celui-la.
3° Le langage nous donne du pouvoir par sa fonction de nommer les choses
On peut penser que le langage ne tient pas uniquement son pouvoir de la force de persuasion d'un discours bienconstruit et évocateur, mais de sa propriété même de nommer les choses.
Le langage contribue à nous donner dupouvoir parce qu'il n'est ni une copie de la réalité ni un simple véhicule de la pensée, mais qu'il nous permet de.
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