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Dans quelle mesure cette formule de Rousseau vous semble-t-elle rendre compte du processus de constitution des sciences de l'homme : « Quand on veut étudier les hommes, il faut regarder près de soi; mais pour étudier l'homme, il faut apprendre à porter sa vue au loin ; il faut d'abord observer les différences pour découvrir les propriétés » ?

Publié le 11/02/2011

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rousseau

Il convient d'organiser la réflexion en deux temps:    — Une analyse approfondie de la phrase de Rousseau (signification des deux thèses défendues, implications et présupposés, type de démarche philosophique en jeu).    — Un commentaire sur sa valeur explicative concernant l'avènement des sciences de l'homme.    ANALYSE APPROFONDIE DE LA PHRASE PROPOSÉE.    • Signification générale.    Tirée de l'Essai sur l'origine des langues (chapitre 8, Éditions Ducros, page 89), la phrase de  Rousseau n'est pas passée inaperçue chez ceux qui s'intéressent à la naissance et au développement des sciences humaines. Essayons d'en étudier les principaux aspects.

    

rousseau

« c) Apprendre à porter sa vue au loin.

Pour connaître véritablement l'homme, il importe de s'affranchir de ce quesuggère la vue immédiate, cela pour éviter d'ériger en absolu les données particulières d'une société.

Cetaffranchissement requiert un effort («apprendre») car il contrarie une tendance presque spontanée, et souventinconsciente, à juger à partir de normes familières, propres à une culture, à un moment du devenir.

Attitude queLévi-Strauss appellera ethnocentrisme (cf.

Race et histoire, Éditions Gonthier-Médiations).

Mais le refus del'ethnocentrisme implique-t-il que l'on reconnaisse la diversité comme radicale, et que l'on renonce à la ramener àl'unité d'un concept ? Comment, par ailleurs, éviter de forger cette unité en y projetant les normes implicites d'unesociété particulière, que l'on absolutise inconsciemment ? Rousseau exprimait cette difficulté en affirmant qu'il nefaut pas confondre «l'homme de l'homme» (c'est-à-dire produit par une société) et «l'homme de la nature». d) L'observation des différences comme nécessité épistémologique.

Beaucoup de prédécesseurs et decontemporains de Rousseau semblent avoir fait la confusion qui vient d'être évoquée.

C'est contre eux qu'est rédigéle début du Discours sur l'origine de l'inégalité, où Rousseau compare l'homme corrompu de la société présente à lastatue de Glaucus, devenue méconnaissable après avoir subi les intempéries et l'érosion des ans.

La confusion entrel'historique et l'originel conduit le plus souvent à une justification, à une apologie de ce qui est (on pose commenaturel ce qui est social, alors qu'en réalité on conçoit le naturel en fonction du social.

C'est notamment l'erreur quefont ceux qui attribuent à l'homme une «agressivité naturelle» qu'ils conçoivent en fonction du spectacle que leurdonne une société déterminée).

Face à cette confusion, il y a une nécessité épistémologique d'observer lesdifférences, d'en prendre nettement conscience sans chercher à les réduire ou à les intégrer dans une hiérarchiedont le principe serait arbitraire.

Cette démarche, que Rousseau définit lorsqu'il établit une typologie des languespour définir, en deçà des différences climatiques, un fondement commun du langage (la passion), est appliquée parlui dans les domaines les plus divers.

Il l'étend à l'éducation (cf.

Émile, refus de «l'adulto-centrisme»), à l'histoire(refus des illusions du progrès et de l'apologie du présent qu'elle implique) et même à la psychologie (définition de laraison et des «facultés complexes» comme données acquises et non innées). • Problématique sous-jacente à la formule de Rousseau. La phrase proposée implique donc une prise en charge des différences pour neutraliser un implicite culturel ouidéologique qui pourrait nous inciter à absolutiser des normes particulières.

L'observation et la prise en considérationdes «différences» correspondent à la recherche d'une distanciation salutaire, à fonction critique.

Il reste que cetterecherche est thématisée comme quête d'une nature humaine sous-jacente, dont Rousseau reconnaît qu'il eneffectue une reconstitution purement hypothétique (cf.

début du Discours sur l'origine de l'inégalité).

Mais cette«fiction» est pour lui nécessaire, en raison des effets théoriques qu'elle produit (conception critique de l'histoirehumaine).

L'entreprise de Rousseau est une déduction théorique, puisqu'il s'agit de définir des propriétés parobservation des différences, méthode que l'on peut illustrer et expliciter ainsi : toute donnée d'une culture nefigurant pas dans une autre culture disparaît du même coup du recensement des propriétés communes.

Ainsi, l'étatde nature se réduit-il pour Rousseau à peu de choses (dispersion originelle, faibles besoins, instinct de conservationet pitié), les virtualités dont il est porteur étant en définitive plus importantes que les données qu'il comporteréellement (cf.

le thème de la perfectibilité). COMMENTAIRE: LA PORTÉE DE LA FORMULE. Nous devons essayer de répondre à une question : la position développée par Rousseau rend-elle compte duprocessus effectif de constitution des sciences de l'homme ? Nous pouvons envisager une telle question de deuxpoints de vue complémentaires: approche épistémologique, et explicitation philosophique portant sur la catégorie denature humaine, qui est en jeu dans notre réflexion. • Premier point de vue: valeur épistémologique de la position de Rousseau, et domaines d'application. — Ethnologie.

Cf.

le point de vue de Lévi-Strauss, qui voit dans Rousseau le fondateur de l'ethnologie. La critique de l'ethnocentrisme, comme exigence d'une rupture épistémologique fondatrice, est directementimpliquée dans la démarche théorique de Rousseau. « Rousseau ne s'est pas borné à prévoir l'ethnologie : il l'a fondée.

D'abord de façon pratique, en écrivant ceDiscours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes qui pose le problème des rapports entre lanature et la culture, et où l'on peut voir le premier traité d'ethnologie générale; et ensuite, sur le plan théorique, endistinguant, avec une clarté et une concision admirables, l'objet propre de l'ethnologie de celui du moraliste et del'historien: «Quand on veut étudier les hommes, il faut regarder près de soi; mais pour étudier l'homme, il fautapprendre à porter sa vue au loin; il faut d'abord observer les différences pour découvrir les propriétés.» (Lévi-Strauss.

Article paru dans le Courrier de l'Unesco, n° de septembre 1969.) Cf.

aussi : Race et histoire, chapitre 3, « L'ethnocentrisme» (cf.

Éditions Gonthier-Médiations, page 19). Pour une approche comparative de la démarche de l'anthropologie moderne et du point de vue de Rousseau, onpourra se reporter aussi à Tristes tropiques de Lévi-Strauss, édition 10-18, pages 347-348:. »

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