Dans la préface de « Pierre et Jean », Maupassant s'en prend aux romanciers d'analyse qui s'attachent « à indiquer les moindres évolutions d'un esprit, les mobiles les plus secrets qui déterminent nos actions ». Il leur oppose la manière des « écrivains objectifs » qui « se bornent à faire passer sous nos yeux les personnages » et conclut que « la psychologie doit être cachée dans le livre comme elle est cachée en réalité sous les faits dans l'existence ». En prenant des exemples dans
Publié le 18/08/2009
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Un écrivain objectif s'attache à nous donner des êtres une image aussi proche que possible de celle qu'ils nous offriraient dans la vie. Aussi s'interdit-il le plus souvent de les peindre de l'intérieur, en analysant dans toutes ses nuances leur personnalité. Il les fait seulement vivre devant nous. Ainsi Flaubert, dans Madame Bovary, décrit l'aspect physique de ses personnages, leur comportement et leurs attitudes, nous fait entendre leurs propos. Sous le pittoresque de la peinture il suggère la richesse et la complexité des âmes. Il peint « l'homme secret par sa vie «.
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pénétration d'esprit ni de sympathie humaine pour comprendre le désarroi des âmes et pour les réconforter.
Ainsi lesdialogues, mieux encore que les portraits, contribuent à nous révéler la complexité des caractères.
III.
LE DIALOGUE ASSOCIÉ AUX DÉTAILS PITTORESQUES
Pourtant, cette puissance de suggestion est encore plus forte lorsque Flaubert, comme il arrive souvent, associeétroitement aux propos qu'il prête à ses personnages l'indication rapide d'un geste ou d'une attitude qui leur donnetoute leur portée.
Ainsi au moment où Léon Dupuis est venu faire ses adieux à Emma, avant d'aller s'installer à Paris,l'émotion qu'ils éprouvent l'un et l'autre sans vouloir l'exprimer, se manifeste à la fois dans la banalité des formuleslaconiques qu'ils échangent et dans leur attitude embarrassée :« Emma Bovary le dos tourné avait la figure posée contre un carreau ; Léon tenait sa casquette à la main et labattait doucement le long de sa cuisse.— Il va pleuvoir, dit Emma.— J'ai un manteau, répondit-il.
»La lourdeur du curé Bournisien s'étale également dans la manière dont il déploie son ample mouchoir bariolé et danssa réplique empreinte de commisération banale :« Allez, dit-il, quand il fut revenu près d'Emma et en déployant son large mouchoir d'indienne dont il mit un angleentre ses dents, les cultivateurs sont bien à plaindre ! »Enfin, quand le père Rouault proteste de sa fidèle reconnaissance à l'égard de son gendre qui jadis l'avait soignéd'une fracture de la jambe, sa rusticité s'exprime moins encore dans ses phrases semées d'exclamations, de formulesheurtées, tumultueuses, que dans le geste dont il ponctue et précise ses protestations :« Adieu !...
vous êtes un bon garçon ! Et puis, jamais je n'oublierai ça, dit-il en se frappant la cuisse, n'ayez peur !vous recevrez toujours votre dinde.
»
CONCLUSION
Ainsi l'écrivain objectif n'éprouve pas le besoin, pour éclairer le caractère de ses personnages, de se livrer à delongues analyses psychologiques.
Observateur attentif, il sait déceler dans leur aspect extérieur, dans leurcomportement et leurs propos les détails significatifs qui révèlent leurs traits profonds et la qualité de leurssentiments.
Sans doute ne peut-il prétendre exprimer ainsi les nuances de leurs états d'âme les plus fugitifs.
Mais aumoins telle n'est pas son ambition.
Conscient que la personnalité d'un homme garde toujours sa partd'inconnaissable, et que nous ne pouvons déterminer toutes les secrètes évolutions de sa pensée, il préfère camperfortement devant nous dans leur haute vraisemblance des êtres qui ont le relief vigoureux de la vie..
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