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Cuvier, Leçons d'anatomie comparée, an VIII, tome 1, 1re leçon, art. 1.

Publié le 23/03/2015

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cuvier

« Ainsi, notre propre corps, et plusieurs autres qui ont avec lui des rapports de forme et de structure plus ou moins marqués, paraissant résister pendant un certain temps aux lois qui gouvernent les corps bruts, et même agir sur tout ce qui les environne, d'une manière entièrement contraire à ces lois, nous employons les noms de vie ou de force vitale pour désigner ces exceptions, au moins apparentes, aux lois générales. C'est donc en déterminant exactement en quoi ces exceptions consistent, que nous fixerons le sens de ces mots. Considérons pour cet effet les corps dont je viens de parler, dans leurs rapports actifs et passifs avec le reste de la nature.

Examinons par exemple le corps d'une femme dans l'état de jeunesse et de santé : ces formes arrondies et voluptueuses, cette souplesse gracieuse de mouvements, cette douce chaleur, ces joues teintes des roses de la volupté, ces yeux brillants de l'étincelle de l'amour, ou du feu du génie, cette physionomie égayée par les saillies de l'esprit ou animée par le feu des passions : tout semble se réunir pour en faire un être enchanteur. Un instant suffit pour détruire ce prestige. Souvent, sans aucune cause apparente, le mouvement et le sentiment viennent à cesser ; le corps perd sa chaleur, les muscles s'affaissent et laissent paraître les saillies anguleuses des os ; les yeux deviennent ternes, les joues et les lèvres livides. Ce ne sont là que les préludes des changements les plus horribles : les chairs passent au bleu, au vert, au noir ; elles attirent l'humidité et pendant qu'une portion s'évapore en émanations infectes, une autre s'écoule en une sanie putride, qui ne tarde pas à se dissiper aussi ; en un mot, au bout d'un petit nombre de jours, il ne reste plus que quelques principes terreux ou salins ; les autres éléments se sont dispersés dans les airs et dans les eaux pour entrer dans de nouvelles combinaisons. «

Cuvier, Leçons d'anatomie comparée, an VIII,

 

tome 1, 1re leçon, art. 1.

cuvier

« Textes commentés 41 a) Situation du texte.

La tentative pour définir la vie se fait autour de deux axes : celui de résistance et celui de force vitale.

Le premier emprunte à la physique son vocabulaire (corps, rapport de formes, 1 résistance aux lois).

Le présupposé est la distinction entre corps animés et corps inanimés ou bruts, en termes d'opposition avec le cas d'inertie (résister) ou d'action (agir).

Le deuxième axe s'inspire de la chimie (structure -vital, ce qui provoquera à une recherche de l'excitabilité).

Le cœur du problème est l'opposition de la vie aux lois déterministes du monde matériel (exceptions) avec une restriction signalant le domaine possible d'un savoir (exceptions moins apparentes).

L'image de la femme vivante puis morte amorce une dualité entre les symptômes de la santé (formes, chaleur, souplesse, yeux brillants) in­ cluant une étude conjointe du corps et de l'esprit, et faisant de la faculté de sentir et de vouloir une fonction, et d'autre part les signes de la mort.

b) Deux caractères.

• Vie et mouvement.

Le caractère essentiel de la vie est donc le mouvement qui se définit par quatre qualités : la résistance, l'action sur i l'environnement, un échange continuel entre le dedans et le dehors, et une continuité par delà la mort.

La science du vivant valorise alors deux thèmes : l'observation, c'est-à-dire l'anatomie comparée des muscles en tant que moteurs du mouvement et l'analyse, c'est-à-dire le développe­ ment de la chimie pour déterminer la structure du vital.

Elle se fait aider de la physique pour l'étude des forces et de la géologie pour l'étude de la disparition et de l'apparition de la vie.

• Vie et temporalité.

La vie est une suite de phénomènes marqués par la variation et l'imprévisibilité.

La femme voluptueuse n'est pas seulement résistance aux lois mais accident (sans aucune cause apparente).

L'étude de la vie ignore l'éternité et valorise « l'instant » de rupture, rêvant de saisir un hypothétique moment zéro.

Cette connaissance repose sur du tragique (changements les plus horribles).

Le « feu du génie» même quitte une pensée immortelle pour dépendre du temporel.

La dimension scientifique engage alors une réflexion philosophique sur le sens nou­ veau à donner à la vie.

c) Conclusion.

Le génie de Cuvier consiste à intégrer la vie comme concept central à l'étude du vivant.

Dès lors, c'est toute une manière de pensée différente qui apparaît : on oublie la science naturelle pour parler 1 alors d'histoire naturelle.. »

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