Cours sur la notion de DEVOIR.
Publié le 24/10/2009
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Certains fondent toute morale sur le devoir, tenu pour une obligation inconditionnée et absolue; d'autres sur un droit positif, défini à partir de la force (Hobbes), ou d'une réalité donnée. Les uns et les autres aboutissent à des morales de l'obligation, où la conscience a surtout à se soumettre. On peut penser au contraire que le devoir et le droit n'ont de sens que par rapport au Bien, valeur que la conscience morale oppose à ce qui est, valeur qui lui paraît plus désirable que contraignante, et par laquelle elle affirme son pouvoir de juger et de dépasser tout ce qui s'impose à elle à titre de fait.
A. Contrainte sociale et obligation morale.
La morale courante accorde une place prépondérante à l'idée de devoir: être moral, c'est, avant tout, faire son devoir. Mais, le devoir se présente à nous sous deux aspects: l'un social et collectif, l'autre individuel et intérieur.
Sous son aspect social, le devoir est fondé sur les lois de la société (impôts..). En ce sens, le devoir est l'obligation où se trouve l'individu d'accomplir certains actes sous peine de sanctions légales.
Mais souvent nous nous sentons obligés d'agir de telle ou telle manière sans que cette obligation puisse se réduire à la nécessité physique ou à la contrainte sociale. Au contraire, le sentiment de notre obligation morale est lié à l'idée de la contingence de notre acte (pour se sentir moralement obligé d'agir d'une certaine façon, il faut sentir que l'on pourrait agir autrement.
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vienne d'une loi sociale ou d'un impératif de la raison.
Le sentiment du devoir est inséparable de l'idée que nous nousfaisons du bien, de l'attrait que nous éprouvons pour le Bien; il est inséparable, par conséquent, de notre réflexionpersonnelle et de nos tendances, autrement dit de l'ensemble de notre conscience.
L'action morale ne nous semble obligatoire que parce qu'elle nous semble bonne.
Même dans les sociétésprimitives, ou chez les individus les plus soumis aux mots d'ordres sociaux (autrement dit même dans le cas oùl'action morale est imposée par la société sans qu'il y ait acceptation réfléchie de la conscience), l'action obligatoireapparaît à la conscience comme bonne, respectable, sacrée: elle se colore de valeur.
A plus forte raison lorsque laconscience morale cherche à déterminer de façon réfléchie un ordre idéal désirable.
C'est de la reconnaissance, parle sujet moral, d'un tel ordre qu'il faut partir pour comprendre le devoir.
En effet, une fois le Bien déterminé par unexamen réfléchi, par une libre appréciation de la conscience individuelle, certaines de nos tendances peuvents'opposer à la réalisation de l'idéal que notre conscience a jugé désirable: de ce conflit résulte le sentiment de lacontrainte, du devoir.
C.
La place du devoir dans la vie morale.
Si le devoir résulte de l'opposition des jugements portés par notre conscience morale et de certaines denos tendances, on comprend que les moralistes qui considèrent la nature humaine comme mauvaise et opposentnature et moralité aient fait du devoir l'élément essentiel et fondamental de la conscience morale.
C'est le cas decertains moralistes religieux, et aussi de Kant.
Pour ce dernier, le devoir doit s'imposer de lui-même: l'acte doit êtrefait par pur respect pour la loi morale, toute intervention d'un sentiment, d'une inclination naturelle viciant la puretédu fait moral.
Au contraire, les moralistes qui rapprochent nature et moralité estiment que le devoir n'est pas essentiel àla moralité.
Ainsi, les morales antiques font peu de place au devoir.
Spencer, fidèle à ses idées sur l'évolution, danslaquelle il voit l'effet de l'adaptation, pense que le sentiment d'obligation disparaîtra lorsque l'adaptation de l'individuà la société sera parfaite.
Guyau, voyant dans "l'instinct universel de la vie" la source de toute moralité, veut rejeterde la morale l'idée d'obligation.
Nous ne pensons pas que les ordres de la conscience morale soient, par essence, opposés à notre nature.Le sentiment de l'obligation ne nous semble donc pas avoir une valeur intrinsèque.
Si l'homme était parfaitementadapté à la société et à lui-même, si ses désirs étaient d'accord avec les exigences sociales, et avec sesaspirations impersonnelles, il y aurait moralité sans devoir.
Mais il n'en est pas ainsi: entre la société et nous, ainsiqu'au-dedans de nous-même, les conflits sont incessants: aussi l'acte jugé bon sera-t-il accompli en dépit d'unepartie de nos tendances, et semblera-t-il faire violence à notre nature.
Il nous semble donc que le devoir, sans avoirde valeur propre, est un moment nécessaire de l'action morale.
C'est en ce sens que Davy a pu dire qu' "il n'est pas de moralité sans obligation".
Pour une conscienceraffinée, dit en effet Davy, "le mieux, même en ses plus fines nuances, apparaît toujours comme obligatoire, et lamoindre défaillance dans sa poursuite est remords".
De fait, le sujet moral se sent toujours au-dessous des valeursqu'il sert; elles s'imposent à lui, il sent donc le devoir d'y conformer sa conduite.
Kant a donc raison de prétendreque nul ne doit se croire au-dessus de son devoir.
Mais il ne nous semble pas que l'on puisse conclure qu'il n'y aitrien au-dessus du devoir: au-dessus du devoir, il y a la Valeur qu'on a le devoir de réaliser et de servir, et, audessus de la contrainte, même intérieure, il y a l'amour..
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