Devoir de Philosophie

cours sur la justice

Publié le 19/02/2023

Extrait du document

« La justice Introduction La justice est une notion prestigieuse mais confuse. Prestigieuse, car la justice occupe dans le domaine de la pratique une place équivalente à la vérité dans le domaine de la théorie : la justice, c’est ce que nous réclamons tous, depuis l’enfant qui proteste contre l’injustice dont il pense être victime (‘‘c’est pas juste !’’) jusqu’à la représentation du Jugement dernier censé récompenser les hommes vertueux et châtier les pécheurs dans les religions du Livre, en passant par les multiples affaires de justice du moment. Confuse, car le terme justice a une signification différente selon qu’il renvoie justement à une institution ou à une valeur.

À une institution : la justice, c’est d’abord la décision d’un juge qui dit le droit (jus dicare).

La justice désigne donc l’institution dont la fonction est de rappeler le droit et de faire appliquer les lois.

À une valeur : la justice, c’est aussi la qualité que l’on attache à une action accomplie et à l’intention qui y préside.

La justice désigne donc la valeur qui nous permet de nous prononcer sur ce qui arrive. Introduction Or la justice comme institution et la justice comme valeur ne se recoupent ni toujours ni souvent. Un homme peut croire agir justement… mais un juge juger son action injuste. Un juge peut croire agir justement… mais les hommes juger son action injuste. Cela montre qu’au nom de la justice comme institution, on critique la justice comme valeur, et vice versa. Mais dans tous les cas, parler de justice, c’est parler de ce qui doit être (le droit) et non de ce qui se fait (le fait).

C’est toujours contre un ordre existant, contre ce qui est de fait, qu’on en appelle à la justice, à ce qui est de droit. Toute la difficulté est alors de trouver un critère du juste. Introduction Au regard de ce qui précède, on comprend que Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) puisse écrire : « La justice gouverne le monde […].

La justice est ce qu’il y a de plus primitif dans l’âme humaine, de plus fondamental dans la société, de plus sacré parmi les nations et que les masses réclament aujourd’hui avec plus d’ardeur » (De la justice, 1858).

Mais si la justice est dans l’âme, dans la société et parmi les nations, qu’est-elle donc ? -Une affection ? (1ère partie) -Une institution ? (2ième partie) -Un horizon ? I.

Du sentiment à l’idée de justice 1.

Un certain sens de la justice À n’en pas douter, la justice est d’abord un sentiment enraciné en chacun de nous.

La justice dès lors, c’est d’abord le sens de la justice. Chacun se pense en effet capable, au moins dans la plupart des cas, d’apprécier la justice ou l’injustice qui caractérisent un acte, une décision, un projet.

Qu’un partage soit inégal, qu’une promesse ne soit pas tenue, et nous voilà justement indignés. Le sens de la justice est donc propre aux hommes, propres aux consciences.

Il brille par sa précocité et sa spontanéité.

Il semble indifférent aux positions sociales, aux mérites divers, aux talents.

Tout homme paraît donc pouvoir l’avoir, et notre propre sens de la justice nous dira même que tout homme doit l’avoir. Pourtant là encore, les choses ne sont pas aussi simples.

Trois difficultés se révèlent. 1.

Un certain sens de la justice -Première difficulté : un sens qui paraît naturel mais qui ne l’est peut-être pas La première difficulté tient à ce que, précoce et spontané, ce sens de la justice peut nous paraître inné, donc naturel, nécessaire, universel et absolu. Or, parce qu’il s’avère plus ou moins intense chez les gens pour ne pas dire totalement inexistant chez certains, il peut aussi bien sembler acquis, donc culturel, contingent, particulier et relatif. Qu’en penser alors que les philosophes se partagent sur ce point ? Nous opposerons ici Cicéron (-106-43) à Thomas Hobbes (1588-1679). 1.

Un certain sens de la justice Dans Des lois (-52), Cicéron assure qu’il existe une loi naturelle inscrite dans le cœur humain nous conduisant à reconnaître et à respecter les préceptes de la justice établie lorsqu’ils lui sont conformes et à les critiquer dans le cas inverse. Mais fait-il le croire ? D’où vient cette loi naturelle ? Et si jamais elle existe bien, parle-t-elle vraiment à tous les hommes et de la même façon ? Dans le Leviathan (1642), Hobbes, lui, soutient que la violence est la condition des hommes avant l’établissement des lois, c’est-à-dire avant que la menace pesant sur la vie de chacun finisse par les conduire tous à accepter de se soumettre à un pouvoir fort.

Or cette violence n’est ni juste ni injuste.

Et pour cause : c’est la loi qui pose le juste et l’injuste. Mais s’il n’y a pas de justice avant les lois, il n’y en a pas non plus au-delà.

Donc tout ce qui est légal et juste.

Peut-on vraiment en rester là ? 1.

Un certain sens de la justice -Deuxième difficulté : un sens de la justice mais une tendance à l’injustice La deuxième difficulté tient à ce que, s’il est donc un certain sens de la justice chez l’homme, il n’en est pas moins une tendance certaine à l’injustice chez lui, injustice qu’il commet lorsqu’il est convaincu de ne pas être vu, donc pris, donc poursuivi, donc puni. En témoigne la fable imaginée par Platon (-428-348) dans la République, celle qui raconte qu’après avoir découvert un anneau magique lui permettant de devenir invisible, le simple berger lydien Gygès profite de son avantage pour séduire la reine, tuer le roi et s’emparer impunément du pouvoir. En témoigne aussi la réponse de bien des hommes à la question posée dans la fiction du mandarin, une histoire que l’on trouve chez François-René de Châteaubriand (1768-1848) : « Ô conscience ! ne serais-tu qu’un fantôme de l’imagination, ou la peur des châtiments des hommes ? je m’interroge ; je me fais cette question : “Si tu pouvais, par un seul désir, tuer un 1.

Un certain sens de la justice homme à la Chine et hériter de sa fortune en Europe, avec la conviction surnaturelle qu’on n’en saurait jamais rien, consentirais-tu à former ce désir ? [et même à accomplir cette action ?]” » (Génie du christianisme, 1802) -Troisième difficulté : un sens de la justice qui est plutôt un sens de l’injustice La troisième difficulté tient à ce que ce sens de la justice s’apparente plutôt à un sens de l’injustice on ne peut plus paradoxal puisque, si l’expérience de l’injustice implique théoriquement la connaissance de la justice (comment tenir quelque chose pour injuste si l’on ignore le juste ?), elle ne le fait pas pratiquement : nous crions souvent à l’injustice sans toujours, voire sans jamais pouvoir dire ce qu’est la justice. Insistons-y avec Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) : 1.

Un certain sens de la justice « J’étudiais un jour seul ma leçon dans la chambre contiguë à la cuisine.

La servante avait mis sécher à la plaque les peignes de Mlle Lambercier.

Quand elle revint les prendre, il s’en trouva un dont tout un côté de dents était brisé.

À qui s’en prendre de ce dégât ? Personne autre que moi n’était entré dans la chambre.

On m’interroge ; je nie d’avoir touché le peigne.

M.

et Mlle Lambercier se réunissent, m’exhortent, me pressent, me menacent ; je persiste avec opiniâtreté ; mais la conviction était trop forte, elle l’emporta sur toutes mes protestations, quoique ce fût la première fois qu’on m’eût trouvé tant d’audace à mentir.

La chose fut prise au sérieux ; elle méritait de l’être.

La méchanceté, le mensonge, l’obstination parurent également dignes de punition ; mais pour le coup ce ne fut pas par Mlle Lambercier qu’elle me fut infligée.

On écrivit à mon oncle Bernard ; il vint.

[…] On ne put m’arracher l’aveu qu’on exigeait.

Repris à plusieurs fois et mis dans l’état le plus affreux, je fus inébranlable.

J’aurais souffert la mort et j’y étais résolu.

Il fallut que la force même cédât au diabolique entêtement d’un enfant ; car on 1.

Un certain sens de la justice n’appela pas autrement ma constance.

Enfin je sortis de cette cruelle épreuve en pièces, mais triomphant.

» (Les confessions, 1782) Rousseau sent l’injustice, mais ne sait pas pour autant ce qu’est la justice, et ceci parce que cela : le sentiment renvoie à ce qui est vécu subjectivement et qui, en plus d’être inconstant, n’est pas universalisable ; on ne peut donc avoir l’idée du juste à partir du sentiment de l’injuste, puisqu’elle implique, elle, de l’objectivité, de la constance, de l’universalité. On comprend que l’on ne peut en rester au sentiment, intermittent pour ne pas dire indifférent. I.

Du sentiment à l’idée de justice 2.

Les lois, base de la justice La question reste donc entière : où trouver un critère du juste ? Aux fluctuations et par conséquent aux incertitudes du sentiment, on peut cependant opposer l’inflexibilité et la stabilité des lois.

Mais qu’est-ce qu’une loi ? Et à quoi sert-elle ? 1ère réponse : une loi est -une règle écrite qui fait passer la justice du domaine privé au domaine public ; -une règle écrite qui établit la paix civile en brisant la spirale de la vengeance ; -une règle écrite générale et stable, à la différence du règlement et du décret. 2ième réponse : une loi -nous protège de notre propre injustice ; -nous protège de l’injustice d’autrui envers nous -nous protège de l’injustice d’autrui entre nous. 2.

Les lois, base de la justice Si les lois ont leurs avantages, elles n’en ont pas moins leurs limites.

Si elles sont nécessaires pour définir la justice, elles ne sont sans doute pas suffisantes.

La preuve, c’est qu’il ne suffit jamais d’appliquer la loi pour être juste. -Première difficulté Si les lois ne sont sans doute pas suffisantes pour définir la justice, c’est parce que la justice se réduirait alors à la légalité.

Or la justice a aussi à voir avec la légitimité et avec l’égalité.

Mais légalité, légitimité et égalité se distinguent et la première s’oppose aux deux dernières. D’une part, si la justice s’entend comme conformité à la loi positive, conformité au droit : est juste ce qui est légal, elle se conçoit également comme conformité à la loi morale, conformité à la conscience : est juste ce qui est légitime.

Or tout ce qui est légal n’est pas légitime, et vice versa. 2.

Les lois, base de la justice D’autre part, si la justice s’entend comme conformité à la loi positive, conformité au droit : est juste ce qui est légal, elle se conçoit également comme conformité à l’équilibre, conformité à l’égalité : est juste ce qui est égal.

Or tout ce qui est légal n’est pas égal, et vice versa. -Deuxième difficulté Si les lois ne sont sans doute pas suffisantes pour définir la justice, c’est parce que ces deux tensions (légalité/légitimité et légalité/égalité) évoquées sont elles-mêmes sources de tension. .

Pour ce qui est de la tension entre légalité et légitimité : si la loi, dans sa forme, est juste, elle ne l’est pas pour autant nécessairement dans son contenu.

Combien de lois iniques ont pu être promulguées, et tant que le droit de résistance s’est vu opposer au devoir d’obéissance ? Preuve en est que l’on ne saurait borner la justice au seul légalisme.

Mais s’il est donc possible et même nécessaire de critiquer les lois positives d’un État, à l’aune de quel critère le faire ? 2.

Les lois, base de la justice .

Pour ce qui est de la tension entre légalité et égalité : l’égalité devant la loi ne va pas de soi. D’abord, on peut contester l’existence même de cette égalité dans les faits devant le coût de la justice autant que devant les difficultés de la langue juridique. Ensuite, on peut soutenir que, parce qu’elle est égale pour tous, la loi est, en cela, injuste.

Égale pour tous, la loi est, de ce fait, générale et stable : elle ne tient pas compte des cas particuliers, qui ne peuvent être prévus par elle.

Générale, elle est donc impersonnelle.

Stable, elle est donc inflexible. Autant dire qu’appliquée à la lettre, la loi, même juste, risque de se faire injuste.

Voilà pourquoi le juge doit, pour être juste, tâcher d’en comprendre l’esprit et, pour cela, s’efforcer de l’interpréter. C’est dire qu’il ne lui faut pas seulement faire preuve d’égalité, voire qu’il ne lui faut pas faire preuve d’égalité du tout. Ce dont le juge doit faire montre, c’est d’équité. 2.

Les lois, base de la justice -Troisième difficulté Si les lois ne sont sans doute pas suffisantes pour définir la justice, c’est parce qu’à l’idée d’une simple justice légale, les philosophes, Platon (-428-348) en tête dans la République, ont opposé l’idée de justice naturelle.

Celle-ci est née de cette exigence de trouver un fondement à la justice, antérieur et supérieur aux lois positives, par rapport auquel elles puissent être jugées justes ou injustes. Reste que cette idée de justice naturelle ne s’est pas entendue d’une seule et même façon dans l’histoire, mais plutôt de deux, et de deux tout à fait opposées. Il est en effet possible de ranger les conceptions historiques de la justice naturelles en deux groupes : -ou bien la justice s’y définit par la hiérarchie, -ou bien la justice s’y définit par l’égalité. I.

Du sentiment à l’idée de justice 3.

La justice comme hiérarchie ou comme égalité Les sociétés primitives, antiques, médiévales et traditionnelles, en mot les sociétés holistes tiennent pour acquis qu’il existe à l’échelle cosmique une justice naturelle, c’est-à-dire un ordre absolu et une harmonie éternelle entre les êtres et les choses. Que l’on parle de tao en Chine, de dharma en Inde ou de cosmos en Grèce, l’idée est bien la même : règne toujours et partout une stricte hiérarchie au regard de laquelle la société humaine constitue un microcosme dans lequel chacun doit se voir donner sa place et son dû. La justice n’est précisément rien d’autre que le respect de cet ordre et de cette harmonie. L’injustice est au contraire sa transgression.

Dès lors, l’opposition entre le légal et le légitime n’a pas lieu d’être.

La réalité et la norme se confondent. Illustrent cette conception la cité idéale de Platon autant que l’Ancien Régime en France. 3.

La justice comme hiérarchie ou comme égalité Une telle conception de la justice a cependant ses limites : -existe-il réellement une telle justice naturelle ? La norme du juste n’est-elle pas à trouver, plus qu’à découvrir ? -cette justice naturelle ne place-t-elle pas la société au-dessus des individus ? Que vaut-elle si elle soustraite à la discussion et à l’approbation de ceux à qui elle s’applique ? C’est pourquoi la modernité a combattu la hiérarchie, en promouvant son contraire : l’égalité. Au XVIIIe siècle, a été défendue l’idée que tous les hommes sont égaux en droit même s’ils ne le sont pas en fait. Au XIXe siècle, a été défendue l’idée que tous les hommes égaux en droit ne le sont pas encore s’ils ne le sont en fait. Au XXe siècle, a été défendue l’idée qu’à tous les hommes doivent être assurées les conditions d’accès à l’égalité de fait. 3.

La justice comme hiérarchie ou comme égalité Mais si les sociétés modernes, qui sont des sociétés individualistes et démocratiques, définissent donc la justice par l’égalité, puisqu’elles partent du principe que « les hommes naissent et demeurent […] égaux en droits » (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1789), que faut-il entendre exactement par là ? La notion d’égalité est en réalité très complexe.

Des distinctions s’imposent. Égalité et identité Dire que les hommes sont égaux ne signifie pas qu’ils soient identiques.

Même deux jumeaux ne le sont pas.

Dire que les hommes sont égaux signifie qu’ils doivent être traités de la même façon même s’ils sont différents.

À ceux qui prétendent que l’égalité entre les hommes est impossible parce que les hommes sont différents, il faut donc répondre que l’exigence d’égalité suppose leur différence, en sorte qu’elle n’est pas le rêve d’uniformisation que fait Procuste avec son lit. 3.

La justice comme hiérarchie ou comme égalité -Égalité de fait et égalité de droit Les hommes sont certes inégaux de fait, cela à la suite : -d’inégalités de naissance qui ne sont pas toutes des inégalités naturelles (l’inné peut être le résultat d’une histoire, car le résultat de l’influence environnementale in utero) : inégalité des talents et des aptitudes, les hommes ayant une santé plus ou moins bonne, une intelligence plus ou moins vive, un équilibre mental plus ou moins précaire, etc.

; -d’inégalités acquises que la société creuse et démultiplie : inégalités des richesses et des conditions, certains ayant de grandes ressources matérielles et des loisirs alors que d’autres ont à peine le nécessaire puisque, en 2020, 25 000 hommes mourraient de faim dans le monde par jour. Mais deux choses : 3.

La justice comme hiérarchie ou comme égalité -pour que les hommes soient inégaux, il faut qu’ils soient différents sur un point mesuré à partir d’un critère précis et choisi (pour dire qu’un tel est supérieur à tel autre, il faut dire en quoi : intelligence, beauté, richesse, etc.) ; -que les hommes soient inégaux ne signifie pas qu’ils doivent le demeurer (on ne justifie pas en effet une valeur par un fait).

On peut donc bien affirmer que si les hommes sont inégaux de fait, ils naissent égaux en droit, la tâche de la civilisation étant alors de supprimer ou du moins de réduire autant que possible ces inégalités. Mais si les hommes doivent être égaux en droit, que faut-il entendre par égalité ? -L’égalité des droits L’égalité des hommes en droit, c’est au moins l’égalité des droits entre eux. Cette égalité, c’est l’égalité juridique, civique, qu’on appelle aussi isonomie. 3.

La justice comme hiérarchie ou comme égalité Cette égalité, c’est l’égalité de tous devant la loi, égalité qui garantit qu’un homme n’est pas jugé pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il fait et pour l’infraction qu’il a commise. Cette égalité s’oppose à l’arbitraire du gouvernement.

Elle assure que le chef de l’État comme ses ministres ont les mêmes devoirs au regard de la loi.... »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles