Corrigé de l’explication de texte de Maurice Merleau-Ponty (devoir-type-bac n°1)
Publié le 15/12/2022
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«
Corrigé de l’explication de texte de Maurice Merleau-Ponty
(devoir-type-bac n°1)
Texte :
« Je découvre que je suis amoureux.
Rien ne m'avait échappé peut-être de ces faits qui
maintenant font preuve pour moi : ni ce mouvement plus vif de mon présent vers mon avenir,
ni cette émotion qui me laissait sans parole, ni cette hâte d'arriver au jour d'une rencontre.
Mais enfin, je n'en avais pas fait la somme, ou, si je l'avais faite, je ne pensais pas qu'il s'agît
d'un sentiment si important, et je découvre maintenant que je ne conçois plus ma vie sans cet
amour.
Revenant sur les jours et les mois précédents, je constate que mes actions et mes
pensées étaient polarisées, je retrouve les traces d'une organisation, d'une synthèse qui se
faisait.
Il n'est pas possible de prétendre que j'aie toujours su ce que je sais à présent et de
réaliser dans les mois passés une connaissance de moi-même que je viens d'acquérir.
D'une
manière générale, il n'est pas possible de nier que j'aie bien des choses à apprendre sur moimême, ni de poser d'avance au centre de moi-même une connaissance de moi où soit contenu
d'avance tout ce que je saurai de moi-même plus tard, après avoir lu des livres et traversé des
événements que je ne soupçonne pas même à présent.
L'idée d'une conscience qui serait
transparente pour elle-même et dont l'existence se ramènerait à la conscience qu'elle a
d'exister n'est pas si différente de la notion d'inconscient : c'est, des deux côtés, la même
illusion rétrospective, on introduit en moi à titre d'objet explicite tout ce que je pourrai dans la
suite apprendre de moi-même.
L'amour qui poursuivait à travers moi sa dialectique et que je
viens de découvrir n'est pas, depuis le début, une chose cachée dans un inconscient, et pas
davantage un objet devant ma conscience, c'est le mouvement par lequel je me suis tourné
vers quelqu'un, la conversion de mes pensées et de mes conduites, - je ne l'ignorais pas puisque
c'est moi qui vivais des heures d'ennui avant une rencontre, et qui éprouvais de la joie quand
elle approchait, il était d'un bout à l'autre vécu, - il n'était pas connu »
(Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception)
***
Corrigé
Ce dont il est question dans ce texte, c’est d’une double prise de conscience : d’abord, celle
qui concerne toutes celles, tous ceux qui « tombent » amoureux (comme dit l’expression
populaire).
L’auteur décrit, de manière concrète, l’étrangeté qui saisit brusquement celui ou
celle qui, une minute auparavant, semblait ne pas soupçonner l’importance d’un tel sentiment
envahissant pourtant désormais tout son être.
Mais cette première description ne fournit, en
réalité, que le prétexte à une deuxième prise de conscience, bien plus profonde et radicale
encore, car touchant à la nature même du « Moi » humain, de cette identité que MerleauPonty présente, lui, comme un travail, comme une évolution perpétuelle, comme un
processus continu plutôt que comme une substance figée (porteuse depuis toujours des traits
distinctifs de telle ou telle personne).
L’identité n’est pas fixe, d’où la difficulté, évidente, de
se connaître à fond.
Comment Merleau-Ponty associe-t-il ces deux idées ? C’est ce que nous
allons étudier à présent, en suivant le texte pas à pas.
Dans un premier temps (de la l.1 à la l.8), le motif de l’amour domine, sous forme d’une
opposition entre la force brute du « sentiment » et la compréhension « intellectuelle »,
rationnelle de ce dernier.
Ce décalage entre ce que chacun vit, expérimente et ce qu’il peut
savoir de lui se trouve ensuite précisé (de la l.
8 à la l.13) sous forme d’une définition mobile
(dynamique) de la conscience, rompant avec une conception psychologique classique que
Merleau-Ponty juge datée et dépassée : nous verrons laquelle.
Enfin, de la l.13 jusqu’à la fin
du texte, c’est l’idée opposée « d’inconscient » freudien que l’auteur condamne à son tour,
cette idée partageant, en effet, à ses yeux, le même défaut que l’idée de « conscience » ou
d’« identité » classique, à savoir sa fixité, son inertie, comme nous le verrons dans un dernier
temps.
D’abord, dès la première ligne, c’est par un petit mot : « découvre », que l’auteur introduit le
problème (« je découvre que je suis amoureux »).
Notons que ce terme nous emmène déjà
sur une fausse piste, car il désigne un dévoilement, l’exposition en pleine lumière de quelque
chose qui était déjà là mais jusqu’ici caché, dissimulé.
Or, ce « quelque chose » renvoie ici, en
réalité, non à l’amour lui-même mais à des « faits » (l.1) qui rendirent très progressivement
possible cet amour, des faits sans doute banals, sans aucune importance par eux-mêmes et
qui ne pouvaient, certes, avoir « échappé » à l’amoureux (l.1).
Quel genre de faits, au juste ?
L’auteur ne le précise pas.
Mais nous avons toutes et tous connu ces rencontres, ces moments
agréables, légers, drôles ou plus troublants passés avec la personne dont on comprend
maintenant qu’on est finalement « tombé » amoureux.
Ces faits anecdotiques, ces « petits
riens » dont la puissance s’installe comme celle de toute habitude, se sont accumulés sans que
l’on s’en rende compte, jusqu’à produire un certain « résultat » qui nous surprend par son
intensité : le sentiment amoureux.
Tous ces faits étaient pourtant parfaitement
« conscients », c’est juste leur « somme » (l.4) qui n’avait pas été faite, comme le dit MerleauPonty.
La « découverte » dont il parle dès le début du texte n’en est donc pas vraiment une,
car ce dont il est question, c’est d’une pure nouveauté, et pas d’un sentiment simplement
« caché » et voilé jusqu’à présent (comme serait restée longtemps recouverte d’un drap une
statue déjà parfaitement achevée).
Un premier décalage apparaît donc ici entre ce que ressent
le corps, en silence, et ce que la raison peut comprendre et décrire en mots.
L’accumulation
d’ « émotion » dans le corps ne parvient pas à s’exprimer par concepts, à se « verbaliser »
(elle est « sans parole », dit même Merleau-Ponty, l.
3).
On ressent juste (sans pouvoir
comprendre sa nature) un passage plus douloureux du temps.
Un besoin simplement
physiquement, aveuglément ressenti, nous presse d’accélérer le temps jusqu’à la prochaine
rencontre avec le futur objet d’« amour », explique l’auteur à la l.3.
Jusqu’à la « découverte
du fait que je suis amoureux », les « actions » ou « passions » du corps, d’un côté, et les
« pensées », de l’autre côté, restent « polarisées » (l.7), c’est-à-dire que les unes et les autres
se développent en toute indépendance, suivant leur propre logique, les deux sphères
n’interférant pas l’une avec l’autre.
On retrouvera plus loin cette idée capitale selon laquelle
on comprend toujours après coup (avec retard) ce qu’on a d’abord fait ou ressenti en toute
spontanéité corporelle et pulsionnelle (ce qui nous « pousse » sans qu’on l’aperçoive).
Toute
cette première partie présente par ailleurs une illustration parfaite de ce phénomène que
certains philosophes (Hegel et ses disciples, en particulier) baptisent souvent du nom de
« dialectique de la quantité et de la qualité », ou encore : « saut qualitatif ».
Cette idée se
présente ainsi : au-delà d’une certaine augmentation de quantité, la réalité quantitativement
augmentée (très doucement, peu à peu, degré par degré...) semble se changer brutalement
(passé un certain stade critique) en quelque chose d’autre, quelque chose de radicalement
nouveau.
Le moment précis du « passage » est alors parfois difficile à situer, ce dont notre
texte sur l’amour est un témoignage très éclairant.
Quand comprend-on précisément qu’on
est amoureux ? Impossible à dire.
Des centaines d’arbres finissent par constituer UNE forêt
(mais quand, exactement, à partir de quel nombre précis d’arbres ?) ; des milliers de grains de
sable (mais combien ?) finissent par former UN tas de sable ; des milliers de cheveux (combien
en faut-il ?) forment UNE chevelure ; l’eau dont on augmente progressivement la quantité de
température finit, elle, par « se transformer » en vapeur ; le son associé d’un milliard (ou
plus ?) de gouttes d’eau en mouvement forment finalement LE bruit unique de la
mer (comme l’explique Leibniz en présentant son concept de « petites perceptions »).
De la
même façon, donc, l’amour n’existait évidemment pas dès le départ dans l’âme de
l’amoureux, ce qui serait absurde : il s’est bâti, très patiemment, sur une augmentation
quantitative de petits faits qui, eux, avaient bien été aperçus par l’amoureux, mais dont
l’accumulation (silencieuse et discrète) explose, d’un seul coup, en produisant une réalité
complètement nouvelle.
À en croire toutes ces considérations, on ne « tombe » donc pas
amoureux, à proprement parler, ou alors il s’agit d’une longue, d’une très longue « chute ».
Et
la fin de cette première partie du texte fait l’hypothèse que le « Moi » tout entier relève d’un
mouvement perpétuel du même genre, très progressif.
L’identité personnelle est, dit
Merleau-Ponty, une « organisation », une « synthèse » qui se fait (l.
8).
On ne peut retrouver
que les « traces » (l.
7), les étapes laissées « derrière elle » d’une telle construction, d’une telle
synthèse, mais pas la synthèse elle-même, qui est un pur mouvement et ne peut donc pas, à
ce titre, être saisie, décrite, définie par des mots.
On pense ici à ce « Moi » dont le philosophe
écossais Hume disait que son « unité », sa stabilité ne relevaient peut-être, après tout, que
d’une pure conception de confort, de facilité humaine, attendu qu’il est en perpétuelle
évolution.
L’amour, ici, offre à Merleau-Ponty un levier illustratif parfait pour rendre compte
d’une telle mobilité radicale de la conscience.
Cette conception s’oppose à d’autres, plus traditionnelles, faisant du Moi une sorte de réalité
substantielle fixe, une « âme » donnée toute-prête dès le départ, dès la naissance de l’Homme
possesseur d’une telle « âme ».
C’est ce type de conceptions que l’auteur va critiquer dans la
deuxième partie de son texte, comme nous allons le voir à présent.
Dans cette deuxième partie, assez courte (six lignes en tout) et formant surtout une transition
vers le dernier moment du texte (ce dernier moment constituant, comme nous le verrons,
entre autres choses, la critique d’une certaine notion d’inconscient), Merleau-Ponty précise
sa position en attaquant la thèse naïve (on pense, bien entendu, ici à l’âme : la fameuse
« substance pensante » de Descartes) voulant qu’il existe, en tout humain, une nature
singulière stable et fixe, une « essence » ou identité suffisant à le définir de toute éternité.
Pour connaître cette essence individuelle, cet humain n’aurait, en somme, qu’à attendre un
peu en faisant des efforts (c’est-à-dire un certain « travail » sérieux d’introspection, d’analyse
rigoureuse de son intérieur) pour enfin savoir ce qu’il est, ce qu’il a toujours été.
On retrouve
donc cette idée, fausse selon l’auteur, d’une simple « découverte » (l.1) de « qui on est
vraiment ».
Il suffirait juste de braquer un projecteur intellectuel assez puissant sur nos
ténèbres intérieures pour enfin en percer tous les mystères, enfin « se connaître soi-même »,
selon l’impératif socratique bien connu.
Mais tout cela relève presque du cliché, d’après
Merleau-Ponty.
Certes, « il n’est pas possible de nier que j’aie bien des choses à apprendre
sur moi-même » (l.
13) mais sa thèse est plus radicale qu’une simple remise en question de la
possibilité d’éclairer toutes les « zones d’ombre » d’une personnalité.
L’auteur va en effet
beaucoup plus loin : si l’on ne peut se connaître tout-à-fait, insistons-y ! c’est tout simplement
parce que « notre identité », notre soi-disant « Moi » est mobile, dynamique, changeant, en
construction (et donc : déconstruction) permanente.
Il ne suffit donc pas simplement (comme
exprimé à la l.
12) de « lire des livres » (même des « bons » livres) pour se connaître (on pense
ici à des ouvrages censés éclairer l’individu sur ce qu’il «....
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