Connait-on son propre visage ?
Publié le 12/01/2023
Extrait du document
«
Pourquoi chercher à se connaître soi-même ?
Dans son Apologie de Socrate, Platon rapporte que la Pythie, prêtresse du temple d'Apollon
à Delphes, avait affirmé que Socrate était le plus sage des Grecs.
Au fronton de ce même temple
était gravée la formule : « Connais-toi toi-même ».
Peut-on en déduire que Socrate a tiré sa sagesse
de la connaissance qu'il avait de lui-même ? Mais est-il légitime de chercher à se connaître soimême ? L'intérêt que nous portons à nous-mêmes ne fait guère de doute : Le goût du miroir, des
arbres généalogiques, des réseaux sociaux où nous nous affichons, montre assez que nous sommes
pour nous-mêmes un intérêt majeur.
Mais ce rapport insatiable à soi relève-t-il bien de la
connaissance ? L’être humain soumis au devenir n’est-il pas en perpétuel changement ? Ne s'agit-il
pas plutôt d'une tendance au narcissisme ? Une connaissance doit répondre à des exigences
d’objectivité, c’est-à-dire de nécessité et d’universalité, or le propre d’un sujet n’est-il pas
d’échapper par sa liberté à toute objectivation ? Et si la connaissance de soi est possible ne serait-ce
que partiellement, vouloir se connaître n’est-ce pas se condamner à faire l’épreuve de sa misère et
de sa faiblesse ? Dans un premier temps, nous verrons que le propre de l’homme est la conscience
de soi et qu’elle est rendue possible obligatoirement par les autres.
Dans un deuxième temps, nous
nous demanderons si chercher à se connaître ne serait pas un exercice infécond et vain.
Enfin, nous
verrons qu’il convient plutôt de se connaître en tant qu’homme, entreprise rétrospective qui
permettrait même à l’homme d’exercer une forme de liberté.
L’inauguration de la philosophie par Socrate est marquée par une rupture avec l’explication
mythologique du réel et par une volonté de comprendre le monde rationnellement.
Or, pour
chercher à connaître quelque chose, il faut d’abord avoir conscience de son ignorance, donc savoir
quelque chose de soi.
Ainsi Socrate aurait fait sa maxime de l’injonction située sur le fronton du
temple de Delphes : « Connais-toi toi-même ».
Cette maxime désigne en réalité la mise en demeure
de rester à sa place par rapport aux dieux grecs.
Il s’agissait pour les hommes de ne pas vouloir
dépasser leurs limites d’humains.
La connaissance de soi ici est une condition de la sagesse.
Or la
sagesse désigne à la fois une connaissance, un savoir théorique dans le sens où l’âme de l’homme se
serait tournée vers des réalités intelligibles le faisant accéder à la vérité des essences, et une
pratique juste et morale qui s’appuie sur cette connaissance même de ce qu’est le Bien.
La devise de
Socrate n’a donc pas qu’une valeur anecdotique et illustrative.
Elle situe la question sur un plan
épistémologique et la rattache au problème de la connaissance en général.
Ainsi, pour Socrate,
l’homme doit prendre soin de son âme, pour connaître l’idée du Bien et donc de la Justice.
À la
connaissance théorique de soi est subordonnée la sagesse théorique et pratique.
Pourtant, il ne suffit pas de se tourner vers sa propre âme pour se connaître.
Savoir que l’on
est d’abord une substance pensante, tel que le découvre Descartes au terme de ses Méditations
métaphysiques, renseigne sur ce « que » l’on est, mais non pas encore sur « qui » l’on est.
Le moi
empirique semble constitué par son histoire, son inscription dans le temps et donc sa manière
d’exister, son rapport au monde.
En ce sens il y a, dit Hegel dans Esthétique, deux manières de
prendre conscience de soi.
La première, théorique, consiste à faire son introspection, l’analyse
solitaire de ses états d’âme.
La seconde manière est pratique.
L’homme, nécessairement engagé
dans le monde, éprouve dès l’enfance le besoin de le transformer, pour y laisser une marque qu’il
peut contempler et prendre ainsi conscience de lui-même.
L’homme ne veut pas rester tel que la
nature l’a fait et ce besoin de s’éprouver à travers son œuvre trouve sa réalisation la plus aboutie
dans le travail artistique.
Ainsi la connaissance de soi est d’abord constitutive de l’identité humaine
dans la mesure où l’homme se distingue des dieux mais aussi des animaux, car en tant qu’être de
culture, il a ce pouvoir de transformer le monde par la conscience qu’il a de lui-même.
Celle-ci est
donc constitutive du sujet en tant que pouvoir de déterminer (sujet de la connaissance) et pouvoir
de s’autodéterminer.
Mais comment comprendre alors qu’il y ait des travaux aliénants, qui nous
font demeurer étrangers à nous-mêmes, au lieu de nous permettre de mieux nous connaître ? Se
connaître, c’est connaître son identité.
Celle-ci désigne ce qui marque le caractère unique et distinct
des autres êtres, mais aussi ce qui reste identique en l’homme malgré les changements du temps,
ou encore ce qui fait l’unité des différentes caractéristiques de l’homme malgré ses contradictions.
Or, pour ces raisons, le moi est insaisissable selon Pascal.
Il argumente sa thèse dans les Pensées en
prenant l’exemple de l’expérience amoureuse.
En effet, si l’on aime quelqu’un c’est uniquement
pour ses qualités, physiques ou morales, car le jour où ses qualités disparaissent, l’amour s’étiole
également.
L’autre n’est jamais saisi dans sa totalité mais seulement à travers certaines de ses
caractéristiques.
Il n’y aurait pas d’identité fixe saisissable par une conscience.
Mais même si l’on
n’accède qu’à une connaissance partielle de soi, est-elle toujours souhaitable ?
La tragédie d’Œdipe qui épouse sa mère et tue son père sans savoir à qui il a affaire,
culmine dans la prise de conscience de ce qu’il vient de faire, lui révélant qui il est à travers la
conscience de ses origines.
La vérité sur ses parents est si insupportable qu’il s’en crève les yeux.
Toute vérité n’est pas bonne à dire, mais une fois qu’on la connaît, on ne peut revenir à un état
d’ignorance.
On peut préférer....
»
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