Commentez cette opinion d'un écrivain moderne : « La Rochefoucauld, tant son livre est douloureux, donne envie de lire Corneille. » ?
Publié le 22/06/2009
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Le héros cornélien a enthousiasmé notre adolescence à son premier contact avec l'âme du grand siècle. Mais souvent, après quelques années de recul et une autre conception de l'étude de l'homme, cet héroïsme continu nous paraît parfois fatigant et pour tout dire faux. Pour nous reposer de ces types irréels, nous lisons avec intérêt des auteurs qui ont observé l'humanité moyenne avec ses faiblesses et ses médiocrités : dans ce monde, nous nous reconnaissons, nous nous sentons plus à l'aise. Mais ce réalisme lasse à son tour. On éprouve alors cet état d'âme que signale un écrivain moderne : « La Rochefoucauld, tant son livre est douloureux, donne envie de lire Corneille. « Tâchons d'analyser cet état d'âme et d'expliquer ce plaisir que l'on prend, après s'être nourri de La Rochefoucauld, à relire Corneille. * * * La Rochefoucauld, on le sait, explique toute l'activité humaine par un seul mobile : l'amour-propre. Il prend un malin plaisir à soulever le voile de vertu dont se parent nos actions et à faire apparaître le calcul intéressé qui, selon lui, commanderait à notre insu toute notre conduite : « L'intérêt parle toutes sortes de langues, et joue toutes sortes de personnages, même celui du désintéressé « (n° 39); « La haine pour les favoris n'est autre chose que l'amour de la faveur... « (n° 5o); « Ce qu'on nomme 'libéralité n'est le plus souvent que la vanité de donner... « (n° 263). Dans ses Maximes abondent les réflexions, pleines de finesse et d'humour, qui nous font sourire des autres et de nous-même : « Nous avons toujours assez de force pour supporter les maux d'autrui « (n° 19); «Il en est du véritable amour comme de l'apparition des esprits : tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu « (n° 76); « Quelque bien qu'on dise de nous, on ne nous apprend rien de nouveau « (n° 303)... Ces observations malignes amusent et les Maximes commencent par plaire. On s'attarde à quelques-unes d'entre elles comme à des perles dont on observe l'orient.
«
Polyeucte, avoir étouffé en eux tout autre sentiment.
De plus, Corneille nous fait régulièrement assister au triomphedu devoir et de la vertu, et, en fait de devoir, nous savons quelles sont les délicatesses de ses héros : ils voient dela bassesse là où nous n'apercevrions que calcul raisonnable; ils raffinent avec l'honneur, et il faut une certaineculture pour entrer dans leurs subtiles considérations sur l'amour chevaleresque : qu'on se rappelle le fameux dueld'héroïsme entre Rodrigue et Chimène.Aussi, l'impression que laisse la lecture d'une pièce de Corneille est bien différente de celle qu'on éprouve aprèss'être trop longtemps nourri des pensées de La Rochefoucauld.Tout d'abord on se sent comme entraîné à la suite de ces héros dont on vient de lire les hauts faits.
Ce ne sontpeut-être que des êtres de rêve, produit d'une imagination échauffée.
Qu'importe ? Il n'est pas nécessaire qu'unereprésentation ait subi le contrôle de la raison pour qu'elle déclenche en nous les désirs et l'action : l'exemple estentraînant, même s'il est imaginaire.Ensuite, l'humanité apparaît sous un autre jour.
Ayant assisté au triomphe de la vertu, on est tout disposé àl'observer quand il se présentera; on s'attend même à être le témoin de ses triomphes.
Excellente disposition pour leprovoquer en soi, mais aussi dans les autres : croire au bien est un moyen très efficace de le propager.
Enfin, quand on s'est replongé dans l'atmosphère cornélienne, on sent renaître son estime pou» l'homme, capable desi grandes choses.
On s'estime d'abord soi-même et on se sent fier de posséder l'humaine nature : conditionindispensable pour réaliser en soi toute l'humanité qui reste encore virtuelle.
On estime surtout les autres : conditionde la collaboration fructueuse et des véritables affections.Alors, la vie paraît moins laide; on lui trouve même une attirante beauté.
L'âme endolorie par la lecture des Maximeséprouve de nouveau le bonheur de vivre et se tourne vers l'avenir pleine de désirs et d'espoir.
* * *
Corneille a guéri le mai qu'avait fait La Rochefoucauld.Devrons-nous donc conclure qu'il ne faut pas lire La Rochefoucauld ou les auteurs de sentiment analogue, et queseuls Corneille et les écrivains d'esprit cornélien doivent nous équiper pour la vie ?Il ne le semble pas.
A vouloir chercher toutes les leçons utiles à la vie dans Corneille, on risquerait de grossesillusions et on s'attacherait souvent à des chimères.
L'auteur du Cid est un maître d'idéal.
Pour connaître le réel, ilfaut s'adresser ailleurs.Du réel, La Rochefoucauld nous donne une vue partielle et partiale.
Sa synthèse de l'homme est tropsystématiquement pessimiste, ses observations les plus justes sont faussées par un constant parti pris dedénigrement.
Mais, une fois brisé le système et mis à jour l'artifice et le parti pris, il reste d'excellents morceaux.
LesMaximes attirent l'attention sur des influences cachées qu'une confiance trop admirative en l'homme nousempêcherait de voir : elles développent l'esprit critique.Mais l'esprit critique est un dissolvant des forces nécessaires à l'action : idées et croyances, confiance etenthousiasme.
Aussi est-ce plutôt Corneille qui devra rester maître de vie..
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