Commentez ce texte de Malebranche: Traité de la morale, chap. vi (6)
Publié le 17/02/2011
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« La force et la liberté de l'esprit sont deux vertus qu'on peut appeler générales ou cardinales, pour me servir du mot ordinaire. Car on ne doit jamais ni aimer ni agir sans y avoir bien pensé. Il faut à tout moment faire usage de la force et de la liberté de son esprit. Et ces deux vertus.., ne sont point des facultés naturelles, communes à tous les hommes : rien n'est plus rare et personne ne les possède parfaitement... La force et la liberté d'esprit dont je parle sont des vertus qui s'acquièrent par l'usage. Aussi voyons-nous qu'il n'y a presque personne qui médite, et que ceux qui entreprennent de rechercher la vérité manquent souvent de force et de courage pour arriver jusqu'au lieu où la vérité habite. Fatigués et rebutés..., peut-être se consolent-ils par un mépris ridicule ou par un désespoir de lâcheté et de bassesse d'esprit. S'ils sont trompés, ils deviennent trompeurs... Car les hommes sont faits de manière qu'ils aiment beaucoup mieux se tromper les uns les autres que de consulter la raison, leur maître commun. Et ils sont si crédules à l'égard de leurs amis et si incrédules, ou si peu attentifs à l'égard de la vérité intérieure, que l'opinion et le parti sont la règle ordinaire de leurs sentiments et de leur conduite. «
MALEBRANCHE, Traité de la morale, chap. vi.
Ce texte, très long, donne également l'impression d'être touffu, voire embrouillé. Il semblerait, au premier abord, que Malebranche mélange le point de vue analytique et le point de vue normatif; et, aussi, qu'il étend ses considérations un peu inconsidérément à l'ensemble de toute la vie mentale. Cela, cependant, doit n'être qu'une apparence — ce qui rend ce texte encore plus digne d'être approfondi et vraiment compris.
«
deux vertus de force et de liberté de l'esprit « ne sont point des facultés naturelles communes à tous les hommes ».D'où proviennent-elles donc? On songe tout de suite à l'opposition classique « Nature-Surnaturel » qui revêtait uneparticulière intensité en ce XVIIe siècle où l'on opposait à plaisir la religion naturelle à la religion révélée; mais cen'est pas cela qu'évoque Malebranche, au moins pas d'une manière immédiate; il parle en effet d'usage : « La forceet la liberté d'esprit dont je parle sont des vertus qui s'acquièrent par l'usage.
» Qu'est-ce que cet « usage » ?L'usage quotidien n'est pour lui que le lieu d'exercice d'une faculté dont la source est ailleurs; et c'est donc sansétonnement que nous le voyons, dès la phrase suivante, parler de « méditation »; c'est la méditation (et noussavons quel sens très haut Malebranche donnait à ce terme) qui est le vrai foyer, le véritable aliment des deuxvertus dont il déplore la rareté.
2.
Usage et fatigue.
— La concentration de l'attention (cette « prière naturelle ») et la hauteur de point de vue,ainsi que le dépouillement intime, que requiert la méditation véritable, sont difficiles à obtenir et à conserver.
Notreégocentrisme spontané fait à la plupart de nous préférer la facilité des opinions — conformes à la fois au sentimentcommun et à notre vanité; nous sommes vite fatigués de méditer, et fatigués même avant de nous y être essayés !De là une double série de résultats désastreux, qui s'appellent et se conditionnent mutuellement : — d'une part, nevoulant pas avouer notre démission devant l'effort de méditation, nous nous vengeons de la vérité que nous n'avonspas pu atteindre par un mouvement de dépit instinctif qui nous pousse à soutenir que cette vérité n'existe pas etqu'il convient, donc, soit d'en mépriser l'idée même (« mépris ridicule »), soit de désespérer devant l'inutilité de nostentatives (« désespoir de lâcheté et de bassesse d'esprit ») ; ceci constitue le manque de « force spirituelle; —d'autre part, mécontents des résultats désastreux qu'entraîne parmi nous la privation de la vérité, nous nousvengeons en nous enfonçant obstinément dans ces résultats, ce qui nous cache de plus en plus l'objet de notredéception fondamentale; et, ainsi, soit nous entraînons les autres dans cette prolifération du mensonge (« ilsdeviennent trompeurs »), soit nous acceptons d'y être entraînés par eux (« ils sont si crédules à l'égard de leursamis ») ; ici il s'agit du manque de « liberté » d'esprit. CONCLUSION Malebranche a réussi dans ce texte ce que l'on pourrait appeler avant la lettre une psychanalyse magistrale : ildémontre parfaitement comment le refoulement d'une tendance fondamentale (l'aspiration à la vérité) crée en nousun sentiment de frustration et d'inquiétude que nous cherchons à compenser par des mythes (non-existence de lavérité) et des dérivations sociales (opinion et préjugé au lieu de vérité) qui les « guérissent » d'une manière pire quene les affectait le mal déclaré.. »
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