Commenter la formule cartésienne : « Il suffit de bien juger pour bien faire. »
Publié le 13/03/2011
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On sait la confiance absolue que Descartes accorde à l'évidence rationnelle. On sait que, d'après lui, la « puissance de bien juger « n'est autre que la Raison ou « bon sens «; la vérité se révèle dans la clarté de la pensée. Il est nécessaire et suffisant de « bien conduire sa Raison pour trouver la vérité dans les sciences «. Or, avec la formule proposée à notre discussion, nous allons plus loin encore. La toute puissance du jugement droit s'y trouve en effet étendue à la région du savoir où il pourrait sembler le moins entrer en ligne de compte; nous voulons parler de la détermination des Règles et des Valeurs morales, de cette construction de la conduite droite que d'autres ont fait dépendre de l'Instinct, de la Divination, de la sensibilité subjective. Bien mieux, Descartes ne se contente pas d'attribuer à la clarté de l'Entendement le discernement du Bien, il la t ient suffisante à faire le passage nécessaire de cette connaissance du Bien à sa réalisation. En autres termes, « II suffit de juger juste pour savoir où est le Bien, et il suffit de saisir où est le Bien pour le faire. «
«
le contenu de cette Pensée à son profit.
Seulement c'est, là encore, une activité qu'un jugement clair viendrarendre impossible.
Une telle confiscation ne saurait se réaliser en effet qu'avec l'appui de la logique affective,logique affective elle-même incompatible avec une référence à l'ensemble de nos idées.
Pour trouver des arguments permettant de justifier après coup ce qu'on préfère, pour arriver à tout prix à laconclusion aimée et voulue, il faut choisir les faits, il faut s'enfermer dans des synthèses partielles et un tel choixdevient impossible avec ce renversement des valeurs qu'engendre la mise en relation de l'Idée présente et de lasomme des idées passées.
Or, parler ainsi n'est-ce pas déjà montrer pourquoi Descartes était fondé à tenir pour nécessaire le passage de laconnaissance du Bien à sa réalisation ? Un tel passage est d'abord direct.
C'est un fait psychologiquement bienconnu que toute idée étant une force tend d'elle-même à se prolonger en un acte à condition naturellementd'occuper la conscience.
Or, une fois réalisée la résultante nécessaire de tous les éléments psychologiques, l'idéeexprimant une telle résultante ne saurait par hypothèse être chassée de la conscience et dès lors entraîneinéluctablement l'acte qui lui correspond.
Qui dit « coordination nécessaire » dit immutabilité psychique, et qui dit «présence immuable » d'un élément de la Pensée dit prolongation inévitable de cette pensée en acte.
Mais c'est peut-être sous sa forme indirecte que le passage est le plus caractéristique.
La coordination mentalemodifie nécessairement nos actes parce qu'elle modifie nécessairement notre moi.
En effet, le déterminisme des Idées proprement dites constituant une réalité indépendante de tous les désirs, detoutes les tendances définissant la part du subjectif, l'individu se référant à un tel ensemble s'échappe à lui-mêmeet ce désintéressement entraîne une double conséquence.
D'abord, il constitue par sa seule présence une action.
« Bien juger », à cet égard, c'est déjà « bien faire », puisquec'est réaliser une transformation dont l'objet est ici constitué par notre personnalité délivrée de la tutelle despassions et affranchie des limites illusoires s'opposant à une perception des choses sous la forme de l'Eternité.
L'Univers ainsi compris cesse de nous paraître étranger, et n'est-ce pas par excellence agir que de l'intégrer à notreesprit, que d'égaler notre mol rationnel à la somme des êtres et des choses ?
En outre, une telle modification orientée vers le monde intérieur se double d'autres changements dont la réalitéextérieure va constituer cette fois le point d'application.
Le développement nécessaire du mécanisme judicatoire vatendre maintenant à supprimer les obstacles susceptibles de s'intercaler entre la maturation de l'acte et saréalisation.
En effet les idées parvenant à un équilibre terminal en vertu de leurs affinités logiques comme sous l'influence d'unefatalité subie par le sujet, ce dernier se trouvera conduit vers la conclusion dictant l'acte sans avoir eu d'initiative àprendre, et un tel dénouement devant lequel il aurait peut-être hésité s'il avait eu à endosser la responsabilité d'unengagement personnel, il ne songera pas à l'écarter s'il a l'impression que c'est là chose à laquelle il ne peut rien, àlaquelle il a été conduit comme par une loi naturelle.
On agit toujours plus hardiment quand on est délivré de la hardiesse de se décider et une certaine impression defacilité n'est pas étrangère à la conscience des devoirs inéluctables.
Ce désintéressement de soi s'accompagne assez paradoxalement d'une possession de soi.
En effet l'individu arrachéà ses passions et à ses actes pourra les considérer comme des objets sur lesquels il sera capable d'agir comme dudehors au lieu d'être nécessairement entraîné avec eux.
En outre, la coordination de l'esprit étant réalisée, le sujet, au lieu de s'évanouir avec chacune de sesmanifestations, de mourir à tout instant au reste de sa conscience, s'exprimera sans cesse tout entier danschacune de ses tendances puisque n'importe quelle d'entre elles reflétera l'ensemble de sa conscience et laprésence d'un moi qui se concentre tout entier dans chacune de ses créations.
Mais, la volonté n'étant pas autre chose qu'un pouvoir de coordination permettant à l'individu de substituer auximpulsions de telle ou telle tendance la référence à l'ensemble de la conscience, découvrir dans le même processuset la norme qui permet à l'individu de définir la vérité morale, par suppression des obstacles subjectifs qui la luidissimulaient, et le principe de coordination qui fait de ces actes la création d'un moi, n'est-ce pas réunir, dans lanécessaire détermination des idées par les idées, la vérité, c'est-à-dire « le bien juger » et la volonté libre, c'est-à-dire le « bien faire » ?
Pourtant si cette discipline du jugement paraît nécessaire à la réalisation de la conduite droite, peut-être n'est-onpas autorisé à la tenir pour suffisante.
C'est d'abord un fait bien connu que le jugement le plus éclairé peut demeurer impuissant à réaliser une démarcheque la Raison commande ou a interdire une action que la passion inspire.
Quel est le raisonnement qui rassurera unjaloux ? Quelle est l'indignité qui rebutera un amoureux sincère, quelle est la prudence ou la pitié susceptible deréfréner une crise de colère, et inversement y a-t-il une démonstration susceptible d'inspirer au lâche une tranquillebravoure et au paresseux la continuité dans l'effort ? C'est un lieu commun que d'insister sur la valeur vitale de nos.
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