Commenter et discuter cette pensée d'un philosophe contemporain : « La situation de l'homme explique tout l'homme, sauf le jugement que sa pensée libre porte sur cette situation .» ?
Publié le 18/06/2009
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INTRO. - Pendant longtemps, les psychologues ont pris pour objet de leurs recherches les faits de conscience considérés comme un domaine à part; DESCARTES, qui était à l'origine de leur conception de l'homme, n'avait-il pas écrit : je suis « une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser (...). En sorte que ce moi, c'est-à-dire l'âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, (...) et qu'encore qu'il ne fût point, elle ne lairrait [= laisserait] pas d'être tout ce qu'elle est « ? Par suite, on n'a presque rien fait, du point de vue de la connaissance de la personnalité d'un individu, tant qu'on n'a observé que son extérieur, son état organique, sa position sociale. Une âme forte, en effet, peut se cacher sous un corps débile et l'esclave peut être plus véritablement libre que le maître à la merci duquel il se trouve du fait de sa naissance. La psychologie contemporaine réagit vivement contre cette conception. Pour connaître l'homme, il ne suffit pas de se replier sur soi-même. « Ce n'est pas dans je ne sais quelle retraite que nous nous découvrirons : c'est sur la route, dans la ville, au milieu de la foule, chose parmi les choses, homme parmi les hommes. «. L'âme n'est pas seulement incarnée dans un corps : elle est située dans un monde et c'est cette situation qu'il faut connaître. En effet, « la situation de l'homme explique tout l'homme, a-t-on dit, sauf le jugement que sa pensée libre porte sur cette situation «. Nous tâcherons d'expliquer cette affirmation ainsi que la restriction qui s'y ajoute et, en même temps, nous verrons si nous pouvons les admettre sans réserve.
«
aussi de son corps et de ses particularités organiques : or le nègre, le géant et le bancal sont tels de naissance etindépendamment de leur situation.
On nous répondra peut-être que c'est la personnalité morale et non lapersonnalité physique qu'a en, vue le texte que nous étudions.
Mais, par suite de l'action du, physique sur le moralou plutôt de l'unité de tout vivant, notre constitution psychique dépend étroitement de notre constitution organique: il est des tempéraments mélancoliques que les situations les plus satisfaisantes objectivement ne parviennent pasà épanouir et d'autres dont la bonne humeur résiste à des situations catastrophiques.D'ailleurs même dans le domaine moral ou psychique, la situation n'a pas l'influence universellement déterminantequ'implique le terme « tout l'homme ».
Il y a d'abord le passé qui, surtout quand les impressions qui en subsistent sesont organisées en complexes, pèsent lourdement sur nous et, comme les particularités physiques, présentent uneimplacable force d'inertie, résistant aux situations qui devraient rendre inefficace le souvenir que nous enconservons.Dans un certain sens, il est vrai, ce passé et le souvenir qui en reste font partie de notre situation actuelle.
Mais ilne semble pas que notre situation actuelle elle-même, prise dans toute son extension, conditionne rigoureusementnotre vie morale.
Le inonde, en effet, change pour tous.
Or on voit des individus, au milieu des transformations quibouleversent leur mode d'existence, leur situation, comme celle de leurs contemporains, conserver les idées et lessentiments de leur jeune âge, tandis que d'autres se laissent porter par le mouvement qui les entoure.
Par suite, iln'y aurait pas davantage de paradoxe à dire : l'homme explique toute la situation.Nous devons donc mettre une forte sourdine à cette première affirma., Lion : sans doute, la situation de l'hommeexerce sur lui une influencé capitale, mais elle ne l'explique pas tout entier.
Cette insuffisance de la situation àexpliquer tout l'homme peut-elle s'expliquer elle-même par la liberté ?
II.
— SAUF LE JUGEMENT QUE SA PENSÉE LIBRE PORTE SUR CETTE SITUATION
Explication.
Chacun dépend de sa situation : le bourgeois a une mentalité de bourgeois; le prolétaire éprouve les sentiments quelui impose sa condition sociale.
D'autre part, notre situation est ce qu'elle est; elle constitue un fait brut contrelequel nous ne pouvons rien : fils de paysan, je suis situé pour la vie, je ne puis d'aucune manière me donner uneautre naissance.Mais ce qui reste en mon pouvoir c'est le jugement.
Non pas sans doute le jugement d'existence ou de réalité : leprolétaire ne peut pas s'affirmer grand seigneur.
Mais le jugement de valeur : au lieu de considérer ma modesteorigine comme regrettable, je puis, au contraire, la tenir pour plus avantageuse : elle m'évite la suffisance assezcommune chez les personnes bien nées; grâce à elle, c'est à moi et non à mes ancêtres que je devrai d'êtrequelqu'un.
On pourrait faire des remarques analogues sur les disgrâces ou les infériorités d'ordre physique, sur lesconditions climatériques de l'existence, sur la pauvreté ou la richesse...
Au fond, si les choses sont ce qu'elles sont,elles ne sont pas bonnes ou mauvaises en soi c'est le jugement que nous portons, sur notre situation qui déterminesa valeur, et ce jugement est libre.Par suite, on voit comment il nous est loisible de trouver le bonheur dans notre situation, quelle qu'elle soit; il noussuffit de nous faire d'elle une bonne opinion.
Le sage ÉPICTÈTE l'avait déjà dit dans son Manuel (Chap.
x) : Ce nesont point les choses qui troublent les hommes, c'est l'opinion qu'ils en ont.
La mort, par exemple, n'est point unmal; si c'en était un, elle aurait paru telle à SOCRATE.
Ce qui est mal, c'est l'opinion que la mort est un mal.
»Faisant allusion à son infirmité, il ajoute plus loin (Chap.
ix) : « La maladie est un obstacle pour le corps, mais nonpas pour la volonté, à moins qu'elle n'y consente : tu es boiteux : voilà un obstacle pour ton pied, mais nullementpour ta volonté ».
Je puis en effet m'accepter et me vouloir boiteux.
Dès lors comment ne serais-je pas heureux si laréalité est conforme à mon vouloir !
Discussion.
Les paradoxes d'ÉPICTÈTE s'inspirent d'une fine sagesse et si nous suivions les conseils du philosophe esclave nousserions beaucoup moins marris de la médiocrité de notre situation.
Mais les réflexions que nous avons citées restentdes paradoxes et la thèse de J.-P.
SARTRE, est plus paradoxale encore.
De la seconde partie du texte examiné,nous discuterons : d'abord le premier mot, « sauf », d'après lequel seul dépend de nous le jugement porté sur notresituation; ensuite, le reste de la phrase, qui affirme le pouvoir de juger de cette situation en toute liberté, etindépendamment d'elle.L'homme n'est pas réduit au pouvoir de juger : il a aussi celui d'agir.
Sans doute, ainsi que le dit l'Évangile, personnene peut ajouter une coudée à sa taille, mais on peut bien modifier son corps par l'exercice et par un régimeméthodique.
La situation sociale est encore plus modifiable : elle est d'ordinaire plus ou moins instable et demandeun certain effort pour se maintenir; elle est parfois l'oeuvre d'un individu, ainsi qu'en témoignent les formules « ils'est fait une belle situation », « il a transformé la situation ».
L'homme ne dispose donc pas seulement du pouvoirde juger sa situation.En second lieu, son jugement n'est pas libre au sens que suggère le texte que nous discutons.
Sans doute, je nesuis pas contraint d'admettre que ma claudication ou mon insuccès à l'examen constituent un handicap désastreux :je puis en effet faire valoir à mes yeux les avantages qui peuvent résulter de cet accident et même, comme lessaints, voir dans tout ce qui m'arrive une grâce, un événement providentiel.
Mais cette disposition des saintss'inspire des principes de la foi.
Le commun des mortels a besoin de raisons; or les raisons véritables sont valablespour tous et ne dépendent pas de la libre décision de chacun.
Sans doute, il nous est loisible de choisir le point devue auquel nous nous plaçons et de juger, par exemple, qu'il est heureux d'avoir échoué à l'examen, car cetinsuccès préservera des dangers qui guettent les nantis de diplômes.
Mais les attitudes de ce genre sont fortementsuspectes de mauvaise foi.
Ce ne sont d'ordinaire que des attitudes compensatrices d'un vif sentiment d'infériorité;.
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