Commentaire de texte – « Tout homme est sous la dépendance d'un autre, aussi longtemps que cet autre le tient en sa puissance. » - Spinoza
Publié le 15/06/2014
Extrait du document
Dégagez l'intérêt philosophique de ce texte de Spinoza en procédant à son
étude ordonnée
Tout homme est sous la dépendance d'un autre, aussi longtemps que cet autre le tient en sa
puissance. Il est indépendant, aussi longtemps qu'il est capable de tenir tête à n'importe quelle force,
de se venger à son gré de tout préjudice qui lui serait causé, en un mot aussi longtemps qu'il peut
vivre exactement comme bon lui .semble. Pour parvenir à garder un autre individu en sa puissance,
on peut avoir recours à différents procédés. On peut l'avoir immobilisé par des liens, on peut lui avoir
enlevé ses armes et toutes possibilités de se défendre ou de s'enfuir. On peut aussi lui avoir inspiré
une crainte extrême ou se l'être attaché par des bienfaits, au point qu'il préfère exécuter les consignes
de son maître que les siennes propres, et vivre au gré de son maître qu'au sien propre. Lorsqu'on
impose sa puissance de la première ou de la seconde manière, on domine le corps seulement et non
l'esprit de l'individu soumis. Mais si l'on pratique la troisième ou la quatrième manière, on tient sous
sa dépendance l'esprit aussi bien que le corps de celui-ci. Du moins aussi longtemps que dure en lui le
sentiment de crainte ou d'espoir. Aussitôt que cet individu cesse de les éprouver, il redevient
indépendant.
SPINOZA
Plan
Introduction.
I. La dépendance physique.
II. La dépendance spirituelle.
III. L'indépendance toujours latente.
Conclusion.
Qu'est-ce qu'être libre ou indépendant ? La réponse à cette
question dépend autant de postulats que d'une analyse des
situations concrètes dans lesquelles un pouvoir peut, par différents
moyens, supprimer l'indépendance et la transformer en son
contraire. C'est cette seconde voie que suit ici Spinoza : sans
métaphysique, il s'agit de repérer les différents modes de
soumission d'autrui et d'en mesurer la portée.
Être dépendant, c'est se retrouver sous « la puissance «, au
pouvoir d'un autre. A contrario, est indépendant celui qui peut «
vivre exactement comme bon lui semble «, c'est-à-dire obéir à sa
volonté ou à son désir- ce dont Spinoza fournit deux exemples
particuliers : il peut tenir tête à n'importe quelle force, ce qui
confère à l'indépendance un pouvoir notable de résistance ; et « se
venger à son gré de tout préjudice qui lui serait causé «, ce qui
semble ouvrir la possibilité d'une justice privée, éventuellement
inquiétante puisque potentiellement génératrice d'interminables
luttes ou règlements de compte privés
«
paraît antérieure à l'organisation sociale.
Le premier paragraphe
situe ainsi le problème dans un contexte asocial, traversé par des
conflits ou des revendications contradictoires.
Quatre moyen s sont alors distingués pour maintenir autrui « en
sa puissance » : pour établir un pouvoir.
Les deux premiers ne concernent que la suppression de
l'indépendance du corps (déplacements autonomes, capacité de
défense, etc.).
Il s'agit, soit de le lier ou e nchaîner : ce qui le prive
évidemment de mouvement et le place à la disposition du puissant ;
soit de le mettre dans une situation qui n'est pas sans rappeler la
définition de l'esclavage : une fois désarmé (sans doute à l'issue
d'un combat qu'il aura perd u), on lui ôte « toutes possibilités de se
défendre ou de s'enfuir ».
Les deux autres moyens entraînent une domination sur l'esprit.
Soit que l'on provoque une « crainte extrême » par la menace d'une
force physique, soit qu'on s'attache l'autre par des bi enfaits, le
résultat est comparable : l'individu soumis privilégie désormais les
consignes et la volonté du « maître » sur les siens propres, ce qui
définit classiquement son aliénation : sa volonté fait place, en lui -
même, à celle du maître dont il exécut e les directives.
La domination du « corps seulement » semble inférieure, en
importance ou signification, à celle de l'esprit, dans la mesure où un
corps dominé peut toujours loger un esprit indépendant.
Dans cette
optique, le pouvoir le plus complet sur autrui est donc celui qui
procède par la crainte ou les bienfaits et vient éventuellement
s'ajouter aux contraintes physiques.
Toutefois, cette domination
spirituelle apparaît elle -même fragile, dans la mesure où elle ne
repose que sur des sentiments, des affects, dont rien ne prouve
qu'ils puissent être interminables.
Crainte ou espoir doivent être «
maintenus » si l'on veut garantir la durée du pouvoir.
En effet, sitôt
que l'individu soumis cesse de les éprouver, « il redevient
indépendant » -au moins me ntalement.
Ainsi, l'indépendance morale reste toujours en sommeil, ou
latente, y compris lorsqu'elle a l'air de ne plus être efficace : elle
attend en quelque sorte la première occasion pour resurgir.
C'est
que, d'une part, elle ne peut être appréciée rel ativement aux
situations simplement concrètes, tandis que de l'autre elle concerne
ce qui est sans doute le plus central dans l'homme, à savoir la vie de
l'esprit.
On peut illustrer une telle affirmation en rappelant par exemple
que plus tard, Hegel inter prétera précisément la crainte (ressentie
par l'esclave à l'égard de son maître) comme le premier indice de la
reconstruction d'une subjectivité : le sentiment ressenti appartient
en propre au sujet, même si ce dernier est en apparence soumis..
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