Commentaire de texte : Thomas HOBBES, Léviathan « Les noms des choses qui ont la propriété de nous affecter, c'est-à-dire de celles qui nous procurent du plaisir ou du déplaisir, ont, dans la conversation courante des hommes, une signification changeante parce que tous les hommes ne sont pas affectés de la même façon par la même chose, ni le même homme à des moments différents… »
Publié le 06/03/2012
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Expliquer le texte suivant :
« Etant donné en effet que tous les noms sont donnés pour signifier nos représentations et que toutes nos affections ne sont rien d'autre que des représentations, lorsque nous avons des représentations différentes des mêmes choses, nous ne pouvons pas facilement éviter de leur donner des noms différents. Car même si la nature de ce que nous nous représentons est la même, il reste que la diversité des façons que nous avons de la recueillir, diversité qui est fonction de la différence de constitution de nos corps et des préventions de notre pensée, donne à chaque chose une teinture de nos différentes passions. C'est pourquoi, lorsqu'ils raisonnent, les hommes doivent prendre garde aux mots, lesquels ont aussi, au delà de la signification de ce que nous imaginons leur être propre, une signification renvoyant à la nature, à la disposition et à l'intérêt de celui qui parle; tels sont les noms des vertus et des vices : car un homme appelle sagesse ce qu'un autre appelle crainte; et l'un appelle cruauté ce qu'un autre appelle justice; l'un prodigalité ce qu'un autre appelle magnificence; l'un gravité ce qu'un autre appelle stupidité, etc. Il en résulte que de tels noms ne peuvent jamais être les véritables fondements d'aucune espèce de raisonnement. Les métaphores et les figures du discours ne le peuvent pas davantage : mais elles sont moins dangereuses parce qu'elles professent leur caractère changeant, ce que ne font pas les autres noms. «
Thomas HOBBES, Léviathan
Il n'est pas rare, dans une conversation banale, que deux interlocuteurs se disputent avant de se rendre compte qu’en définitive ils partagent la même opinion, mais qu’ils ne s’étaient pas bien compris sur le sens à retenir de certains mots. Dans un passage du Léviathan, Hobbes s'attèle à cette question et considère que le sens des mots qui engendrent en nous des sensations ou des sentiments se révèle très versatile: il est donc nécessaire de se défier de ce type de mots dans un raisonnement, surtout lorsqu’il se veut méthodique et rigoureux, comme c'est le cas en philosophie. Ceci nous permet d’induire une kyrielle de questions sur le langage et ses usages. Pourquoi le sens des mots peut-il subir des variations d'une personne à une autre ?
Plan
Introduction
I. Les mots qui nous affectent ont un sens versatile qui dépend de notre moi
1. L'analyse de Hobbes
2. Le sens des mots dépend de nos affections
3. Le lien entre le mot et les représentations
4. Toutes nos affections sont-elles conscientes et donc représentables ?
5. Le rôle de la subjectivité dans la signification
II. La nécessité de se méfier des mots dans le raisonnement
1. La mise en garde du philosophe
2. Qui est celui qui parle ?
3. Le cas exemplaire de la morale
4. Fonder le raisonnement sur les mots ?
5. Les figures de style, moins trompeuses ?
«
temps, nous analyserons au travers de la première partie du texte l'origine ou le principe de ces
variations.
Puis nous en dégagerons les conséquence s, en tirant les leçons de la deuxième partie.
I.
Les mots qui nous affectent ont un sens versatil e qui dépend de notre moi
1.
L'analyse de Hobbes
Dabord, Hobbes étudie le sens des mots dans le cad re de la « conversation courante ».
Cette caractérisation a son importance car les mots sont toujours employés dans des contextes
rigoureux.
Certains de ces contextes, du fait de le ur technicité et du thème particulier qui y est
abordé, donnent à des incompréhensions moins liées au sens des mots que les autres.
Le cas le
plus défavorable néanmoins est celui que choisit Ho bbes pour effectuer sa démonstration : c'est
bien dans la « conversation courante » que la rigue ur est la moins grande.
Dès lors, c'est aussi le
cadre dans lequel la place de la subjectivité est l a plus forte.
Il va donc jouer le rôle de miroir
grossissant pour exposer les imperfections du langa ge qui ont une conséquence moins apparente
mais tout aussi réelle dans les autres contextes.
2.
Le sens des mots dépend de nos affections
En effet, quel que soit le contexte, nous utilisons des mots qui dénotent « des choses qui
ont la propriété de nous affecter », cest-à-dire, qui produisent en nous un effet psychologique :
ce qui nous touche, nous frappe, nous émeut et nous conduit à ressentir quelque chose, des
affects : plaisir gustatif ou esthétique, abattemen t, surprise, colère, joie, attendrissement, dégoût.
Nous pouvons même généraliser en nous demandant si ce n'est pas le cas de tous les mots, ou du
moins d'une grande majorité d'entre eux.
En effet, même des mots ou expressions neutres
comme « racine carrée de 2 », « virus informatique » ou « gastéropode hermaphrodite » peuvent
très bien être associés dans notre esprit, directem ent ou par associations d'idées à des
représentations agréables ou désagréables, des sens qu'ils ne semblent pas comporter en eux-
mêmes.
II s'avère donc très difficile d'estimer le nombre de mots qui ont une signification
contingente; mais on peut supposer qu'il est import ant.
Cependant, ce qui apparaît clairement à
travers le premier argument de Hobbes, c'est que ce tte fluctuation de sens est enchaînée à la
connexion entre le sens des mots et notre subjectiv ité.
Le fait d'utiliser les mots dans certains
contextes, de les apprendre en étant dans une certa ine humeur, de les associer à des sensations
agréables ou désagréables, nous amène à leur donner une « coloration affective » particulière,
extrêmement contingente tant elle dépend des circon stances : « Tous les hommes ne sont pas
affectés de la même façon par la même chose, ni le même homme à des moments différents.
»
Par exemple, certains enfants ont en horreur le mot et la chose « épinards » et leur associent
donc une connotation désagréable alors que ce n'est pas le cas pour d'autres ; et un individu
peut les avoir détestés étant enfant et les aimer u ne fois adulte.
3.
Le lien entre le mot et les représentations
Ainsi, il semblerait au premier abord que nous ayon s des affects et que ceux-ci forgent en
nous des représentations qui se traduisent ensuite par des mots.
Par exemple, nous aurions le
goût désagréable des épinards dans la bouche, qui s e traduirait par la « visualisation » du plat
qui nous dégoûte dans l'esprit, celle-ci étant asso ciée enfin au mot « épinard », symbole de
l'horreur gustative.
C'est du moins ce que semble s outenir Hobbes dans la suite du texte lorsqu'il
écrit que « les noms sont donnés pour signifier nos représentations et que toutes nos affections ne
sont rien d'autre que des représentations ».
Cepend ant, ces deux points méritent réflexion.
En
affirmant que « les noms sont donnés », nous pourri ons nous demander par qui.
L'auteur
semble en effet croire qu'un dieu (ou peut-être la société ?) nous a donné les mots, et ce dans une
intention précise (« pour »).
Or le langage ne s'es t-il pas progressivement construit dans les
premières sociétés humaines, sans qu'on en puisse c lairement déterminer ni l'auteur ni la
fonction ultime ? Et n'existe-t-il pas des cas d'ut ilisation du langage qui servent à autre chose
qu'à « signifier nos représentations » ? Dans une d émonstration mathématique, totalement.
»
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