Commentaire de Rousseau: bonheur individuel et bonheur de la communauté politique
Publié le 08/05/2012
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"Où est l'homme heureux, s'il existe ? Qui le sait ? Le bonheur n'est pas le plaisir ; il ne consiste pas dans une modification passagère de l'âme, mais dans un sentiment permanent et intérieur dont nul de peut juger que celui qui l'éprouve ; nul ne peur donc décider avec certitude qu'un autre est heureux ni par conséquent établir les signes certains du bonheur des individus. Mails il n'en est pas de même des sociétés politique. Leurs biens, leurs maux sont tous apparents et visibles, leur sentiment intérieur est un sentiment public. Le vulgaire s'y trompe sans doute, mais à quoi ne se trompe-t-il pas ? Pour tout oeil qui sait voir elles sont ce qu'elles paraissent, et l'on peut sans témérité juger de leur être moral. Ce qui fait la misère humaine est la contradiction qui se trouve entre notre état et nos désirs, entre nos devoirs et nos penchants, entre la nature et les institutions sociales, entre l'homme et le citoyen ; rendez l'homme un, vous le rendrez heureux autant qu'il peut l'être. Donnez-le tout entier à l'Etat ou laissez-le tout entier à lui-même, mais si vous partagez son coeur, vous le déchirez ; et n'allez pas vous imaginer que l'Etat puisse être heureux quant tous ses membres pâtissent. Cet être moral que vous appelez bonheur public est en lui-même une chimère : si le sentiment du bien-être n'est chez personne, il n'est rien et la famille n'est point florissante quand les enfants ne prospèrent pas." Jean-Jacques Rousseau, « Du bonheur public « Fragments politiques 1762
«
individus », l’expression de nos sentiments est opaque car notre subjectivité peut
demeurer secrète.
En revanche, c’est différent en ce qui concerne les « sociétés politiques ».
Pourquoi ?
Peut-être parce qu’une société n’est pas comparable à une subjectivité humaine.
Pourtant, Rousseau semble personnifier les sociétés politiques (les communautés
d’hommes ayant des institutions politiques) : « Leurs biens et leurs maux sont tous
apparents et visibles, leur sentiment intérieur est un sentiment public.
».
De même qu’un
individu peut être en bonne santé ou au contraire souffrir, une société peut être en plus
ou moins bonne forme.
Ses « biens » peuvent être la croissance économique, la concorde
civile, une baisse de la mortalité infantile… Autant d’indices pouvant servir à mesurer
l’état d’une société.
Les « maux » désignent alors les dissensions, la propagation des
épidémies, le taux de chômage…Ces indices permettent-ils vraiment d’évaluer le
« sentiment intérieur » (l.7), l’ »être moral » (l.10) d’une société ? A ce compte,
pourquoi la santé physique (visible) d’un individu ne pourrait-elle pas être le signe de son
bien-être moral, de son bonheur ? Est-il sûr que la prospérité économique d’un Etat soit
l’expression évidente de son être moral ? S’il s’agit de son état psychologique, il peut
paraître exagéré de personnifier à ce point une société.
Le texte ne nous dit pas
clairement à quels signes on peut juger du bonheur d’une société, signes qui ne sont
peut-être pas si évidents que cela puisque Rousseau nous dit qu’on peut s’y tromper en
les regardant.
Le « vulgaire » est d’ailleurs celui qui ne sait pas voir, qui par manque de finesse et
d’attention se trompe dans son diagnostic.
Rousseau se range sans doute parmi les
esprits avisés sachant voir, et même peut-être soigner.
En effet, il écrit dans Du Contrat
Social : « Toute puissance vient de Dieu, je l’avoue ; mais toute maladie en vient aussi.
Est-ce à dire qu’il soit défendu d’appeler le médecin ? ».
Pour soigner efficacement un mal, il faut en déceler la cause.
Et c’est chose faite
dans le second temps de l’argumentation menée par Rousseau : « Ce qui fait la misère
humaine est la contradiction qui se trouve entre notre état et nos désirs, entre nos
devoirs et nos penchants » (l.11-12), c’est –à-dire entre notre place dans la société (par
exemple laquais, métier exercé par Rousseau dans sa jeunesse) et nos aspirations (par
exemple être écrivain), entre nos devoirs (celui de travailler ou de subvenir aux besoins
de ses enfants) et nos penchants (la paresse et le goût pour l’aventure peuvent en faire
partie).
C’est une contradiction qui peut être précisée avec les oppositions suivantes : « entre
la nature et les institutions sociales, entre l’homme et le citoyen », l’opposition
fondamentale réside donc dans la distinction état de nature/Etat civil .
Cette dualité,
quand elle habite l’homme, est la cause de ses tourments.
Ce qu’en déduit l’auteur
semble alors d’une logique imparable : « rendez l’homme un vous le rendrez heureux
autant qu’il peut l’être ».
On remarque que Rousseau ne promet pas une béatitude infinie,
simplement un état de contentement limité aux possibilités de l’être humain.
Un tel
bonheur n’a rien de divin ou de surhumain, mais il offre un sentiment d’unité, d ’
homogénéïté : l’esprit n’est pas troublé par des contradictions internes, des désirs allant
dans des directions opposées.
Va-t-on réaliser cette unité en conciliant les deux états précédemment cités ? Non.
Il
faut faire un choix : « Donnez-le tout entier à l’Etat ou laissez-le tout entier à lui-même »,
faîtes-en un citoyen (la partie d’un tout, d’une communauté) ou laissez-le à cet état de
nature dans lequel il est tout pour lui-même ; « mais si vous partagez son c œur vous le
déchirez ».
Le c œur, siège des sentiments et de l’affectivité, n’est ni la pure rationalité ni
la pure sensation.
En utilisant ce terme, Rousseau laisse entendre que l’être humain se
définit essentiellement par une conscience capable d’affectivité.
Voici d’ailleurs ce qu’il en
dit dans le quatrième livre de Emile ou de l’éducation : « Les actes de la conscience ne
sont pas des jugements, mais des sentiments », ce qui est aussi une façon pour lui de
montrer son originalité par rapport à des philosophes préférant insister sur des
caractéristiques comme la pensée, la réflexion (tels Platon, Descartes).
La conscience.
»
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