Commentaire de "A une heure du matin" (Le Spleen de Paris) - BAUDELAIRE ?
Publié le 25/01/2010
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À UNE HEURE DU MATIN Enfin ! seul ! On n'entend plus que le roulement de quelques fiacres attardés et éreintés. Pendant quelques heures, nous posséderons le silence, sinon le repos. Enfin! la tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même. Enfin ! il m'est donc permis de me délasser dans un bain de ténèbres! D'abord, un double tour à la serrure. Il me semble que ce tour de clef augmentera ma solitude et fortifiera les barricades qui me séparent actuellement du monde. Horrible vie ! Horrible ville ! Récapitulons la journée : avoir vu plusieurs hommes de lettres, dont l'un m'a demandé si l'on pouvait aller en Russie par voie de terre (il prenait sans doute la Russie pour une île) ; avoir disputé généreusement contre le directeur d'une revue, qui à chaque objection répondait : «C'est ici le parti des honnêtes gens«, ce qui implique que tous les autres joumaux sont rédigés par des coquins ; avoir salué une vingtaine de personnes, dont quinze me sont inconnues ; avoir distribué des poignées de main dans la même proportion, et cela sans avoir pris la précaution d'acheter des gants ; être monté pour tuer le temps, pendant une averse, chez une sauteuse qui m'a prié de lui dessiner un costume de Vénustre ; avoir fait ma cour à un directeur de théâtre, qui m'a dit en me congédiant : « - Vous feriez peut-être bien de vous adresser à Z... ; c'est le plus lourd, le plus sot et le plus célèbre de tous mes auteurs, avec lui vous pourriez peut-être aboutir à quelque chose. Voyez-le, et puis nous verrons « ; m'être vanté (pourquoi ?) de plusieurs vilaines actions que je n'à jamais commises, et avoir lâchement nié quelques autres méfaits que j'ai accomplis avec joie, délit de fanfaronnade, crime de respect humain ; avoir refusé à un ami un service facile, et donné une recommandation écrite à un parfait drôle ; ouf ! est-ce bien fini ? Mécontent de tous et mécontent de moi, je voudrais bien me racheter et m'enorgueillir un peu dans le silence et la solitude de la nuit. Ames de ceux que j'ai aimés, âmes de ceux que j'ai chantés, fortifiez-moi, soutenez-moi, éloignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptrices du monde, et vous, Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise ! Charles Baudelaire
L'oeuvre de BAUDELAIRE est jalonnée de bilans, de retours de l'artiste sur lui-même. Le Spleen de Paris contient l'un d'entre eux, « A une heure du matin «, écrit au cours d'une des périodes les plus sombres de cette brève existence : à quarante ans, l'homme qui compose ce poème sait sa santé délabrée. Sans ressources, il a de surcroît le chagrin de se sentir incompris de sa mère et séparé définitivement d'une femme qu'il a beaucoup aimée, Jeanne Duval.
BAUDELAIRE est bien trop profond pour s'en tenir à un plat bilan moral. Sa méditation, après avoir assumé de façon personnelle le thème romantique de l'opposition de l'artiste et du monde, prend une orientation religieuse qui ne laisse pas d'intriguer le lecteur attentif.
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