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Claus Sluter

Publié le 26/02/2010

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C'est dans le Moyen Âge le plus authentique que l'art de Claus Sluter plonge ses racines. Sculpteur gothique, il l'est au plein sens du terme, et, bien entendu, sculpteur chrétien, homme de foi à l'égal des imagiers d'autrefois, et qui, par la conception religieuse du monde qu'il exprime, n'est pas à l'écart de son temps. Il le domine de sa haute stature, mais il fait corps avec lui. Une époque douloureuse, écartelée, vouée par la guerre à l'excès du malheur, se reconnaît dans ses figures tourmentées et, sur ce Moyen Âge finissant qui ne connaîtra plus la sérénité de naguère, le Calvaire de Champmol, avec son Christ exsangue et ses anges désespérés, se dresse comme un symbole. La valeur éminente, éternelle, de son art est là, dans cet accord profond, et non dans un "modernisme" qui, à vrai dire, n'apparaît pas. Sans doute a-t-il, par son génie, et pour plus de cent ans, redonné vie et élan à la sculpture française, mais il n'a guère innové. Ce qu'il a réussi, avec la maîtrise d'un talent hors de pair, d'autres l'avaient tenté avant lui. Sluter n'est pas de ces artistes qui bousculent une tradition pour ouvrir de nouvelles avenues. Il a seulement, et ce n'est pas diminuer son mérite, exprimé mieux qu'aucun autre, avec plus de force et de lucidité, les tendances de la civilisation de son temps.

« l'homme politique se lisent sur ce masque personnel puissamment modelé, et la fierté du prince qui, toute sa vie, sutimposer le respect dû à sa naissance.

Pour mutilé qu'il soit, le visage de Marguerite de Flandre apparaît de mêmecomme un portrait merveilleusement véridique, celui d'une Flamande dans la plénitude de ses quarante ans, quelquepeu épaissie par l'âge et les maternités, mais elle aussi de haut lignage et digne compagne d'un tel prince.

Il va desoi que des portraits qui atteignent à une si exacte ressemblance ne sont point, à cette date, chose nouvelle ; sansremonter jusqu'au gisant de Philippe III à Saint-Denis, rappelons qu'au moment même où Sluter travaillait, ou peuavant, un sculpteur inconnu agenouillait de même, sur le tombeau du cardinal La Grange à Avignon, les statuessaisissantes de vie et de vérité du roi Charles VI et de son frère, le jeune duc d'Orléans.

Mais Claus Sluter va plusloin que tout autre dans la compréhension de ses modèles ; ses portraits ad vivum sont les plus pénétrants que leMoyen Âge nous ait laissés. Dans l'église de la Chartreuse, Sluter avait encore sculpté d'autres statues, trois notamment qui prirent place en1393 au premier étage de l'oratoire ducal.

La Révolution les a détruites.

Des fouilles récentes n'ont fait retrouverque des débris, mais la main du saint Georges, gantée de fer, crispée sur l'épée qu'il brandissait, est modelée avecune telle force que l'on déplore la perte de ces œuvres, aussi belles sans doute que les grands ensemblesconservés. Le Calvaire, émergeant d'un bassin qui est la Fontaine de Vie, au centre du grand cloître, c'est-à-dire du cimetièredes Chartreux, est réduit aujourd'hui à son soubassement.

"Puits des prophètes", "Puits de Moïse", ainsi l'a nommé laferveur du XIXe siècle.

Les comptes permettent de suivre de très près, et comme pas à pas, l'exécution de cemonument, entre le 15 avril 1395 date de la première commande de matériaux, et les premiers mois de 1405 où l'onmet en place les dernières statues.

L'extraordinaire puissance créatrice de Sluter lui a permis de tailler jusqu'à troisimages de prophètes en un an.

La polychromie, récemment retrouvée, avait été faite par Jean Malouel.

Toute lapartie haute, désagrégée, a disparu dès le XVIIIe siècle.

Sur la terrasse se tenaient la Vierge de douleur, saint Jeanet sainte Marie-Madeleine qui portait une couronne d'orfèvrerie.

Des débris, retrouvés dans le puits et conservés aumusée archéologique de Dijon, les évoquent sans permettre de les imaginer.

Du moins a-t-on gardé les jambes et letorse du Christ en croix.

Image du Crucifié plus émouvante qu'aucune autre : Jésus, les yeux clos, vient de mourir, ilporte encore sur sa face toute la douleur de l'agonie, mais il s'y mêle une paix surhumaine, celle qu'un Dieu seul peutconnaître, après tant de souffrances.

Au-dessus du cimetière qu'il domine, ce Christ mort est gage de vie et derésurrection.

Le soubassement, seul en place aujourd'hui, montre sous la moulure de la terrasse, et de la main deClaus de Werwe, six anges, ailes déployées, sveltes et pesant à peine sur les consoles, et qui se lamentent sur ledrame du Calvaire, tandis qu'en bas Moïse, David, Jérémie, Zacharie, Daniel et Isaïe, apercevant du fond des sièclesle sacrifice de l'Homme-Dieu, déroulent des phylactères où s'inscrivent les textes prophétiques.

C'est dans lacréation de ces figures de voyants hors de la condition humaine, hors du temps, aux visages sculptés, pétris,ravagés par le souci qui les dévore, que le génie dramatique de Sluter pouvait donner toute sa mesure.

On a dit qu'ilavait copié ces visages au vif sur ceux des Juifs de Dijon.

Il se peut, mais son œuvre s'élève bien plus haut que ceréalisme d'occasion ; ces prophètes, il en a dessiné le type éternel, et jamais hommes de Dieu n'ont été imaginésavec autant de puissance et de fulgurante vérité : Moïse, l'ancien des jours, le chef irascible de qui la vue seule faittrembler ; Jérémie qui portait autrefois bésicles d'orfèvrerie et, les yeux plissés, penche son visage anxieux vers lelivre ouvert des prophéties ; Zacharie, tête baissée, bras écartés, comme accablé par la vision qu'il entrevoit ;Daniel qui porte son regard au loin, par-delà les siècles, et d'un doigt impérieux désigne la sentence inexorable ;Isaïe, le vieillard au front nu, de qui le désespoir se détourne de ce qu'il sait inévitable ; David enfin qui garde toutela majesté royale, mais teintée de mélancolie.

Il suffit de se rappeler les prophètes du Musée de Troyes, sculptés auXIVe siècle, pour déceler chez Sluter la tradition du Moyen Âge, mais pour comprendre en même temps ce qu'ilapporte de nouveau par la puissance unique qu'il possède d'évoquer le drame intérieur de ces visionnaires chargésd'une mission surhumaine. Et voici la dernière œuvre du grand imagier, le tombeau de Philippe le Hardi, la première à vrai dire à laquelle il aittravaillé, en sous-ordre, dès son arrivée à Dijon ; mais l'ouvrage, délaissé pour les autres besognes, ne fut guèrerepris qu'après la mort du duc, le 27 avril 1404.

Le gisant, couché sur la longue dalle noire et veillé par deux anges,n'est pas venu jusqu'à nous sans que les mutilations révolutionnaires et les restaurations qui ont suivi lui aientenlevé presque tout intérêt.

Mais il reste au soubassement la procession des "pleurants", c'est-à-dire des parents,familiers et officiers, qui ont revêtu la cagoule et le manteau de deuil pour accompagner, derrière le clergé, le maîtreà sa dernière demeure.

Procession qui ne fait qu'évoquer avec fidélité celle des soixante personnes qui ramenèrent,portant des torches, la dépouille de Philippe, de Hal en Belgique jusqu'à Champmol.

Mais l'idée de ces funéraillesfixées dans l'albâtre, qui d'ailleurs n'était pas nouvelle, est bien antérieure à la mort du prince : elle avait été définiepar lui-même et par Jean de Marville dès les débuts de l'entreprise.

Rien, cependant, n'avait été réalisé ; on avaitseulement, vers 1389-1390, sculpté les fines arcades sous lesquelles se développerait la théorie funèbre.

Lesquarante et une statuettes, presque toutes remises en place aujourd'hui, sont l'œuvre de Claus Sluter, soit qu'il lesait taillées lui-même dans les derniers mois de sa vie, soit que Claus de Werwe s'en soit chargé — il ne terminera letombeau qu'en 1410 — mais sur les dessins de son oncle.

Nous savons que celui-ci avait pu présenter au duc Jeandeux pleurants, lors de la signature d'un nouveau marché pour la reprise du tombeau, le 11 juillet 1404.

La série,d'une prodigieuse diversité, témoigne de l'imagination de Sluter, de son génie à varier les attitudes, les expressions,les gestes, l'esprit même de ses figurines.

Il s'y mêle aussi un goût nouveau pour l'anecdote, pour le trait saisi sur levif, pour le détail pittoresque, voire facile ou même vulgaire.

Par là il étend encore, après tant de chefs-d'œuvre, leregistre de son talent et montre qu'à la veille de la mort il n'a rien perdu du don extraordinaire qu'il a reçu d'animerles formes humaines.. »

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