Bergson: Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes
Publié le 04/11/2022
Extrait du document
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Texte de Bergson
Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le
plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles.
Cette
tendance, issue du besoin, s'est encore accentuée sous
l'influence du langage.
Car les mots (à l'exception des noms
propres) désignent des genres.
Le mot, qui ne note de la chose
que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue
entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux, si
cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont
créé le mot lui-même.
Et ce ne sont pas seulement les objets
extérieurs, ce sont aussi nos Propres états d'âme qui se
dérobent à nous dans ce qu’ils ont d'intime, de personnel,
d'originalement vécu.
Quand nous éprouvons de l’amour ou de la
haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien
notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les
mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui
en font quelque chose d'absolument nôtre? Nous serions alors
tous romanciers, tous poètes, tous musiciens.» Le rire.
Explication du texte de Bergson
Thèse: Les mots, trop généraux et abstraits, nous dissimulent
non seulement la réalité extérieure, mais également notre
propre vie intérieure.
Plan du texte.
a) Enoncé d’une première thèse sous forme de constat: la
réalité nous est cachée; entre les choses et nous il y a un
écran.
b) Première raison: les besoins de l’action provoquent en nous
cette tendance à ne pas voir les choses.
C) Deuxième raison: les défauts du langage, le langage abstrait
et anonyme.
D) Généralisation de la thèse: le voile de la langue porte
aussi bien sur le monde extérieur que sur notre monde
intérieur.
E) Une solution possible: le regard de l’artiste semble pouvoir
lever le voile posé sur les choses par les mots.
Etude ordonnée:
2
a) « Nous ne voyons pas les choses mêmes...
»: Seule
l’intuition (vision) peut nous permettre d’accéder aux choses.
Si « nous ne voyons pas les choses mêmes...
», c’est que le
langage est incapable de nous transporter au coeur même de la
réalité.
En effet, le terme « étiquettes », qui anticipe sur la
suite du texte, situe le problème de notre rapport au monde sur
le terrain du langage.
b) « cette tendance issue du besoin »: Cette tendance propre à
l’intelligence humaine à étiqueter les choses, c’est-à-dire à
les classer répond aux exigences de la vie pratique.
Une
étiquette collée sur un produit donne une indication sur le
produit (la date de fabrication, date limite de consommation,
provenance), c’est-à-dire tous les renseignements utiles pour
le consommateur ou le destinataire, et seulement ceux-là.
L’intelligence ne retient des choses que ce qui est utile pour
son activité.
Elle schématise, réduit, simplifie.
Elle ne
connaît que ce qui est utile.
C’est la vie qui exige cette
simplification; vivre c’est simplifier.
Quand nous agissons il
nous faut des repères stables, car la réalité est complexe,
changeante, très variée, et notre intelligence ne pourra
saisir, épuiser cette variété: « originellement nous ne pensons
que pour agir, c‘est dans le moule de notre action que notre
intelligence a été coulée » (P.
532, Bergson, oeuvres
complètes, édition du centenaire).
Or classer une chose,
l’étiqueter c’est lui attribuer une marque, un signe qui
représente seulement ce qu’elle a en commun avec d’autre
choses, c’est isoler une propriété par laquelle elle devient
comparable, appréciable.
L’intelligence a besoin d’identifier
les choses, les êtres, elle doit en abstraire un aspect commun
qui ne change pas, de régulier, de stable pour nous diriger
dans un monde déconcertant par ces nuances infinies, par ses
aspects multiples et contradictoires.
Les mots nous rassurent
et
assurent un point d’appui stable, une prise invariable à
notre action.
Cette tendance naturelle à schématiser, à identifier, à créer
des identités stables est accentuée par le langage parce que
le langage a lui aussi une origine utilitaire: « les choses que
le langage décrit ont été découpées dans le réel par la
perception humaine venue du travail humain.
Les propriétés
qu’il signale sont des appels à l’activité humaine » (La pensée
et le mouvant).
Bergson rejoint ici la tradition matérialiste
(Lucrèce, Diderot) à laquelle s’oppose Rousseau qui dérive la
parole non des besoins mais des passions (Essais sur l’origine
des langues).
c) « Car les mots désignent tous des genres...
»:
Si les mots sont incapables de nous transporter à l’intérieur
même des choses, c’est qu’ils peuvent jamais exprimer,
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représenter ce qui est unique, individuel.
Le langage ne peut
atteindre l’individuel.
Le mot ne désigne pas, en effet, un
objet particulier, mais une classe d'objet, c'est-à-dire un
concept.
Bergson partage avec les nominalistes l’idée selon
laquelle la réalité est constituée d’individualités singulières
et originales et que les genres désignés par les mots
n’existent pas dans la réalités.
Le mot ne dit donc pas
l’essence de la chose mais ce qui est commun, banal, que
l’esprit sélectionne en fonction de ses besoins.
Les mots ne
sont que des symboles abstraits.
Le réel est donc doublement
voilé par notre manipulation intéressée des choses et par
l’étiquetage qui en résulte.
d) « nos propres états d’âme...
»: Non seulement les mots ne
peuvent donner une représentation fidèle du monde extérieur,
mais ils sont également incapables d’exprimer notre être
psychique profond.
Ils nous dérobent notre individualité.
En
effet, si les états de l’âme symbolisés par les mots....
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